Détonnant Manet

Apeuré sans doute par ce que les lettres de Courbet pourraient révéler, en cas de parution, Champfleury, l’un des papes du réalisme pourtant, écrivait en 1886: «C’est presque toujours une faute que de publier la correspondance d’un homme célèbre; il est rare qu’il n’y perde pas.» Sûr du contraire, et considérant que toute vérité est bonne à dire, Samuel Rodary nous donne enfin une édition satisfaisante de l’activité épistolaire de Manet durant «l’année terrible» (1870-1871). Il a nettoyé et annoté avec le plus grand soin la transcription courante, souvent fautive, des lettres du peintre, auxquelles se joignent celles qu’il reçut alors et celles de son frère Gustave, un proche de Gambetta et de Clemenceau, qui devait rester à Paris sous la Commune. Quand nos chers modernes vont prendre l’air à l’Estaque et à Londres, de Cézanne et Pissarro à Zola et Monet, les frères Manet tiennent bon, enfilent l’uniforme qu’allaient aussi revêtir Degas, Bazille, Regnault et quelques autres artistes promis à payer diversement l’impôt du sang. À rebours de ce qui se dit, Manet a servi son pays, il a servi la République renaissante et répondu à l’appel de la Garde nationale, il est même monté au feu entre septembre 1870 et février 1871. Faute de croquer ou de peindre son expérience militaire, comme il en émet le souhait et comme Gautier le fit dans ses admirables Tableaux de siège, Manet en donne une description aussi elliptique que passionnante, du patriotisme des premiers jours de la IIIe République aux privations de plus en plus éprouvantes, sans parler de l’isolement psychologique, sa femme Suzanne s’étant éloignée de Paris, et des réflexes de survie qui montrent de quoi est capable l’humanité en temps de guerre. Sur notre misérable condition et le comportement inégal des assiégés, civils et soldats,  Manet allait être vite édifié.

La vigilance de Samuel Rodary nous vaut une précision d’importance à ce sujet. Manet a bien participé, le 1er décembre, à la bataille qui s’est livrée entre Bry et Champigny: « Quelle bacchanale!, lâche-t-il dès le 2. On s’y fait vite du reste, les obus vous passaient sur la tête de tous les côtés, la journée est bonne disent ce matin les proclamations de Trochu, en effet nos troupes ont gardé leur position.  […] Tu diras à Alexandre que j’ai vu les frères de la Doctrine chrétienne aller chercher les blessés sous le feu de l’ennemi, là où les soldats des ambulances et de la ligne ne voulaient pas aller.» Ne nous laissons pas abuser par son humour inentamé, qui ne cède jamais à la gloriole personnelle et sait reconnaître la bravoure chez qui elle se manifeste. Or d’autres témoins nous parlent d’une «bataille horrible à voir» et Duret, l’un des amis de Manet, nous rappelle qu’il porta alors «des ordres dans le rayon du feu». À l’évidence, le choc fut éprouvant. Le 7 décembre, il quittait l’artillerie pour l’état-major: «Le premier métier était trop dur.» Ses lettres, du reste, avouent rapidement une vraie lassitude et le sentiment qu’il faut se hâter à trouver une issue honorable au conflit. Il s’agit, en fait, d’un des points d’achoppement qui devaient mener à la Commune… Car, point capital, le siège fut pour les frères Manet un moment politique fort. La correspondance l’enregistre à différents stades. On y voit Eugène – futur époux de Berthe Morisot – se pousser du côté du gouvernement de la Défense nationale et donc de Gambetta, l’homme central pour le clan. On suit le peintre et son ami Degas aux réunions qui se multiplient avant l’explosion de mars 1871. Le 15 septembre 1870, ils assistent ainsi au meeting du général Cluseret, futur communard, et déjà en froid avec le gouvernement provisoire, jugé trop peu populaire et trop peu réformateur. À cet égard, l’état d’esprit de Manet évolue vite, à mesure que renaît le spectre la guerre civile. Certaines de ses notations les plus intéressantes concernent les menées de l’extrême-gauche, blanquiste et autre, entre le 31 octobre et le 22 janvier, alors que s’esquissent les pourparlers d’un armistice catastrophique… Si les lettres du début février 1871 respirent l’impatience des retrouvailles avec Suzanne, elles sont assombries par la nouvelle du décès de Bazille (qui remonte au 28 novembre!) et l’élection d’une assemblée peu républicaine en dehors des élus de Paris (Hugo, Gambetta et Rochefort), vite démissionnaires… La capitale entre en état d’insurrection. Manet la quitte autour du 12 février, et c’est désormais Gustave qui nous renseigne sur la situation et leur position. La lettre décisive, c’est celle du 2 mars qui met en balance réaction monarchiste et radicalisme ultra comme deux fléaux également dangereux: « Il dépend maintenant de M. Thiers de nous sauver, ou de faire éclater l’émeute », écrit Gustave lucide. On connaît le choix de Thiers et les conséquences de la journée du 18 mars.

Ce jour-même et le 21, dans deux lettre superbes au graveur Bracquemond, expédiées depuis Arcachon, Manet dénonce et l’assassinat des généraux Lecomte et Thomas par les insurgés, et le choix de Thiers de ne pas avoir ramené le gouvernement et l’Assemblée à Paris. Dans les semaines suivantes, qui verront la politique du pire s’installer des deux côtés, Gustave se mêle aux dernières tentatives de réconciliation entre Versailles et la Commune. Au sein de la Ligue d’union républicaine pour les droits de Paris, et donc aux côtés de Clemenceau et  Lockroy, Gustave bataille ferme.  En vain, le 18 avril, c’est l’échec définitif. Viendra le silence de mai, puis l’écrasement de la Commune, une répression si brutale que le peintre, rentré début juin, pourra dire son écœurement au frère de Berthe Morisot… Peu avant qu’il ne donne à son profond dégoût de la boucherie versaillaise la forme de deux estampes clandestines, il songe à remettre le pied au Salon de 1872, où il devait exposer Le Repos de Providence et surtout Le Combat du Kearsarge et de l’Alabama, toile ancienne et comme réinvestie, où se réaffirmait son patriotisme intact. Par un de ces décrets du Ciel que les mortels doivent accepter sans chercher à les comprendre, dirait le grand Pascal, le tableau de Philadelphie revient à Paris et domine de sa fulgurance la passionnante exposition Durand-Ruel. Ce miracle ne venant pas seul, d’autres Manet sont là, parmi des Renoir et des Degas de premier plan, le grand Delacroix de Philadelphie et Jo l’Irlandaise de Courbet, aux seins de déesse.

Il est assez curieux, à première vue, que Durand-Ruel se soit décidé à acheter 25 Manet en 1872. Que nous apprend, en effet, la lecture des Mémoires du marchand, plus célèbres que lus, et que les éditions Flammarion remettent heureusement en librairie? À l’opposé de la famille Manet, où l’on chérissait le souvenir de la II République, les Durand-Ruel, monarchistes et catholiques tendance Veuillot, s’étaient mieux accommodés du régime impérial. Est-ce par mépris de la IIIe République, que le marchand fuit Paris pour Londres? En tous cas, il y fit des affaires et comprit que la peinture de Monet et Pissarro, eux aussi provisoirement exilés, avait un avenir commercial. Au sujet de la Belgique, où il mettait un pied au même moment,  les Mémoires de Durand-Ruel avouent sans détour que les prix y flambaient: «Bruxelles, par suite du siège de Paris, était devenu un centre très important d’affaires. Beaucoup d’artistes et d’amateurs français s’y étaient réfugiés et les amateurs, comme les marchands étrangers, s’y rendaient pour acheter dans des conditions favorables ce qu’il pourrait y avoir à vendre.» S’il excellait dans tous les mécanismes de vente, Durand-Ruel, très «éclectique» (Sylvie Patry) par goût et nécessité, ne s’est jamais borné à la promotion des modernes. La légende ici encore trahit les faits. Sous le Second Empire, outre Delacroix, Millet et les paysagistes de Barbizon, il spécule sur Fromentin et Daubigny, mais aussi Cabanel, Bouguereau et Bonnat : «J’achetai ou je commandai, dans le cours des différentes années qui suivirent, à tous ces peintres une quantité de tableaux dont nous trouvâmes plus aisément la vente que celles de nos œuvres de prédilection.» Quant au Salon des Refusés? «Je ne crois pas être allé voir ce Salon. Ce qui prouve à quel point j’étais absorbé par mon travail au magasin et par la campagne que je menais en faveur de mes peintres favoris. Ce fut une faute de ma part […].» Il en commit d’autres, comme de ne jamais s’intéresser à Manet avant 1872. «J’avoue franchement que jusque-là je n’avais jamais regardé sérieusement les œuvres de Manet.» On connaît bien l’histoire de cet achat à deux temps. Chez Alfred Stevens, Durand-Ruel découvre d’abord deux toiles, Le Port de Boulogne au clair de lune (Orsay) et Le Saumon que Gautier avait signalé en son temps. Peu de jours après, il en acheta 23 autres pour 35000 francs. Une misère quand on songe à sa moisson, de La Chanteuse des rues au Christ du Met, du Chanteur espagnol au Combat du Kearsarge, et quand on se souvient qu’il avait payé la tapageuse Salomé de Regnault 12000 francs en 1870, avant de partir pour Londres. Comme le souligne Simon Kelly dans le catalogue, Durand-Ruel était tout sauf un ingénu en matière d’art, il sut faire du stock sur un peintre qui montait. Son flair, indéniable, ne doit pas nous dissimuler son intraitable agilité financière. Doit-on oublier qu’il paya Manet par traites, et qu’il revendit vite certaines de ses toiles avec un sérieux bénéfice. Le Combat du Kearsarge, acheté 3000 francs, est cédé 5000 dès le 17 novembre! « Manet étonnant », disait Fantin-Latour en 1871. Étonnant Durand-Ruel, répond l’écho. Stéphane Guégan

*Édouard Manet, Correspondance du siège de Paris et de la Commune 1870-1871, textes réunis et présentés par Samuel Rodary, L’Echoppe, 24€. Ces lettres de Manet m’ont convaincu que le fameux Léon n’était ni son fils ni son demi-frère.

 *Paul Durand-Ruel, Le Pari de l’impressionnisme, Musée du Luxembourg, jusqu’au 8 février 2015. Catalogue sous la direction de Sylvie Patry, RMN éditions / Musée du Luxembourg-Sénat, 35€.

*Paul Durand-Ruel, Mémoires du marchand des impressionnistes, ouvrage revu, corrigé et annoté par Paul-Louis Durand-Ruel et Flavie Durand-Ruel, Flammarion, 2014, 32€.

*Claire Durand-Ruel Snollaerts, Paul Durand-Ruel. Le marchand des impressionnistes, Gallimard / RMN Grand Palais, 8,90€.

Sartre, Masson, même combat !

De tous les hommes pressés de la Libération, Jean-Paul Sartre ne fut pas le dernier à prendre la parole et à se situer. Il le fit vite, il le fit bien. J’entends par là qu’il refusa de se dérober aux responsabilités que lui assignait son parcours sous l’Occupation, un parcours dont il dira lui-même – si on le lit bien au lieu de l’agonir bêtement – qu’il avait été aussi ambigu que la vie sous la botte. Les Lettres françaises, qui publient sa célèbre note sur Drieu la Rochelle dès avril 1943, Combat et Le Figaro, c’est-à-dire Camus et Pierre Brisson, accueillent sa prose atypique, directe et chargée à la fois, à partir de septembre 1944. Cette variété de supports est dans la manière d’un écrivain confirmé qu’aucun dogmatisme n’a encore condamné à la parole unique. La souplesse d’esprit du Sartre d’alors donne une fraîcheur superbe à la nouvelle édition de Situations, II, plus respectueuse de la chronologie. En plus des articles qu’il rédigea pendant et après son voyage en Amérique du Nord, où Sartre était parti en janvier 1945 à la rencontre des libérateurs du vieux monde, le lecteur y trouvera les différents témoignages d’un Parisien libéré, qu’on questionnait sur ses « années noires ».

« La République du silence », qui ouvre Situations, II et répond au livre de Vercors dès son titre, obéit à la loi des incipit fracassants chers à Simon Leys : « Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande. » Écrire cela dans les Lettres françaises du 9 septembre 1944, sous l’œil d’Aragon et d’Éluard, Fouquier-Tinville gémellaires des comités d’épuration, prend aujourd’hui une saveur et une valeur particulières. La suite ne déçoit pas. Par une astuce rhétorique digne d’un bon normalien, Sartre retourne aussitôt sa phrase liminaire en montrant que la première des libertés, entre juin 1940 et juin 1944, consista justement à combattre ceux qui en privaient les Français. Sartre lui-même avait-il agi ainsi, s’était-il battu, s’était-il conformé à cette éthique du choix en choisissant le silence et la Résistance ? C’est peut-être là que ce texte notoire surprend le plus avec le recul. Au lieu de prendre la pose et de jouer les maquisards de l’intérieur, Sartre parle au nom de ceux qui traversèrent la période en godillant, conscients des paradoxes auxquels les exposaient la nécessité ou le désir de rester actifs sous le regard de Vichy et de Berlin. Persécutions et privations ont nourri, de fait, la pensée de l’existentialisme en ce qu’elles vivifièrent au cœur du quotidien le défi de la mort et de son dépassement. Si « chacun de nos gestes avait le poids d’un engagement », c’est bien qu’il y eut mille manières de dire non aux Allemands.

Un mois plus tard, « Paris sous l’occupation » parut dans La France libre, mensuel né à Londres dès novembre 1940. Raymond Aron en était à la fois la tête pensante et la cheville ouvrière. De ce texte majeur, qui se rattache à la tradition des Choses vues d’Hugo et des Tableaux de siège de Gautier, on pourrait commenter chaque argument, depuis l’« ennemi trop familier qu’on n’arrive pas à haïr » jusqu’aux épreuves des bombardements alliés. On retiendra plutôt ici le refus d’avouer la formidable effervescence qui s’empara de la vie des arts dès la fin 1940 et dont le théâtre de Sartre fut l’un des aspects, majeurs ou mineurs, selon les commentateurs. L’auteur des Mouches avait peut-être la mémoire courte,  son sens de la formule n’en restait pas moins exceptionnel : « Chacun de nos actes était ambigu : nous ne savions jamais si nous devions tout à fait nous blâmer ou tout à fait nous approuver ; un venin subtil empoisonnait les meilleures entreprises. » Le droit de parole, le droit de créer avait son prix.

Sartre notait enfin que le « mur », non content de couper le pays en deux, l’avait isolé de l’Angleterre et de l’Amérique. Ce fut une souffrance pour cet amateur de littérature et de cinéma anglo-saxons. Il put s’en gaver à nouveau lors du séjour rappelé plus haut. L’Office américain d’information sur la guerre lui permit ainsi de passer quelques mois entre New York et Los Angeles. Il lui était donné tout loisir d’observer la nation américaine dans ses ultimes efforts de guerre et les premiers moments de la Reconstruction. Sans négliger sa feuille de route, quitte à l’étendre aux sujets qui fâchent comme le « problème noir », Sartre glisse très vite du bilan impersonnel à la collecte d’impressions aussi vivantes que variées. Les bars, la rue, le cinoche, les filles… Il croise en chemin l’amour de Dolorès Vanetti et quelques artistes exilés, qui se préparent à rentrer… André Masson, le plus grand d’entre eux, lui ouvre l’atelier de son ami Calder. On retrouve ici son texte à venir sur les mobiles de cette sculpture en fête, qui fait du mouvement son être propre. Mais Masson pousse aussi Sartre à fréquenter la « cantine gaulliste » que la maman de Betsy Jolas a ouverte à New York. La Marseillaise n’avait pas été seulement le rendez-vous des matelots français en attente d’affectation. On y voyait des tableaux de Fernand Léger et de Masson. Le patriotisme de ce dernier, cause de sa rupture définitive avec André Breton, est presque absent de l’actuelle exposition L’Art en guerre. Françoise Levaillant a beau parler d’« une résistance de l’exil » dans le catalogue, on eût aimé voir sur les murs des tableaux aussi significatifs que Résistance (MNAM) et Oradour (coll. part.). Sartre aussi. Stéphane Guégan

*Jean-Paul Sartre, Situations, II, nouvelle édition revue et augmentée par Arlette Elkaïm-Sartre, Gallimard, 25€. À propos de Masson, on lit encore ceci, p.125 : « Kisling, Masson se sont plaints souvent de ce que le paysage urbain des États-Unis incite peu à la peinture. C’est en partie, je crois, parce que les villes sont déjà peintes. Elles n’ont pas les couleurs hésitantes des nôtres. Que faire de ces teintes qui sont déjà de l’art ou, du moins, de l’artifice ? Les laisser où elles sont. »

*Laurence Bertrand Dorléac et Jacqueline Munck (dir.), L’Art en guerre. France 1938-1947, Paris-Musée, 39€ [catalogue de l’exposition visible jusqu’au 17 février 2013].

*Michel Guerrin, « Créer sous l’œil des nazis », Le Monde, Culture & Idées, 8 décembre 2012.

*Stéphane Guégan (dir.), Les Arts sous l’occupation, Beaux-Arts Éditions, 39,50€.

L’intrus de la semaine…

*Maryse Aleksandrowski, Alain Mathieu et Dominique Lobstein, Henry Jules Jean Geoffroy dit Géo, Editions Librairie des Musées, 39€.

À sa mort, en 1924, il n’était déjà plus que l’homme d’un seul tableau, qui datait des années glorieuses. Jean Geoffroy avait choisi son heure pour exposer Le Jour de visite à l’hôpital, le Salon de 1889 coïncidant avec le centenaire de la grande révolution. Son tableau, qui pinçait la corde sensible avec une retenue dont le peintre n’était pas coutumier, montre un prolétaire endimanché au chevet de son fils dont l’immense lassitude est merveilleusement rendue. Un léger sourire flotte sur ce beau visage fiévreux aux yeux clos. La pâleur de l’enfant, d’abord inquiétante, s’accorde en fait à la blancheur dominante, heureuse, du tableau. C’est qu’il s’agit de montrer avec éclat combien la santé et l’hygiène publiques sont désormais une des priorités de la République radicale. Paul Mantz, vieux romantique converti au réalisme et ancien directeur des Beaux-Arts (1881-1882), pouvait y aller d’un commentaire très favorable : « Il y a du sentiment dans cette peinture, mais une sorte de sentiment silencieux et sans gestes. Le tableau est très moderne, et c’est un des meilleurs que M. Geoffroy nous ait encore montrés. » Mantz ne se trompait pas puisque Vuillard et Picasso allaient vite paraphraser l’œuvre que l’État acheta aussitôt pour le musée du Luxembourg. Il resta en place jusqu’en 1926, avant de rejoindre la mairie de Vichy et de connaître l’oubli. Le Luxembourg, marchepied du Louvre depuis 1817, avait cessé de l’être. Pour le naturalisme de la IIIe République, le plus porté en théorie à l’émotion et au message directs sous la sensiblerie, un long purgatoire débutait. Adieu les pages édifiantes du Grand Larousse, adieu les musées… Comme toute proscription massive, l’exil des maîtres de la peinture sociale eut de fâcheuses conséquences. Aux tableaux perdus, volés ou endommagés s’est vite ajoutée une incompréhension générale. Aussi faut-il accueillir avec bienveillance et intérêt le présent collectif en dépit de sa disparité de ton et de son parti un peu linéaire. La carrière de Geoffroy, désormais mieux renseignée, met en jeu un grand nombre d’acteurs et d’instances, du monde de l’art à la propagande républicaine, du monde scolaire à l’organisation de la charité privée, des terroirs à l’Algérie française. Cette peinture, souvent trop souriante ou trop lacrymale, sut aussi sortir de sa fonction ancillaire et parler vrai des inévitables duretés de la Belle Epoque. Sans doute la double leçon de Boilly et d’Hetzel y est-elle pour beaucoup. SG