Plafonds volés

La malchance et l’incurie se sont toujours acharnées contre les plafonds peints du XVIIe siècle. Dernier carnage en date, l’incendie de l’hôtel Lambert, le 11 juillet dernier, a livré aux flammes un des fleurons du goût français, le cabinet des Bains et les peintures de Le Sueur. Il faut croire que sa célèbre branche de corail, seul éclat de rouge dans cette symphonie bleu et or, n’était pas de taille à conjurer cette étrange fatalité. Tout un symbole que cet échec prophylactique! Il confirme les menaces qui ont toujours pesé sur ce patrimoine, des aléas du goût aux transferts de propriété, des catastrophes naturelles aux destructions massives. L’exposition du Louvre, en s’intéressant à la révolution picturale qui bouscula le décor des plafonds sous la Régence d’Anne d’Autriche, Louis XIV et son frère, nous apprend qu’ils furent plus nombreux, et souvent plus audacieux, que nous ne le pensions. Ce n’est pas une mince surprise! Pendant longtemps a prévalu l’idée que les Français, loin de défier les Italiens sur le terrain des «plafonds volants», s’en étaient sagement détournés, obéissant à leur mépris de la virtuosité gratuite et des acrobaties visuelles imposées par la vue di sotto in sù. On était plus sérieux de ce côté des Alpes, évidemment. À la suite des réserves d’un Abraham Bosse ou d’un Poussin, les préventions d’un Ingres et d’un Braque ont coulé dans le bronze cette supposée allergie nationale, elle fit les beaux temps de l’histoire de l’art.

Or il n’en est rien et Bénédicte Gady le prouve dans le palais même où la peinture plafonnante, vers 1650, a pris son envol. Cette poussée ascensionnelle, dont la fable antique allait profiter avant le décor d’église, eut quelque chose d’une fièvre italienne. L’un de ses plus frénétiques promoteurs, François Perrier, fut l’élève de Lanfranco à Rome. Où sont passés les centaines de dessins et cartons que nécessita son immense voûte de l’hôtel La Vrillière? On devait retrouver Perrier sur le chantier de l’hôtel Lambert, de même que Le Brun, condamné à l’exploit par la sourde rivalité des chefs-d’œuvre ultramontains. La galerie Farnèse et les fresques de Pierre de Cortone en auraient découragé de plus forts. Ne jamais sous-estimer le poids de l’orgueil national en cette affaire. Les Italiens sont à Paris, ils travaillent pour la Reine mère, comme Romanelli, et pour Mazarin, tel le Turinois Giovanni Francesco Grimaldi, dont l’exposition exhume le spectre de décors détruits. Le palais du cardinal, aujourd’hui happé par la BNF, n’est pas parvenu à nous sans perdre quelques plumes, une aile pour être plus précis. Mais Henri Labrouste eut l’heureuse idée de faire relever les plafonds qu’il mit à bas. Autre trouvaille intéressante, un dessin de Jean Nocret, qui semble documenter le décor de la chambre à coucher de la reine. Nous sommes aux Tuileries au seuil des années 1670. Louis XIV et Marie-Thérèse ont quitté le vieux Louvre pour une maison plus pimpante. Charles Le Brun, impérial, est aux manettes. Mais d’autres travaillent avec une relative autonomie, nous ne le savions pas. Ce siècle, apparemment, a encore des choses à nous dire. Il suffit sans doute pour cela de prendre de la hauteur. Stéphane Guégan

*Peupler les cieux. Dessins pour les plafonds parisiens au XVIIe siècle, Musée du Louvre, jusqu’au 19 mai 2014. Catalogue, un vrai livre, savant et lisible à la fois, sous la direction de Bénédicte Gady, Louvre / Le Passage, 35€. // Dans le cadre des Conférences Sara Yalda aux Mathurins, j’interviendrai le lundi 10 mars, à 12h30, sur le thème: Impressionnisme: entre choc et charme. Théâtre des Mathurins, 01 42 65 62 51.

Hierro ! Labrouste, un romantique de fer

On ignore, le plus souvent, que la première explosive d’Hernani en février 1830 fut autant l’affaire des poètes chevelus que celle des architectes, théoriquement plus sages. Ils oublièrent ce soir-là compas et équerre, coupole et pilastre, et s’étourdirent comme Gautier, Nerval et Pétrus Borel, qui eut aussi la fièvre bâtisseuse avant d’enflammer les lettres. Au sujet des phalanges hirsutes qui baptisèrent le drame moderne, le témoignage d’Adèle Hugo reste fiable : la claque et le chahut légendaires de cette soirée unique mirent à contribution les ateliers d’architectures de Duban et de Labrouste, deux Prix de Rome acquis au renouveau des arts, à la polychromie active et à l’émotion directe. Deux romantiques, en somme, si l’on accepte d’étendre cette notion fourre-tout aux jeunes bâtisseurs formés dans l’admiration des Grecs, mais poussés à en examiner les vestiges d’un œil neuf au cours des années 1820. C’est la thèse que défend l’admirable exposition Labrouste, l’une des plus grandes réussites de l’année dernière, démonstration, sélection et mise en scène, aussi belle que sobre.

Dans quelques jours, elle s’envolera vers le MoMA de New York. Destination qui en dit long sur le sérieux du projet et le double sillon qu’a laissé derrière lui le créateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève et de la bibliothèque nationale. D’un côté, on le sait, il y a la bénédiction des modernes du XXe siècle, l’hommage rendu à celui qui avait fondé le culte du fer et de la structure contre l’obscurantisme et le rabâchage académiques. Siegfried Giedion, en 1941, résume bien les enjeux d’alors : « Henri Labrouste est sans aucun doute l’architecte du milieu du XIXe siècle dont l’œuvre a eu le plus d’importance pour l’avenir. » Trente ans plus tard, cependant, les tenants du postmodernisme se penchèrent pour d’autres raisons sur le saint patron du fonctionnalisme. À bien regarder ses relevés des temples grecs, comme nous pouvons le faire dans l’actuelle exposition, et le détail ornemental de ses grandes réalisations parisiennes, l’écriture plutôt ornée et imagée de Labrouste coïncide peu avec le purisme de ses supposés héritiers. À dire vrai, son héritage semait le trouble autant que ses premiers travaux, en 1829, avaient divisé ses pairs de l’Institut. Il faut imaginer un jeune homme de moins de trente ans, plein encore de la fougue qu’a fixée le tempétueux portrait de Larivière, et impatient de secouer les usages du modèle antique, et donc les interdits qui pèsent sur l’architecture moderne. Le romantisme pratique l’écart et la relecture sous les ruptures qu’il claironne.

La controverse inaugurale portait sur l’ultime envoi de Labrouste, qui concluait son séjour à la Villa Médicis, un ensemble de 23 dessins décrivant avec le plus grand soin l’état des temples de Paestum et leur restauration possible. Ce que ces grandes feuilles colorées contestaient en profondeur ne se limitait pas à quelques précisions érudites de second ordre. Loin d’isoler son objet dans une perfection idéale, indépassable et affranchie du présent, Labrouste montrait que ces trois temples d’époques différentes résultaient moins d’un archétype abstrait, diversement interprété, que d’un processus historique et social. Chaque temple avait sa logique propre, matériaux, structure, décor. L’unité interne l’emportait sur la conformité à quelque patron intemporel. Le rapport de l’Académie fut aigre-doux au terme d’un pugilat dont le quai Conti, à rebours de la légende de ses détracteurs, fut toujours le théâtre vivant. Ainsi Horace Vernet, ancien complice de Géricault et membre de l’Institut, directeur de l’école de Rome, menaça-t-il d’en démissionner si justice n’était pas rendue à Labrouste. La validité et la validation de ses idées, l’architecte les demanderait plus tard à ses chefs-d’œuvre. Après l’inauguration de Sainte-Geneviève, l’ex-rebelle fut élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur. Au printemps 1852, à la demande des élèves de Labrouste, Ingres fit le portrait du maître reconnu. La feuille de Washington le montre en mélancolique vigilant, de fer sous le velours de ses yeux.

Stéphane Guégan

Labrouste (1801-1875) architecte. La structure mise en lumière, Cité de l’architecture et du patrimoine, jusqu’au 7 janvier. Remarquable catalogue sous la direction des commissaires, Corinne Bélier, Barry Bergdoll et Marc Le Coeur, Editions Nicolas Chaudun, 42 €. L’exposition sera visible au MoMA, New York, du 10 mars au 24 juin.