RÉPARATION

Jamais content, Ferdinand… Si on l’écoutait, il n’y aurait pas d’écrivain français plus persécuté que lui. C’est bien simple, Céline complète la trinité du malheur entre François Villon et Charles Baudelaire, frères en génie, frères en avanies. Aux deux extrémités de son existence, le guignon et la malveillance ne l’auraient pas lâché : Voyage au bout de la nuit est frustré du Goncourt 1932 (au profit de Guy Mazeline !!!), et presque trente ans plus tard, le pestiféré de Meudon s’efface, un jour de canicule, nu comme l’innocence, sans avoir reçu la béatification de La Pléiade, son dernier vœu. Céline eut son lot de misères et de dèche, lui qui était loin de détester l’argent, accumula les blessures, au corps, à la tête, à l’âme, souffrit de remords tenaces ou pires, on ne saurait le nier. Mais qui peut croire encore à la mise en scène du naufrage final, ignorer le dandysme inversé du clochard des années 1950, inverse et analogue aux costumes un peu voyants qui entrent très tôt dans sa panoplie de séducteur ? L’Album Louis-Ferdinand Céline, que signe Frédéric Vitoux, nous offre une brève, mais intense et complice, immersion au cœur d’un des auteurs les plus adulés et disputés de l’heure, il nous ouvre aussi sa riche garde-robe (en tous sens) et fouille ainsi sa maîtrise des apparences autant que son fanatisme du style (1). Pour poser, Céline aura posé, bel enfant, bel adolescent à grandes oreilles, bel homme au regard clair, bel officier sans moustache et bel épouvantail de la France foudroyée par deux guerres et une Occupation dont elle eut tant de mal à se relever. L’Album de la Pléiade en déroule le film, les acteurs, les seconds rôles, les extérieurs, les romances et les haines, les grandeurs et les bassesses, voire les graves erreurs d’aiguillage, avec allant, impartialité et jolies surprises. Cette chienne de vie vaut toujours mieux que ses bilans les plus sombres… Double était la difficulté de l’exercice, un sujet très sensible, un objet dangereux, le premier parce que la biographie de Céline demande à ré-apprivoiser ses recoins multiples, le second parce que l’image dont abonde l’Album doit conserver sa valeur propre, ne pas être ravalée au rang de banal appoint. Quoique conscient comme personne des pièges à éviter, l’apologie béate ou la liquidation bienpensante, Vitoux n’a pas cru utile de sacrifier sa verve aux exigences de la vérité, et l’enthousiasme de servir son écrivain de prédilection à l’inventaire non fardé de ses faits et gestes. Car, quitte à parler du machisme de Céline, de son antisémitisme et de son comportement sous la botte, la rigueur, l’histoire et la part du contradictoire doivent être préférées aux jugements expéditifs et aux anachronismes (2). Les manuscrits retrouvés ne sont pas d’un mince apport à cet égard, et Vitoux l’a bien compris. On verra plus loin ce que Guerre et surtout Londres possèdent de littérairement fertile, retenons d’abord combien ils confirment la valeur de thèmes (la santé du sexe libre) et de figures (celle, positive, du médecin juif), qui devaient nourrir la relance romanesque de Céline à partir du grandiose Guignol’s band, et même hanter les pamphlets dont Lucien Combelle, qui condamna leur surenchère incontrôlée en 1942, aimait à citer un des exergues pascaliens : « Dieu est en réparation » (3).

Il y a peut-être du catholique blessé, et certainement du catholique inaccompli chez l’écrivain Céline : « C’est Bloy moins Dieu », écrivait Drieu en 1941. Entendons : Bloy en quête de Dieu. Bernanos, sous le choc du Voyage, s’interroge dès 1932. Ce christianisme inaccessible (Céline, baptisé, ne fut pas un saint pour lui-même à rebours de son cher Baudelaire) doit-il être mis en relation avec la noirceur de son rapport à la vie et, sur le terrain de la politique raciale, avec l’idée funeste et obsessionnelle d’une extradition des Juifs hors de France, à tout le moins hors de l’appareil politique et économique du pays ? Si monstrueux que cela nous apparaisse aujourd’hui, et si détestables que furent les positions de l’écrivain au sortir du Front populaire, il existait des limites à la xénophobie célinienne, empreinte d’hygiénisme affolé, de haine sociale et surtout du « plus-jamais-ça » des pacifistes (Léon Poliakov l’a bien repéré en 1955, rappelle Vitoux). Faut-il répéter que la violence torrentielle de Bagatelles pour un massacre et des Beaux draps, avant et après juin 40 donc, n’équivalait pas à un appel au pogrom et intégrait la conscience de ses excès verbaux et autres, comme Gide l’écrit en avril 1938, après la parution du premier des trois pamphlets. On y croise, du reste, le docteur René Gutmann, ami de Céline, et l’une des voix de cette polyphonie devenue aujourd’hui inaudible, la voix la plus accusatrice de la dérive des mots : « Tu délires Ferdinand […] Je vais te faire interner ! […] Tu nous fouteras la paix… tu retourneras à tes romans… si t’es sage t’auras un crayon… D’abord c’est des insanités… la race ça n’existe plus… c’est des mythes… ». Il faut prêter la plus grande attention à ces médecins juifs, transférés d’un manuscrit à l’autre, entre le milieu des années 1930 et la fin de la guerre, nous disent avec justesse Régis Tettamanzi et Alain Pagès (4). Une bienveillance inattendue enveloppe ainsi le docteur Yugenbitz, proche des macs de Londres, promis à devenir le Clodovitz de Guignol’s band. Dix ans séparent les deux textes, dix ans qui auraient dû pousser Céline à accorder le roman de 1944 aux préjugés et stéréotypes raciaux des pamphlets. Il n’en fut rien, il n’en fit rien. Jacques de Lesdain, le 2 juin 1944, lui reproche publiquement de ne plus « se brûler les doigts aux sujets actuels. Le grand destructeur des Juifs oublie jusqu’à l’existence d’Israël. Qu’a-t-il fait des promesses implicitement contenues dans ses livres précédents ? » On doit à François Gibault, dont la biographie de Céline fit date et reparaît, d’avoir enregistré d’autres réserves de la presse de la Collaboration à l’égard d’un écrivain qui lui confia pourtant ses « lettres ouvertes » les plus compromettantes (5). Outre ceux qui trouvaient immoral, ordurier, son style, certains s’inquiétaient, notamment les énervés de Je suis partout, du moindre fléchissement de l’ardeur antisémite de l’écrivain. Ainsi Henri Poulain regrettait-il que Les Beaux draps ne donnassent pas « la vedette » aux Juifs, comme si l’écrivain avait tenu compte du leur « statut » déjà dégradé par Vichy. Les mêmes folliculaires s’emportèrent contre Guignol’s band quelques semaines avant la Libération de Paris. « On attendait autre chose », résume l’un d’eux. Clodovitz ne passait pas… Ces mêmes journalistes eussent hurlé à la verdeur érotique de Londres, dont Gibault avait deviné, bien avant sa réapparition, ce qu’il révélerait des liens du Céline de 1915-1916 avec le proxénétisme, et de l’énergie, tantôt priapique, tantôt voyeuriste, de l’ex-cuirassier Destouches, amoché, et privé encore de l’écriture salvatrice.    

Elle se déchaîne à l’état natif, c’est-à-dire au stade du manuscrit : Londres, resté du plus haut scabreux, le manifeste mieux que Guerre et que La Volonté du Roi Krogold, les deux autres miraculés de l’été 2021, deux récits de renaissance, au sens premier. Guerre est à Balzac et Barbusse ce que Krogold est à Shakespeare et Flaubert : le lecteur assiste d’emblée à une agonie, avant de suivre le héros, soit Ferdinand et ses doubles, en leurs pérégrinations picaresques aux couleurs drues. La langue du haut réalisme n’a pas à être pure, incolore et inodore : Céline dit quelque part qu’on ne peut plus peindre après l’impressionnisme, tueur du faux-jour, comme avant. Parmi les trésors qu’il abandonna à Paris en juin 1944, on retrouva deux dessins de Degas, des danseuses, évidemment. La coupure de presse reproduite par l’Album Céline ne dit pas s’il s’agit d’originaux. L’écrivain avait les moyens de se les offrir. Qu’il ait décidé de ne pas les emporter, à l’instar de ces milliers de feuilles manuscrites séquencées par des pinces à linge, ne laisse aucun doute sur sa conviction qu’il reviendrait vite. De mauvaises langues ont préféré parler d’abandon afin de mieux diminuer, voire d’invalider, la valeur de textes qui ne mériteraient que celle de brouillons, plus ou moins lisibles et licites selon les papilles de chacun. Henri Godard et son éditeur ont tranché autrement et, réordonnant les premiers volumes de La Pléiade, ont fait place aux inédits, avec leurs imperfections, certes, avec leur lave brute surtout, leur mélange de scories, sublimités et force entraînante (6). La beauté du premier jet, c’est la beauté de l’esquisse en peinture. Encore Céline se méfie-t-il de l’instinct, de la spontanéité en art et pas plus que Baudelaire ne cède-t-il à l’illusion de l’écriture automatique (erreur d’un critique qui, en 1944, le comparait à André Breton !). Pour ne pas égaler le diamant de Guignol’s band qu’il prépare inconsciemment, Londres n’en constitue pas le « draft » informe et infâme.  D’autres raisons éminentes imposaient la fine réorganisation des tomes I et II de La Pléiade qui vient d’être opérée, la réapparition de scènes distraites de Casse-pipe et celle du « manuscrit de travail » de Mort à Crédit, dont Godard nous rappelle utilement les mésaventures initiales. Jugé obscène à maints endroits, le roman parut tout immaculé des mots gommés ou passages caviardés, et blanchis ironiquement, Céline ayant pris « un malin plaisir » à ne rien masquer des stigmates de la censure (Drieu fera de même, en décembre 1939, lors de la parution mutilée de Gilles). Il existe d’autres témoignages de l’exigence célinienne en matière de musique littéraire, rythme, son, sens. Les familiers de sa correspondance et de ses ratures en sont convaincus depuis fort longtemps. Mais le massif retrouvé, ses perles inattendues, ses ébauches en déshabillé ou plutôt au travail, dépasse les espérances les plus folles. « On n’en finit pas de redécouvrir l’œuvre de Céline », a pu écrire Pascal Fouché, aujourd’hui associé à la refonte de La Pléiade. Sonné par le manuscrit de Voyage, ressurgi en 2001, ce grand connaisseur de l’écrivain ne savait pas si bien dire. Vingt ans plus tard, la féérie crève le plafond de verre, cette épaisse cloison de mystères, de refoulé historique et d’impératif éclaircissement. Alors, Ferdinand, content ?

Stéphane Guégan

(1)Frédéric Vitoux, de l’Académie française, Album Louis-Ferdinand Céline, offert par votre libraire pour tout achat de trois volumes de La Pléiade, Gallimard ; le même auteur et le même éditeur proposent une nouvelle édition, revue et augmentée de La Vie de Céline (Folio, 15,50€), augmentée notamment de l’apport multiple des manuscrits retrouvés. L’exergue emprunté à Ferdinand annonce bien le ton de cette grande biographie, souvent rééditée depuis 1988 : « L’âme n’est chaude que de son mystère » // (2) Voir, au sujet de ses agissements réels ou supposés sous l’Occupation Stéphane Guégan, « Faut-il brûler Céline?« , Revue des deux mondes, mai 2017, p. 13-17 // (3) Sur Lucien Combelle, que François Gibault a souvent interrogé, voir le beau livre de Pierre Assouline (Calmann-Lévy, 1997) et ma notice du Dictionnaire Drieu (Bouquins, 2023) // (4) Voir l’excellente préface de Régis Tettamanzi à son édition de Londres, 2022, Gallimard et Yves Pagès, « Londres : hors champ cosmopolite pour apatrides désenchantés », NRF, printemps 2023, Gallimard, 18€, livraison assortie d’un dossier célinien. Il contient aussi, preuve que Londres va continuer à peser sur l’exégèse, un article d’Alban Cérisier centré sur le personnage de la bien nommée Angèle, incarnation du rut de la vie que Guignol’s band va un peu refroidir. Henri Godard (voir note 6) nous apprend que le manuscrit de Guerre (où la jeune prostituée explose déjà) présentait une allusion biffée : « on aurait dit une juive ». Faut-il rappeler que Céline a eu de nombreuses amantes juives ? Outre le texte désopilant et informé de Philippe Bordas, qui ressuscite le vélo volé de Céline, évaporé même au contraire des manuscrits, mais symbole à riches facettes, le dossier de la NRF exhume une nouvelle inédite (La vieille dégoûtante) ; très antérieure au Voyage, elle frappe par sa prescience de thèmes durables, la police des mœurs et la délation ordinaire // (5) François Gibault, Céline, Bouquins, 32€. D’une information souvent inédite à sa date et de style mordant, ce triptyque (1977-1985), qui attendait de revenir en librairie, contient Le Temps des espérances (1894-1932), Délires et persécutions (1932-1944) et Cavalier de l’Apocalypse (1944-1961). Hautement recommandable. // (6) Céline, Romans 1932-1934 et Romans 1936-1947, édition établie par Henri Godard avec Pascal Fouché et Régis Tettamanzi, Gallimard, La Pléiade, 70,50€ et 78,50€. Notons que La Volonté du roi Krogold a fait l’objet d’une édition séparée, établie par Véronique Chovin, Gallimard, 22 €. // (7) Signalons, sur un sujet plus souvent nommé que glosé, l’essai passionnant de David Labreure, Céline le médecin-écrivain, Bartillat, 25€. « Céline a le sens de la santé», écrivait Drieu en 1941, le fanatisme de l’hygiène, eût-il fallu dire. Cet hygiénisme vient d’un temps, la fin du XIXe siècle, et d’un milieu, la petite bourgeoisie malthusienne et diminuée (une mère boiteuse), qui professent le culte de la santé publique, l’une des préoccupations majeures de la IIIe République. Céline n’a jamais tué en lui le jeune médecin qui précéda l’écrivain et lui survécut marginalement. Sa vocation se situe assez loin de la littérature au départ : les expédients cliniques de 14-18, dont il aurait pu être la victime, et la misère sanitaire et autre des classes populaires le marquèrent à jamais ; les missions de la SDN, la découverte effrayée de l’abrutissement du travail à la chaîne aux USA, et la lecture des mauvais livres agiront sur un terrain favorable aux angoisses de la contamination générale, de la dégénérescence et du péril étranger. Après avoir consacré une thèse vengeresse à Ignace Philippe Semmelweis (1924), avant-courrier occulté de Pasteur, Céline va greffer partout le thème médical, les premiers grands romans, les parias de l’East End londonien et, plus durement, plus obsessionnellement, les pamphlets antisémites. Quand il n’est pas apparenté à un agent de contagion, le juif y est accusé de tirer profit des masses sur-alcoolisées et sur-exploitées. La dénonciation des sanies de toutes natures se fait furieuse, scabreuse et scatologique, écho possible des traumatismes des l’enfance, nous dit David Labreure, dont le savoir et le scalpel font froid dans le dos. Comment concilier le médecin de quartier, le bénédictin de la zone, le samaritain des réprouvés, le propagandiste rageur et l’hygiéniste ou l’artiste aliéné à sa propre cause ? // (8) Voir enfin Stéphane Guégan, « Drieu, politique du roman », Commentaire, n° 182, été 2023. SG

COLD WAR ?

De la fascination que Drieu exerça sur François Mauriac (1885-1969), son aîné de presque dix ans, les preuves abondent, diverses, passionnées et donc contradictoires. Cet attrait multiple, qui ne fut pas sans retour, résista à tout ce qui les séparait, socialement, politiquement et sexuellement. Est-ce le mystère d’un tel miracle, pour parler comme nos deux catholiques, qui gêne celles et ceux que ce rapprochement a occupés ou préoccupés (1) ? Commençons par les faits, si chers à Drieu : Mauriac a  beaucoup écrit sur son cadet, sur lui, pour lui et contre lui. En comparaison, les héritiers putatifs du feu follet des lettres françaises, nos Hussards, ont préféré la concision extrême, se contentant le plus souvent d’un salut amical au-dessus de la mort héroïque, propre, du grand frère disparu. Le silence des orphelins possède sa beauté, ils n’en sortent qu’avec pudeur. Ainsi le Nimier de 1949, résumant ce que fut la littérature de l’entre-deux-guerres, déclasse-t-il sans hésiter le surréalisme, rival institué du sartrisme, au profit du « romantisme des années 1930 ». A sa tête, il place « l’accent fiévreux » de Drieu et lui associe Céline et Bernanos, mais aussi Malraux, mais encore Mauriac, ne l’oublions pas… Chez Nimier, l’écrivain peut faiblir, faillir, le lecteur ne se trompe jamais. Mauriac, pareillement, a lu et très bien lu Drieu, dès le début des années 1920, alors que le jeune écrivain fréquente le milieu Dada, la faune du Bœuf sur le toit et la NRF. Son cadet lui apparaît dans l’éclat rimbaldien des poètes que la guerre de 14 a brisés et révélés du même élan. Le nietzschéisme d’Interrogation (1917) et d’Etat-civil (1921) aurait pu l’en détourner, il ne suffit pas à désarmer Mauriac, quoique de longue date hostile à l’exaltation de la violence et de la force salvatrices. Au contraire, la folle jeunesse de l’après-guerre, ces survivants en surchauffe, suscite autant sa compassion, sa curiosité qu’elle le tente, et active les désirs d’une homosexualité qui n’ose se vivre, se dire, et que Drieu a tôt devinée. Nous mesurons mieux aujourd’hui le vif intérêt que Mauriac et son ami Jacques-Emile Blanche portent alors à Jacques Rigaut, dadaïste sans œuvre et bisexuel suicidaire, que Drieu a sauvé de la mort fin 1920, avant de multiplier les tombeaux littéraires et les chants funéraires, La Valise vide préfigurant la fin tragique de son modèle, Le Feu follet la consacrant et la désacralisant tout à la fois (2). Mauriac, plutôt révolté par la nouvelle de 1923, fut de ceux, rares si l’on en juge par le mutisme de la NRF, que secoua le roman de 1931 : Le Feu follet a confirmé Drieu, sa vigueur neuve, ironique, comme son «rôle de témoin», note lucidement Mauriac dans Les Nouvelles littéraires d’août 1932. Avant qu’il ne soutienne ainsi ce « portrait magistral d’un des enfants perdus que nous n’avons pas été dignes de sauver », l’auteur de Thérèse Desqueyroux a plébiscité le Blèche de Drieu (1928), roman analogue aux siens en ce qu’ils creusent l’écart entre « la sexualité des personnages et leur religion ». Mauriac tenta de faire obtenir un prix littéraire à cette satire de l’imposture bourgeoise et des sacrifices trompés, récompense qui eût consacré sa proximité avec Drieu à la veille des grandes turbulences.

L’affaire éthiopienne et la guerre d’Espagne, en 1935-36, sont facteurs de clivage. De Mauriac avec lui-même : celui qui avait milité avec Le Sillon, à vingt ans, s’est rapproché de l’antiparlementarisme de droite au temps de l’affaire Stavisky et des remous du 6 février 1934. De Mauriac avec Drieu, qui cherche du côté du néo-socialisme à poigne : l’éloignement s’aggrave après juin 1940, et le choix de la collaboration où s’engage Drieu selon des modalités et une attitude qu’on aime à simplifier ou à caricaturer. Mauriac, qui fut longtemps barrésien, n’afficha guère de sympathie pour le Front Populaire, se rangea parmi les Munichois avant de se déclarer un temps maréchaliste, avait beaucoup aimé Gilles. La lettre qu’il adresse à Drieu en janvier 1940 n’hésite pas à parler d’un livre « essentiel, vraiment chargé d’un terrible poids de souffrance et d’erreur ». C’est aussi par son érotisme cru, roboratif, œcuménique, que Gilles est « grand », « beau », générationnel. Le point d’achoppement, ce sera donc ce socialisme fasciste où Drieu, greffier des couleurs instables d’une époque mouvante, joue sa vie après juin 40, non sans comprendre très vite que le cours des choses trahira ses espoirs de révolution européenne. La critique actuelle reproche à Drieu d’avoir agi et parlé en guerrier lors des polémiques de l’Occupation, oubliant que ses adversaires en faisaient autant et que le niveau de tolérance, d’une zone à l’autre, était assez élevé. On sait que Drieu n’épargne pas  Mauriac dans La Gerbe du 10 juillet 1941, alors qu’a débuté l’invasion allemande de la Russie, il l’accuse de faire, comme en 1936 par anti-franquisme, le jeu des communistes, sous couvert d’indiquer aux catholiques le bon chemin. En usant du double entendre, Mauriac venait de donner un article en ce sens à L’Hebdomadaire du Temps nouveau, revue d’inspiration chrétienne et crypto-gaulliste qui succédait à Temps présent : « Vous avez rompu le silence, écrit-il à Mauriac, le 15 juillet 1941, je ne puis le garder. » Par courrier privé, Mauriac fit savoir à Drieu ce qu’il pensait de cette attaque qu’il jugeait inique, il n’estima pas toutefois utile de se brouiller avec le polémiste endiablé, contrairement à ce que certains historiens laissent entendre afin d’incriminer chaque parole prononcée par Drieu sous la botte. En février précédent, Mauriac avait dîné chez son ami Ramon Fernandez, en compagnie de l’auteur de Gilles, et noté leur commune peur des représailles « en cas de défaite ». Les menaces d’assassinat sont pourtant loin d’avoir abattu les deux hommes de la NRF… Tout en regrettant la ligne que Drieu avait donnée à la revue depuis décembre 1940, Mauriac n’a pas condamné la relance de la prestigieuse vitrine du génie français, opérée sous l’œil de l’occupant. N’envisagea-t-il pas, quelque temps encore, de contribuer à la revue de Gallimard, pourvu que son directeur en transformât la teneur, la mît au-dessus ou en dehors de la politique ? Ce qui le refroidit, en revanche, ce fut la recension que Drieu y signa de La Pharisienne en septembre 1941, terrible par ses réserves quant à l’écrivain cette fois, et cruel quant à la noirceur jugulée de ce roman trop plein de son narrateur et trop sage au regard de ceux de Dostoïevski, leur commune admiration. Plus dures sont les conclusions de Notes pour comprendre le siècle (Gallimard, 1941) dont les astres en matière d’écriture catholique sont Rimbaud, Huysmans, Léon Bloy, Péguy, Claudel et Bernanos… Au printemps 1942, alors que Paulhan entendait prendre le contrôle de la NRF par un effet de billard à trois bandes, il crut possible de faire entrer Mauriac dans un nouveau comité de rédaction. Mais Drieu refusa net et laissa dériver encore le vaisseau amiral jusqu’au début 1943. Les ponts étaient alors coupés avec l’auteur du Cahier noir (3), ils se reverront pourtant aux funérailles parisiennes de Ramon Fernandez, le 5 août 1944, moins d’une semaine avant que Drieu ne tente de mettre fin à ses jours. Se parlèrent-ils ? C’est plus surement la mort de Drieu, le 15 mars 1945, qui pousse le dialogue à renaître. Mauriac, le 20, dans Le Figaro, se garde bien de hurler avec les loups de L’Humanité et de Front national. S’il juge durement les choix politiques de Drieu, il dit « l’amère pitié » que lui inspire la fin de « bête traquée » du combattant de 14, « ce garçon français qui s’est durant quatre ans battu pour la France, qui aurait pu mourir aux Dardannelles ». Mauriac n’en avait pas fini avec « Drieu, le beau, le prestigieux Drieu des années mortes (4). » Stéphane Guégan

(1) L’excellent Dictionnaire François Mauriac (sous la direction de Caroline Casseville et Jean Touzot, Honoré Champion Editeur, 2019, 150€) consacre l’une de ses notices les plus fournies à Drieu la Rochelle. Claude Lesbats y fait son miel des similarités de départ : milieu bourgeois, père disparu ou nié, collèges marianistes (erreur : mariste, dans le cas de Drieu), expérience écrasante de la guerre de 14… Il pointe les convergences des années folles, mais sacrifie banalement à la vulgate sartrienne (la haine de soi) ou à la thèse de l’homosexualité refoulée, cause supposée chez Drieu de son donjuanisme et de sa conversion au fascisme (lequel se voit presque réduit au culte de la force virile). Julien Hervier  (Drieu la Rochelle. Une histoire de désamours, Gallimard, 2018) a déconstruit le mythe de l’inversion rentrée et donc sa valeur heuristique. Il eût plutôt fallu souligner la séduction physique que Drieu exerçait, sciemment parfois, sur les hommes de son entourage, autant que son libéralisme en matière de libido. Quant à son évolution politique et son attitude réelle sous l’Occupation, notamment l’aide qu’il apporta à Paulhan ou Colette Jéramec (sa première épouse, Juive de très bonne famille, qu’il sauva en avril 1943 de Drancy, et qui tenta de l’arracher en 1944-1945 aux Fouquier-Tinville de l’heure), il fait mentir les généralités du genre : « Chez Drieu la vision politique conditionne l’éthique individuelle, chez Mauriac la morale individuelle, fondée sur la foi, engendre l’engagement politique. » On ne saurait ignorer, par ailleurs, l’ancrage des choix de Drieu, en septembre 1940, dans les aspirations néo-socialistes, anti-capitalistes, anti-modernes, qu’il embrasse au cours de l’entre-deux-guerres (comme l’écrivait Pierre Andreu en 1958, « Drieu croyait à quelque chose »). La notice de Claude Lesbats minimise l’enthousiasme de Mauriac pour BlècheLe Feu follet et Gilles, glose trop peu les articles que Mauriac a rédigés sur Drieu et, plus encore, ceux de Drieu sur Mauriac. Par exemple, sa magnifique contribution à La Revue du siècle, en juillet-août 1933 (« Signification sociale »), attribue à l’auteur du Désert de l’amour le terrible bilan de santé d’une bourgeoisie provinciale aux désirs aigres et nauséeux, au catholicisme rance. Il nous manque aussi, au-delà des travaux de Jean-Baptiste Bruneau, une évaluation complète des hommages réconciliateurs que Mauriac a rendus à Drieu après 1945. De manière dispersée, mais cohérente (notices Brasillach, Chardonne, Paulhan, né en 1884, et non 1886), le Dictionnaire Mauriac rappelle comment ce dernier, après avoir fait partie du Comité national des écrivains téléguidé par les communistes, s’en fit le pourfendeur véhément et irrésistible. Les notices consacrées à l’Occupation et à Temps présent ne condensent pas la richesse des recherches de Jean Touzot sur le Mauriac d’alors. Ces réserves faites, cet ouvrage de 1200 pages force l’admiration à bien des égards /// (2) Voir Jean-Luc Bitton, Jacques Rigaut. Le suicidé magnifique, Gallimard, 2019, et ma recension dans La Revue des deux mondes, « Tu éjaculais le néant », février 2020 /// Au sujet du Cahier noir, voir mon blog du 27 novembre 2016 /// Pour citer Claude Mauriac et l’une des superbes pages du Temps immobile.

Verbatim (de saison)

« Drieu est celui qui, dans une épidémie, est frappée plus complètement, plus définitivement que les autres – celui qu’il ne faut pas quitter d’une semelle si l’on veut comprendre. » (Ramon Fernandez, « Plainte contre inconnu par Pierre Drieu la Rochelle », N. R. F., janvier 1925)

« Je dis homme de droite en parlant de Drieu. Je sais que l’expression n’est pas exacte. Drieu était plutôt au centre, non pas au centre politique, mais au centre nerveux, au centre magnétique des attractions et des tentations d’une génération. Il ressentait très fort tous les courants, tous les passages de force d’une époque. » (François Mauriac, « Présence de Drieu la Rochelle », Défense de l’Occident, février-mars 1958)

Le mélodrame dans Cold War de Pawel Pawlikowski / Valentine Guégan

Cold War, réalisé en 2018 par Pawel Pawlikowski, confirme les liens de proximité et de distance que le cinéaste entretient avec le mélodrame. Dès la première scène, lorsqu’on voit un groupe de paysans polonais jouer un air traditionnel au beau milieu de la campagne enneigée, s’amorce l’ambiguïté esthétique qui fait la richesse de l’œuvre : un contexte proprement mélodramatique, musical, populaire; des personnages qui nous prennent à partie en nous regardant droit dans les yeux; une pure chorégraphie musicale (la caméra panote successivement sur chacun des musiciens à mesure qu’ils se relaient dans le chant) sans lien avec la diégèse; mais aussi, en contre-point, la sobriété d’une esthétique du « tableau » méticuleusement composé, une recherche de réalisme acerbe qui rappelle la carrière de documentariste de Pawlikowski. Ultime « anomalie » dans cette scène introductive potentiellement annonciatrice d’un mélodrame, le réalisateur ne la clôt pas sur les musiciens qui, leur numéro fini, s’effaceraient pour laisser place à la fiction; il révèle par un dernier panoramique un enfant au visage marquant la perplexité et l’incompréhension, qui contemple la scène. Extérieure à l’action, cette figure d’incompréhension annonce la non-identification des protagonistes à la « chorégraphie » de l’histoire. Cold War raconte en effet une histoire d’amour impossible entre deux musiciens, Wiktor et Zula, ballotés entre les deux « blocs » est/ouest au temps de la guerre froide. Nouveaux Roméo et Juliette, les personnages tentent de s’aimer des deux côtés d’un monde irréconciliable et leur malheur provient justement de ce qu’aucun lieu ne semble épargné par la bipartition, aucun espace n’est suffisamment neutre pour accueillir le désintéressement amoureux. Ce « manque d’espace » est au cœur du projet esthétique de Pawlikowski qui épouse, par sa mise en scène, l’idée de la passion manquée faute d’espace (ce qui devient en langage scénique: faute de cadre). Partant, le film s’apparente moins à un mélodrame qu’à son envers: il est l’histoire d’un mélodrame impossible car les ingrédients qui s’y rattachent sont dans un même temps résorbés, contenus, frustrés, les sentiments ne semblant pas trouver d’issue mélodramatique – spectaculaire et pathétique – pour s’épancher. 

Cold War se rattache à un certain nombre de topoï mélodramatiques, au premier rang desquels une conception de l’amour absolu, transcendant et assimilable, sous certains aspects, au conte de fée. Le destin semble provoquer leur rencontre, au cours d’une scène où les personnages se « reconnaissent », saisis par l’évidence du coup de foudre: Wiktor, responsable d’une école de musique dont l’objectif est de former une troupe de musiciens folkloriques en l’honneur du parti soviétique, fait passer un casting afin d’en recruter les membres. C’est alors que Zula, l’une des candidates, s’impose à lui en dehors de toute rationalité (ses talents artistiques ne la distinguent pas particulièrement). Il dit d’elle qu’elle a « quelque chose », une grâce inexplicable. L’amour qui se développera entre Wiktor et Zula, de nature transcendante, apparaîtra durant tout le film comme la seule chose échappant au rationalisme (dans un monde où tout geste a une portée politique) mais aussi comme le domaine du « non-lieu » par excellence, résistant au temps et à l’absence (les personnages passent plus de temps séparés qu’ensemble). Cet amour absolu est aussi un amour « u-topique » au sens où aucun lieu ne semble être à même de l’accueillir.  

Car le drame du film réside dans l’incapacité des personnages à choisir un lieu et à s’y ancrer. D’un côté ou de l’autre, le sacrifice semble trop lourd à porter. A l’Est, au sein de la troupe de musique, Viktor ne supporte pas la pression des autorités qui voudraient faire des spectacles une célébration de Staline, mais lorsqu’il s’installe à Paris et que Zula vient le voir, le déracinement et la stigmatisation qu’elle ressent en tant qu’étrangère rendent à Zula la vie infernale. L’espace est bien ce qui constitue, pour reprendre la formule de Jean-Loup Bourget (Le Mélodrame hollywoodien, 1985),  « l’obstacle au bonheur » des personnages. Plus qu’un affrontement, la guerre froide est montrée comme étant un phénomène de politisation et de stigmatisation de l’espace, celui-ci étant sujet à une dichotomie que le film ne laisse pas de signaler. Ainsi les séquences à Paris font apparaître une ville d’émancipation, de licence, de désinvolture tandis que les séquences de spectacles à l’Est qualifient un espace de contrainte, de censure et de réglementation. Paris est montré dans tous les clichés qui lui sont attachés: des amoureux s’embrassant sur les bords de Seine, des cafés, des clubs de jazz où les corps se déchaînent. A l’Est, au contraire, c’est la rigueur, les formes rectilignes, la synchronisation. La musique redouble l’antithèse: à la frénésie créatrice et désordonnée du jazz s’oppose les chants populaires extrêmement ordonnés et mesurés, filmés par Pawlikowski comme une succession de tableaux à la composition figée.

Pour autant, le film ne s’en tient pas à la représentation d’un monde duel et encore moins ne prend le parti d’un côté plutôt qu’un autre. Si Paris métonymise le monde occidental et semble être un espace de liberté, les protagonistes n’y trouvent pas davantage le bonheur qu’à l’Est. Le film évacue ainsi tout manichéisme et finalement rejette la dichotomie car la tragédie de Cold War réside dans le fait que tout lieu est une entrave à la liberté et qu’il n’y a finalement pas d’espace pur. Se distanciant de la nature manichéiste du mélodrame, l’esthétique de Pawlikowski est davantage l’expression d’une quête tragique et sans fin d’absolu, une vaine tentative de sortie de la dialectique du bien et du mal, dans un monde incompatible avec de telles aspirations, où est exclue toute forme de spectaculaire, de pathos et dès lors, de mélodramatique. Pour traiter d’un drame « spatial », le réalisateur élabore une véritable problématique de l’espace dans la composition des plans et dans leur agencement, qui contrebalance sans cesse les accents mélodramatiques que l’on penserait voir s’affirmer. Les deux héros ont en effet rarement un « cadre » à eux-seuls, un espace d’isolement. Les quelques cadres qui leur sont propres sont eux-mêmes le signe d’une privation d’intimité: une scène d’amour dans les toilettes d’un train, une des scènes finales où Zula, ivre morte, s’échoue à ses côtés, une fois encore, dans des toilettes. L’espace des toilettes est l’indice marquant d’un amour réduit à la basse clandestinité et condamné à demeurer en dehors de la normalisation. Quelques autres scènes nous les montrent seuls: les séquences à Paris, une échappée dans une prairie qui a trait, pour un court instant, au lieu archétypal de la romance pastorale. Mais très vite les personnages se disputent, tout comme à Paris, ce qui laisse penser que leur amour, de nature clandestine, s’abîme dans l’intimité, car celle-ci leur révèle la nature illusoire de leur idylle. Aussi les deux héros ne bénéficient-ils pas de « favoritisme » visuel à l’écran, au sens où la caméra leur refuse l’intimité du cadre. 

Ce qui permet au film de poser la question du rapport entre individualité et collectif en Europe de l’Est où tout participe à l’effacement de l’individuation. La mise en scène porte ainsi l’accent, durant les représentations de la troupe (à mesure que celle-ci se plie aux exigences du Parti) sur l’homogénéité des corps et des visages, souriants, unidirectionnels, soumis. Zula y est peu isolée par la caméra et pourtant, le spectateur ne doute pas que son attention est toute entière portée sur Wiktor qui, de l’autre côté, dans le hors-champ du chef d’orchestre, coordonne l’ensemble. Pawlikowski, refusant la commodité d’un découpage qui isolerait Zula et Wiktor du reste et satisferait le spectateur (habitué que nous sommes au cinéma à ce que le découpage différencie le tout du monde insignifiant et les protagonistes singularisés par l’intrigue), s’impose ainsi la même épreuve que celle infligée aux héros: expérimenter la possibilité d’une histoire individuelle, singulière, au sein d’une collectivité qui tend vers l’uniformité et l’abolition de l’intime. Par ailleurs, la sobriété est également de mise dans le jeu des acteurs. L’accent n’est jamais mis sur l’extériorisation des sentiments mais au contraire, sur la contenance et la retenue dont font preuve les personnages jusqu’au bout. Les visages sont souvent impassibles, peu expressifs, mais les regards longs et pénétrants, sans que le réalisateur explicite toujours « l’objet » du regard. Dans la  scène de la petite réception qui succède à la première représentation de la troupe à Varsovie, Wiktor est adossé à un miroir mural avec une collègue, dans un grand angle qui laisse apercevoir la foule derrière eux. En réalité la foule se situe devant eux mais le miroir trompe le regard. Parmi cette foule indifférenciée, floutée à l’arrière-plan, Zula est assise à une table, sans que l’on puisse la discerner précisément. Pendant toute la longueur (assez conséquente) du plan, on ne sait pas si le regard de Wiktor est plongé dans la contemplation d’une chose en particulier ou tout à fait perdu vers l’horizon. Ce n’est qu’à la fin de la scène que la caméra révèle, en contre-champ, Zula en train de lui rendre son regard plein de désir.

Leur complicité est donc comprise rétrospectivement et « intellectuellement », comme c’est souvent le cas dans le film qui privilégie la pudeur, la discrétion et en appelle à la réflexion du spectateur au détriment de la dramatisation et de la mission première du mélodrame: émouvoir. En cela, la caméra répressive de Cold War laisse souvent le spectateur dans la frustration de ce qu’il voudrait voir. Pawlikowski s’en tient à montrer le strict nécessaire à la compréhension, éliminant tout le superflu, notamment dans son refus quasi systématique du champ/contre-champ. Il s’approprie le concept du « montage interdit » bazinien selon lequel le réalisme prend en ampleur et en valeur (au sens métaphysique du terme) sans découpage et sans montage car ainsi le mystère du réel demeure entier et l’intelligence du spectateur sollicitée pour le sonder. Ainsi, au montage qui explicite l’espace et les points de vue des personnages, le réalisateur substitue des longs plans fixes, épousant un unique point de vue, obligeant le spectateur à penser le hors-champ et parfois à douter de ce qui se joue. Le film trompe ainsi nos attentes, nos envies de romantisme justement héritées de la tradition mélodramatique. La caméra s’en tient à une frontière infranchissable ne permettant pas le raccord, laissant les personnages dans leur séparation. Ce choix du non-raccord peut se considérer comme étant la formule esthétique d’un film portant sur la séparation et la frontière. 

Le fait de réduire le découpage à son utilisation la plus restreinte renforce aussi le sentiment d’immobilité produit par le plan long et fixe, sentiment qui semble être à l’origine du désespoir des personnages. La narration rend en effet visible une contradiction: le fait que les personnages, alors même qu’ils traversent une multiplicité de lieux et de décors (le film s’étale sur la période 1949-1959), éprouvent un sentiment permanent de « sur place », sentiment de stagnation qui les suit au fil des années et en dépit de leurs évolutions spatiales. Cette contradiction dément une fois de plus une des caractéristiques du mélodrame évoquée par Françoise Zamour dans Le Mélodrame dans le cinéma contemporain (2016): la tendance à considérer « le récit comme un parcours, une traversée, plus que comme un tableau ». Cold War porte davantage sur l’immobilisme, politique comme amoureux et s’apparente bien à un film-tableau, non à une traversée. Le tragique du film réside davantage dans le statu quo que dans l’évolution des choses et la transformation psychologique des personnages. La représentation de l’espace creuse la dichotomie des lieux, des cultures, des mentalités comme un état du monde enraciné. Rien ne laisse entrevoir une possibilité de changement. La structure cyclique du film, qui s’ouvre comme il se termine (dans une petite chapelle perdue dans la campagne polonaise) ne produit pas l’effet rassurant du retour à l’ordre évoqué par Jean-Loup Bourget au sujet de certains mélodrames. Ici, c’est la noirceur de l’ironie qui triomphe quand on comprend que cette chapelle où les personnages se rendent à la fin du film pour sacraliser leur union est l’endroit où Lech Kaczamrek, le supérieur de Wiktor dans l’école de musique, fervent staliniste, a uriné dans un des premiers plans du film. La construction cyclique, loin d’apaiser le spectateur, approfondie le sentiment désespérant de l’immuabilité de l’histoire (à petite et grande échelle). 

Cette immuabilité est aussi le fait des personnages qui eux-mêmes ne sont pas des combattants, n’aspirent à aucun changement ou du moins, n’agissent pas dans ce sens. Aspirant à la liberté pour elle-même, ils ne la confondent avec aucune idéologie. D’ailleurs Zula épousera Lech, émanation de l’autoritarisme soviétique, et Wiktor lui devra sa sortie de prison à la fin du film, après qu’il a tenté de rentrer en Pologne en passant la frontière clandestinement.  Tout ce à quoi les personnages aspirent, semble-t-il, c’est de changer de côté, inlassablement, pour mieux fuir le constat qu’aucun lieu n’est accordable à leur bonheur. Sur les mots de Zula, « allons de l’autre côté », le film se referme, laissant les personnages sortir du champ pour cadrer fixement leur banc vide. Cet « autre côté », perspective d’avenir toujours renouvelée et destinée à ne jamais donner satisfaction aux personnages, est précisément ce dont nous prive la caméra, dans un ultime refus du contre-champ. Bien plutôt le réalisateur nous invite à scruter le paysage du « côté » délaissé et nous imprégner de son absurde tranquillité. Ambiguïté de fin qui rappelle celle du début et est à l’image d’un film qui se distingue du mélodrame par son pessimisme politique fondamental mais s’y rattache indubitablement par sa croyance en l’absolu de l’amour, en la création artistique et la beauté, qui demeurent une issue, si tragique soit-elle, au prosaïsme. C’est ce que ce cadre final, où il n’est plus question d’hommes mais de nature, une fois les personnages sortis, semble offrir comme espoir à la contemplation du regard. Valentine Guégan

LUCIEN SORT DES DECOMBRES

rebatet1961-3« Au fond, je n’étais qu’un critique d’art », lance Rebatet à ses juges en novembre 1946. Dans une salle électrique, la presse ricane, épiant « les yeux fous » de l’accusé et sa « trouille », autant de motifs à surenchère haineuse. Un critique d’art ! Drôle de manière de sauver sa peau pour ce « mangeur de Juifs », cet indécrottable fasciste de la première heure, « ce gnome à l’œil inquiet, vide, recuit dans le fiel ». On sourit aux ultimes transes d’un homme aux abois, qu’on a déjà condamné. N’avait-il pas « avoué » au fil des Décombres, son best-seller de 1942, d’où l’on tire alors des confessions anticipées ? Ne s’y félicite-t-il pas de ses dispositions précoces à embrasser la cause hitlérienne? Classe 1903, Rebatet n’avait pas fait la guerre, son rejet du vieux monde et des nantis n’en fut que plus virulent : « Comme beaucoup d’autres garçons de mon âge, j’avais, dès la sortie du collège, trouvé chez Maurras, chez Léon Daudet et leur disciples une explication et une confirmation à maintes de mes répugnances  instinctives. J’étais en politique du côté de Baudelaire et de Balzac, contre Hugo et Zola, pour « le grand bon sens à la Machiavel » voyant l’humanité telle qu’elle est, contre les divagations du progrès continu et les quatre vents de l’esprit. Je n’avais jamais eu dans les veines un seul globule de sang démocratique. » Un peu plus  loin, il ajoutait même une note qui, lors de son procès, magnétisa l’avocat général, une note de 1924, une note à charge désormais : « Nous souffrons depuis la Révolution d’un grave déséquilibre parce que nous avons perdu la notion du chef J’aspire à la dictature, à un régime sévère et aristocratique. » L’affaire était tranchée avant d’être instruite… Promis au peloton de Brasillach et de Laval, Rebatet est gracié par Vincent Auriol et envoyé à la centrale de Clairvaux en 1947, avant de bénéficier de la loi d’amnistie de janvier 1951.

9782221133057Sans le dédouaner de son aversion antirépublicaine et de l’antisémitisme dont il s’est toujours prévalu, peut-on les comprendre aujourd’hui en leur réalité d’époque et leurs nuances oubliées, peut-on lire Rebatet à la lumière d’une histoire qui ne s’était pas encore écrite et qu’il avait cherché, lui et quelques autres, à infléchir en révolutionnaire de droite, peut-on enfin entendre les autres passions du polémiste politique, et notamment son culte de la peinture, égal à celui qu’il rendit, avec le talent que l’on sait, à la musique et au cinéma, comme Boulez et Truffaut le dirent après la guerre, non sans un certain courage  ? Du courage, il en a fallu sans doute à Robert Laffont et aux éditeurs du Dossier Rebatet, Pascal Ory et Bénédicte Vergez-Chaignon, auxquels on doit le retour en librairie des Décombres et l’exhumation d’un passionnant Inédit de Clairvaux. Le premier avait reparu, épuré, en 1976 (Jean-Jacques Pauvert), épuré et donc dénaturé. Or tant qu’à relire les Décombres, autant les lire lestés de cette amplificatio propre au verbe pamphlétaire, comme le note Ory. On renverra aussi aux analyses d’Antoine Compagnon dans ses Antimodernes. Quelle que soit la verve de Rebatet, talent que lui reconnaissaient Paulhan et Bernard Frank, elle s’inscrit dans un courant venu de Joseph de Maistre. La possibilité d’accéder au texte princeps induit également celle d’en reprendre la mesure. Ce n’est pas le parfait vade-mecum du collabo puisque Rebatet y narre sa jeunesse frondeuse, son détachement d’un Maurras devenu trop antiallemand, la radicalisation de Je suis partout en 1936, l’approbation des accords de Munich par adhésion au nazisme et l’expérience traumatisante d’une guerre perdue d’avance. La défaite, en somme, ne fut que l’addition à payer d’un mal et d’un échec antérieurs à juin 1940, antérieurs et internes au pays.

les_secrets_de_vichyLa plume de Rebatet, si ferme soit-elle, si habile aux longues périodes proustiennes (l’un des modèles de sa jeunesse), aime à s’emballer, télescoper le noble et le vil, l’admiration et la vitupération. Arme de combat, l’invective fait loi. Au moment de son procès, très sincèrement et très logiquement, il ne pourra qu’en admettre les excès, devenus sans objet au regard d’un avenir qui s’était soudain refermé. Mais Les Décombres surprennent aussi par le soin, inverse, avec lequel Rebatet marque, par exemple, sa distance à l’égard de ce qu’il nomme l’outrance du germanisme nazi et l’aryanisation mortifère du cinéma issu de l’expressionnisme cosmopolite des années 20. Plus sensible à la vision raciale du monde qu’un Maurras, il se montre capable, comme lui, de séparer le bon Juif du mauvais, le nocif du grand artiste, pour suivre un distinguo que ses articles de Je suis partout, surtout à partir de la fin 1943 et du départ de Brasillach,  préfèrent oublier. À cette époque de bascule et de furie antibolchevique redoublée, le critique d’art se réveille. Nous avons dit ailleurs (Chronique des années noires, 2012) ce que l’histoire de l’art peut tirer de ses articles portés par une véhémence désespérée. Le chapitre VII de L’Inédit de Clairvaux – suite inaboutie des Décombres – mérite la même attention. Là se déploie l’expertise de Rebatet en matière picturale. Des Le Nain à Van Gogh, de Paul Jamot qu’il fréquenta à Camille Mauclair qu’il étrille, de son tableau du Montparnasse des années folles aux galeries de l’Occupation, sa parole a conservé valeur de témoignage. Voilà un secret et un mystère qui auraient pu rejoindre ceux du dernier livre de Bénédicte Vergez-Chaignon, l’excellente biographe de Pétain (Perrin, 2014). Ce dernier ne pouvait pas manquer à l’appel des personnalités dont l’historienne de Vichy, familière des archives, interroge aussi bien la vie politique, sous tension, que la mort souvent violente. Ses chapitres sur l’entrée de l’Aiglon aux Invalides, le calamiteux procès de Laval et les fluctuations de Darnand, hésitant jusqu’au bout entre Londres et la Waffen-SS, sont excellents. En effet, ils tiennent compte des contradictions du régime, de son patriotisme paradoxal et d’une époque à la fois moins docile et plus soumise aux exigences d’Hitler qu’on le profère aujourd’hui, afin de mieux accabler, en bloc, les hommes de Vichy.  Raymond Aron, en son temps, ne commit pas cette erreur. Tout ce qui touche au statut et au destin des Juifs souffre, en revanche, de la vulgate paxtonienne. Les magnifiques travaux du rabbin Alain Michel et de Jacques Semelin, non mentionnés en bibliographie, autorisent aujourd’hui une tout autre approche du sujet. A cet égard, on ne saurait trop applaudir à la décision du gouvernement actuel, justement soucieux de la dignité nationale, d’ouvrir davantage les archives de Vichy et de l’épuration aux historiens. Stéphane Guégan

*Le Dossier Rebatet. Les Décombres. L’Inédit de Clairvaux, édition établie et annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon. Préface de Pacal Ory, Robert Laffont, Bouquins 30€

*Bénédicte Vergez-Chaignon, Les Secrets de Vichy, Perrin, 22€

Pour rester dans le ton

product_9782070149360_195x320C’est fou le nombre d’intellectuels juifs, de gauche et de droite, à avoir soutenu Céline dans sa reconquête, plutôt mal vue alors, de la scène parisienne à partir de 1948. On préfère ne pas en parler, bien sûr. Paul Lévy fut l’un de ces esprits supérieurs qui prirent fait et cause pour le pestiféré du Danemark. À oublier les faits, on comprend mal aussi comment Pierre Monnier épaula à son tour la résurrection littéraire  du « furieux » Ferdinand. Avant de croiser l’exilé, toujours en attente d’un jugement qui finirait par lui être favorable, le jeune Monnier (classe 1911) avait été maurrassien et lié à l’équipe de l’éphémère Insurgé, où il se frotta à Maulnier et Blanchot (lesquels avait travaillé au Rempart, en 1933, sous la direction de Paul Lévy). Il fera aussi un bref passage, sous Vichy, au ministère de la Jeunesse. Relançant Aux Écoutes en 1947, Lévy l’emploie comme illustrateur et ouvre ses colonnes à la cause de Céline. Ce n’est pas fini… Parallèlement à Paulhan et aux Cahiers de La Pléiade dès décembre 1948, Monnier entreprend de rééditer le Voyage et Mort à crédit, préalables à la publication d’inédits (Casse-Pipe), d’abord avec l’homme des éditions Froissart (maison des jeunes hussards), puis seul, seul face au tempétueux et injuste Céline. Leur correspondance, qui reparaît après un sérieux et salutaire toilettage, tonne des éclats continus du grand écrivain, si peu amène avec son complice de « galère » (son mot). Elle se place à côté des lettres échangées avec Milton Hindus, autre intellectuel juif à s’être porté au secours d’un écrivain qu’il considérait comme le plus grand que la France ait produit depuis Proust. SG
Céline, Lettres à Pierre Monnier 1948-1952, édition de Jean-Paul Louis, Gallimard, 31€.

product_9782070106851_195x320François Gibault a-t-il autant de péchés sur la conscience qu’il ait senti besoin de donner une suite à son magnifique Libera me ? L’exergue emprunté à Camus, en outre, nous rappelle que le Jugement dernier a « lieu tous les jours ». Quelle que soit la raison profonde de ce besoin d’absoute, on dévore son livre avec le même entrain diabolique que le premier volume. Trop heureux de vivre, Gibault ne demande pas à ses souvenirs, qu’il égrène en hédoniste à principes, de quoi alimenter la nostalgie des années 1950-1980. On le lui pardonnerait pourtant. Jeune et brillant avocat, marqué par son courage lors de la liquidation de l’Algérie où il a servi,  il devait se rendre vite célèbre par d’autres causes « difficiles », sa biographie de Céline et ses fréquentations œcuméniques, Lucette Destouches comme Lucien Combelle, Buffet comme Dubuffet, Sagan comme Bob Westhof…. Le beau monde, le grand monde, le milieu littéraire, le barreau, tout y passe avec moins de cruauté que sa réputation ne lui en prête. Il se montre même trop indulgent envers certaines personnes qui ne le méritent pas. Daumier et Watteau se disputent alors sa verve. Fidèle en amitié, Gibault préfère flatter son entourage, au besoin, que le blesser. Il n’exige pas, certes, qu’on le croie sur parole. Mais il a vu tellement d’horreurs, défendu tant de gens et appris d’eux, qu’il pèse les âmes avec tact et conserve même une certaine confiance en l’avenir, ce sombre horizon peuplé d’inutiles et d’importuns, qui n’ont ni son style, ni sa large compréhension des choses et de l’histoire. De bout en bout, Libera Me respecte l’esprit de jouissance et l’esprit de justice de son auteur. Ses pages sur Céline, Drieu et Maurice Ronet sont superbes, de même que ses considérations sur Charlie Hebdo, Houellebecq, le lieutenant Degueldre ou le procès de Laval. Croustillantes sont enfin les anecdotes qui touchent à Morand, Maulnier et Pierre Combescot. Quant à ses amis de l’Académie, de Pierre Nora à Jean-Marie Rouart, d’Yves Pouliquen à Pierre Rosenberg, ils seront heureux d’être immortalisés une seconde fois. Il ne reste plus qu’à espérer une suite à cette suite. SG // François Gibault, Libera me. Suite et fin, Gallimard, 19,50€

product_9782070442287_195x320De la révolution de l’exécutif qui a accouché de notre régime politique, De Gaulle fut l’acteur décisif.  Et 1958, selon la vulgate, en serait le moment et l’expression. Coup d’état, fascisme et autres noms d’oiseau, l’adversaire n’eut pas de formules trop fortes pour conspuer le « retour » du général. Belle erreur d’appréciation, se dit-on en lisant la somme de Nicolas Roussellier et son analyse du renversement des pouvoirs  au sortir de l’Occupation allemande. La Chambre est déjà condamnée à céder la plupart de ses prérogatives au Président de la République. Les guerres ne produisent pas toutes les mêmes effets. La terrible défaite de 1870 avait jeté le discrédit sur Napoléon III et le césarisme. Celle de 1914 entraîna celui du haut commandement militaire, ignorant des réalités du terrain et des boucheries consécutives aux ordres donnés à distance. La crise du printemps 1940 montra elle les limites du gouvernement face au défaitisme des supposés chefs de guerre. Reynaud, comme le dira De Gaulle, ne parvint pas à prendre sous son « autorité personnelle et directe l’ensemble des organismes militaires ». Affranchie de toute contrainte constitutionnelle, nourrie par la philosophie gaullienne de l’action, l’expérience de la France libre, Roussellier le souligne fermement, ouvre la possibilité d’une conjonction renouvelée, opératoire, et enfin efficace du militaire et du civil, expérience aussi déterminante que le bilan que De Gaulle avait tiré du premier conflit mondial. Par manque effrayant d’unité de marche entre l’infanterie et l’artillerie, des millions d’hommes s’étaient fait tuer « comme des mouches dans des toiles d’araignée ». On notera enfin, avec l’historien scrupuleux, les effets moins heureux du volontarisme de l’après-Vichy, la pagaille des 18 mois du gouvernement provisoire et le passage en bloc de réformes sociales qui auraient mérité d’être moins brutales. De Gaulle démissionna, son heure devait sonner à nouveau, douze ans plus tard. SG // Nicolas Roussellier, La Force de gouverner. Le Pouvoir exécutif en France XIXe-XXIe siècles, Gallimard, 34,50€

product_9782070146338_195x320Bonne fille, la guerre frappe les hommes indifféremment. Ainsi nombre de peintres, en dehors d’embusqués célèbres, subirent-ils le feu en 1914. C’est le cas du grand-père de Stefan Hertmans, un Gantois catholique, jeté sur le front belge, le pire, à 23 ans. Soudain la vie d’artiste s’effondra, un monde s’écroulait, un monde où Titien, Velazquez et Rembrandt semblaient avoir perdu leur raison d’être. Urbain Martien n’a pas voulu peindre sa guerre, mauvais sujet, selon lui, mais il en a enfermé l’horreur, par exorcisme, dans une suite de carnets rétrospectifs. Stefan Hertmans aura mis trente ans à les ouvrir et à comprendre la nécessité d´y puiser la matière d’un roman vrai, un roman net, brut, émouvant, proche par moments du Giono de Recherche de pureté. S’il nous touche et connaît en ce moment un succès mondial, c’est qu’il pose aussi la question de l’art comme « réconfort » ou, dirait Baudelaire, comme « consolation ». Des tranchées décrites à vif et de l’absurde surgissent donc les questions essentielles. L’omniprésence de la faucheuse avide n’y peut rien. Tel est l’homme de la guerre ou l’homme des camps en proie à son animalisation, il résiste. À l’instar des carnets d’Urbain, ce roman fourmille d’images, de tableaux, jusqu’à cette lumière chaude qui réchauffait les rats humains dans le couloir de la mort, une lumière qu’Urbain ne pouvait s’empêcher de comparer à celle de Goya. SG // Stefan Hertmans, Guerre et térébenthine, Gallimard, 25€

1038007Goya et ses amis libéraux choisirent de « collaborer » avec l’envahisseur français entre 1808 et 1814. Le trône de Joseph Bonaparte et sa gouvernance éclairée leur semblaient préférables à l’absolutisme que le futur Ferdinand VII incarnait déjà à leurs yeux. Le déchirement que ces patriotes espagnols ressentirent n’en fut pas moins certain, et on comprend que Paul Morand ait dépeint leur situation dans Le Flagellant de Séville (1951), l’un de ses plus beaux livres. Son parallèle reste à méditer… D’autant plus que Goya et son fils furent épurés, c’est-à-dire blanchis au terme d’une enquête qui dura plus d’un an. Le peintre eut à répondre de la fidélité qu’il avait jurée à Joseph et des tableaux qu’il réalisa pour le frère de Napoléon. Palimpseste qui en dit long, l’un d’entre eux a été révélé par la radiographie sous un portrait équestre de Wellington, vainqueur des Français en 1813-14. Le fil politique n’est pas la moindre vertu de la sublime exposition de Londres. Xavier Bray, son commissaire, a l’art de mêler les plaisirs de l’œil et ceux de l’intelligence. Ayant réussi à renouveler notre vision du Greco et de Zurbaran, il nous montre aujourd’hui en Goya autre chose que l’annonce de Manet et de la supposée peinture pure. Le choix du portrait se révèle payant, car il oblige, plus que les gravures et les petites toiles peintes pour soi, à réexaminer la carrière d’un artiste de cour, moins versatile que, paradoxalement, fidèle à soi. La manière dont Xavier Bray élargit la lecture historique et le corpus de son sujet fait de son catalogue un outil désormais indispensable pour la connaissance du portrait européen des années 1780-1820. Goya, a écrit son fils, eut pour maîtres Velázquez, Rembrandt et la Nature. Force est d’étendre le réseau d’influences et d’émulation aux Anglais (Gainsborough, Wright of Derby, l’américain West) et peut-être aux Français (à travers la mode pré et post révolutionnaire et peut-être l’influence de Vigée Le Brun). Goya sut aussi bien faire briller l’intelligence de son cercle éclairé (Iriarte et Jovellanos ont donné lieu à des chefs-d’œuvre) que les derniers feux de la couronne d’Espagne. En 1800, la famille de Charles IV, dans sa fière laideur et son réformisme indéniable, oppose naïvement au premier Consul la poussière sublime d’un pouvoir bien écorné. Plus grave, Ferdinand VII, bardé de regalia en 1815, a l’air d’un conspirateur agrippé à de vains accessoires. Logiquement, mais avec des œuvres peu vues en exposition et peu glosées, le parcours de Londres et son catalogue se referment sur les exilés libéraux, réfugiés à Bordeaux après 1814, loin de l’Inquisition qu’avait restaurée un roi contrefait et sans grand avenir. Bordeaux où Goya, l’esprit libre, choisit de mourir en avril 1828, cinq ans, presque jour pour jour, après l’expédition d’Espagne voulue par Louis XVIII et Chateaubriand, volant au secours de Ferdinand. Des fidèles, eux aussi. SG // Xavier Bray (dir.), Goya. The Portraits, The National Gallery Publishing, 19,90£.

SALE EPOQUE

Les journaux intimes sont la bénédiction de l’historien et le bonheur de quiconque veut forcer le secret des dieux. Ou l’esprit des morts. Vous qui avez adoré le témoignage (à chaud) de Jean Guéhenno, Jean Grenier, Jacques Lemarchand ou Drieu sur les années de l’Occupation, Maurice Garçon est votre homme. Peintre raté mais écrivain de race, il signe un panorama terriblement vivant et ouvert de cette « sale époque ».

garcon9La star du barreau de Paris ne laisse rien échapper des remous politiques et des incertitudes d’une France plus déchirée que jamais. Son acuité d’analyse n’épargne pas plus la bassesse des uns que la noblesse des autres. Aucun manichéisme pourtant. Sans doute l’expérience des cours de justice, douloureuse après juin 1940 tant leur indépendance est remise en cause, fait-elle de Garçon un observateur impartial. C’est le type même du sceptique généreux. La vérité lui est une religion. Né en 1889, acquis aux valeurs de la IIIe République et au patriotisme d’un Renan, lecteur de Jules Vallès et d’Anatole France, il aura échappé à l’attrait de Barrès et de Maurras. Une fois la drôle de guerre déclenchée, il s’indigne des reculades en série du haut commandement militaire et déjà de la propagande des médias officiels. Auparavant il avait séjourné en Allemagne et exprimé sa détestation du racisme hitlérien. Et pourtant, comme il l’avoue, le philosémitisme n’est pas son fort. Son Journal contient maintes références aux émigrés qui sentent « le ghetto » et à la surreprésentation des Juifs dans l’appareil d’État et les sphères économiques, cinéma compris. C’est pourtant le pourfendeur de Léon Blum qui va vite renoncer à son éphémère maréchalisme, stigmatiser le double jeu de Vichy, la persécution honteuse des Juifs et dire leur fait à tous ceux, collabos de cœur ou de circonstances, qui plient devant l’Allemagne. Peu importe que le programme de ses ennemis lui paraisse offrir des options recevables et promettre un redressement nécessaire, son être profond ne peut se résoudre à accepter l’oppression nazie. En outre, se pose le problème du personnel de la Révolution nationale, que Garçon s’efforce de juger avec équité. Xavier Vallat, aux Questions juives, lui semble autrement plus respectable et mesuré que cette « brute » de Darquier de Pellepoix.

22510100890880MPétain lui sort vite des yeux et des oreilles. De plus, le grand soldat de 14-18 n’a pas plus anticipé la blitzkrieg qu’il n’est armé pour lutter contre les exigences toujours plus monstrueuses d’Hitler. Garçon parle du pillage réglé de son pays, des pénuries, de la terreur grandissante qui s’exerce sur les individus et la servilité des fonctionnaires. Tout lui est matière à réflexions nettes et propos acerbes, l’Académie à laquelle il se prépare et dont il dit les divisions (le clan Abel Bonnard versus le clan Mauriac dont il est), le milieu des écrivains entre son cher Léautaud et Paulhan qui lui parle dès 1943 des velléités suicidaires de Drieu (avec un sourire de trop), les zazous, les éditeurs aux ordres  ou encore les peintres. Avec Braque, content de ne pas avoir eu à refuser le « voyage » de l’hiver 1941, Garçon s’entretient du front russe, qui les remplit d’espoir tous deux. Laurencin qu’il voit beaucoup lui apparaît aussi sotte que pro-allemande et antisémite. Mais c’est à Picasso qu’il réserve une page d’anthologie, à l’occasion du Salon d’automne de la Libération. Pris à parti par des opposants à son art et à sa récente adhésion au PCF, les tableaux de l’homme de Guernica sont exposés sous bonne garde. Garçon les juge grotesques. Il revient sur les peintres qui avaient pris le train en octobre/novembre 1941, Derain comme Vlaminck : « À l’époque, je les ai jugés sévèrement et aujourd’hui, je continue à réprouver leur attitude. Mais de là à les arrêter et à les empêcher de peindre, il y a un abîme que Picasso a comblé allègrement. Il se débarrasse de la concurrence et fait le démagogue. » Du pur Garçon, direct et drôle. On ajoutera que l’annotation de Pascal Fouché et Pascale Froment décuple la richesse de ce bijou aux facettes saisissantes.
Stéphane Guégan.

*Maurice Garçon, de l’Académie française, Journal (1939-1945), édition établie, présentée et annotée par Pascal Fouché et Pascale Froment, 35 €

A lire aussi…

9782213682563-001-XIl fallait bien que nous parvenions un jour à varier d’optique sur les années sombres. Pour l’heure, il est vrai, ce changement reste la propriété presque exclusive des vrais historiens, ceux qui refusent d’écrire à la lumière d’un récit mille fois ressassé. Mais le grand nombre, plus perméable aux médias qu’aux experts, à l’émotion qu’à la réflexion, à l’indignation rétrospective qu’à la part d’ambiguïté de tout moment historique, a encore du chemin à faire pour se débarrasser des poncifs et légendes qui courent encore sur Pétain, Vichy, la Résistance, la Collaboration, le sort des Juifs ou – débat actuel – les bombardements alliés, pas toujours justifiés, et qui firent 60 000 victimes parmi les civils (Bonnard peste à leur sujet dans sa correspondance avec Matisse). Par comparaison, 80 000 Juifs, essentiellement « étrangers », meurent en déportation. Certes, les chiffres ne sauraient parler en dehors des faits qu’ils éclairent. Mais ce dernier exemple, mis en lumière lors du 70e anniversaire du débarquement, signale les blocages qui entravent encore le travail des chercheurs. L’époque saigne toujours. Personne ne le sait mieux que Michèle Cointet, admirable historienne dont l’Académie française a couronné plusieurs livres, et qui a labouré l’époque en tout sens avant cette précieuse et courageuse synthèse. Avec une belle fermeté de plume, elle se glisse dans les faux-semblants et les non-dits de son sujet, le plus vulnérable aux raccourcis héroïques ou diaboliques. Si Reynaud ne fut pas Clemenceau à l’heure de la percée allemande du printemps 40, Pétain ne fut pas Hitler, ni Laval Himmler… Un abus de langage assez courant fait parler de totalitarisme à propos de tout, et confondre, en particulier, Vichy et l’Allemagne nazie. De même, dénoncer la collaboration et l’antisémitisme d’État ne devrait pas conduire à en ignorer les paradoxes et la complexité dérangeante (on lira, en dernier lieu, Eric Zemmour sur ce point). Que penser, nous dit encore Michèle Cointet, de ces malades mentaux qu’on laissa mourir faute de maîtriser un ravitaillement pourtant organisé, ou du million de prisonniers français abandonnés à leur destin douteux, en Allemagne, après le débarquement, ou encore de la bavure de Tulle qui causa la mort d’une centaine d’innocents, immolés à la fausse bravoure d’un chef de maquis inconséquent. Oui, secrets et mystères continuent à proliférer. Ce livre nous aide à nous en libérer. SG // Michèle Cointet, Secrets et mystères de la France occupée, Fayard, 22€

product_9782070114771_195x320Indisponible depuis 1945, Le Temps des assassins nous est enfin rendu. Sous ce titre emprunté à Rimbaud, et qui sent la révolte dont il se sera toujours dit « comptable », Philippe Soupault publia en quelque sorte son Claude Gueux, à la différence près que Victor Hugo n’avait pas tâté de la prison, en 1834, avant d’en dénoncer la cruauté et l’arbitraire. Soupault, si. Le 12 mars 1942, à Tunis, il est arrêté par la police de Vichy pour avoir fourni aux ennemis de la France des documents intéressant la défense nationale. L’argument, fallacieux, n’est qu’un prétexte pour mettre à l’ombre un personnage suspect. En Tunisie, où il travaillait depuis 1938, Soupault passa vite pour une forte tête. Surréaliste de la premier heure, journaliste de gauche autant que réfractaire au communisme, l’homme des Champs magnétiques inquiète une administration d’autant plus zélée que le vent commence à tourner. Le portrait qu’en donne le livre se veut sans appel. On lira notamment les pages terribles sur Tixier-Vignancour dont les mœurs et l’alcoolisme cadraient peu avec le redressement du pays qu’il prétendait servir. Mais la dénonciation de ses bourreaux ne fait pas tout : Soupault, en vieil adepte du rêve éveillé, nous confronte, par devoir de mémoire, à la vie diurne et nocturne des prisonniers, chacun brossé dans sa vérité et son destin, mais tous privés de cette liberté qu’on ne saurait « comprendre » qu’au moment où l’on en est privé. Délires et cauchemars étaient fréquents dans les cellules de la honte et de la peur. On s’en échappait comme on pouvait… Le Temps des assassins est paru, en 1945, à New York. L’Amérique, qu’il connaissait bien, avait tendu des mains pleines au poète globe-trotter, quelques jours avant l’arrivée de Rommel. SG // Philippe Soupault, Le Temps des assassins, L’Imaginaire, Gallimard, 14,50€

product_9782070107476_195x320Un Juif pétainiste : la formule a longtemps collé aux basques d’Emmanuel Berl, resté fidèle à Drieu au-delà de sa mort et parlant encore de l’antisémitisme, dans les années 1950, avec un sens de la nuance, et donc de l’histoire, qui s’est perdu. Notre génération l’a redécouvert en 1976 à la sortie d’Interrogatoire, où le jeune Modiano s’étonne des choix de vie du vieux séducteur, peu enclin à la palinodie. Évidemment, au regard d’une époque marquée par le film d’Ophuls et le livre de Paxton, il y avait lieu d’interroger, à nouveaux frais, ce passé qui ne passait pas. On comprenait, avec Modiano, que les choses n’avaient pas été si simples et que Berl n’avait pas choisi d’incarner les contradictions, les hésitations et les erreurs de la France occupée par hasard. Henry Raczymow, reprenant l’enquête après d’autres, avoue lui aussi ne pas toujours comprendre. Cela le rend prudent, même au sujet de l’espèce de psychanalyse qu’il applique à cet homme dont l’irrésolution serait liée au roman familial, des parents morts trop tôt, une mère le vouant à un rôle qu’il ne voulait pas jouer et le condamnant à une forme de culpabilité infinie, des origines trop bourgeoises, celles des notables juifs de Passy et Neuilly, juifs mais athées, voire peu sionistes par amour de la France. On sait aussi que Berl, héros de 14-18 et grand noceur des années 20 aux côtés de Drieu et d’Aragon, durcit le ton en 1927, flirte avec une forme de fascisme par haine du capitalisme et des loupés du jeu démocratique. Dix ans plus tard, « Munichois très désespéré », il affiche quelques-unes des idées qui feront le programme du Maréchal, dont il sera la plume un bref temps, et pour lequel sa dévotion ne faiblira qu’au regard du cléricalisme vite dévoyé qui entoura sa personne à Vichy. Le 10 juillet 1940, Berl a déjà quitté la carrière qui s’offre à lui. Ses connaissances, ses liens avec l’administration lui seront utiles sous l’Occupation, qu’il aura vécue loin de Paris, en Corrèze, puis dans le Lot. On vient de découvrir qu’en août 1943 il avait rédigé un discours, à la demande du préfet local, en hommage à la Légion des combattants français. Et si, autant que sa révolte anti-bourgeoise, son patriotisme, né en partie des tranchés, avait été une des clefs de cette personnalité qu’on dit fuyante ? Et de son culte de l’amitié ? SG // Henry Raczymow, Mélancolie d’Emmanuel Berl, Gallimard, 18,90€

product_9782070106707_195x320À Rome, trente ans après les faits, Claude Lanzmann rencontre et filme le dernier Président du Conseil juif de Terezin, Benjamin Murmelstein, personnage alors controversé pour avoir été associé au destin terrible de ce que les nazis appelaient leur ghetto-modèle. Près de 140 000 Juifs tchèques et autrichiens, dupés par l’espoir de pouvoir attendre là la fin de la guerre en sécurité, s’y laisseront entraîner. À 80 kilomètres de Prague, proximité illusoirement rassurante, Terezin date des Habsbourg ! Eichmann, son réinventeur démoniaque, croise Murmelstein durant l’été 1938, à Vienne, moins d’un an après l’Anschluss. L’officier S.S. voit aussitôt en lui un homme intelligent et pragmatique, le bon interlocuteur pour accélérer l’émigration des « indésirables ». Comme il y va de l’intérêt de son peuple, Murmelstein coopère et pourra témoigner plus tard de la détermination et de la cupidité de ce nazi si peu banal (selon le mot inapproprié d’Arendt). En réponse au racisme d’État et ses rapines collatérales, l’instinct de survie n’est pas suffisant. D’expérience, Murmelstein sait que la souffrance aveugle et que la peur est mauvaise conseillère. Les martyrs ne sont pas tous des saints, nous rappelle Lanzmann. Terezin, sous sa plume acérée, devient le symbole du régime hitlérien en sa conjonction fondamentale, « tromperie et violence nue », la première ne servant qu’à masquer la barbarie nécessaire au triomphe du Reich éternel. Murmelstein va jouer serré dans ce carnaval de l’horreur entre janvier 1943 et mai 1945, convaincu qu’il faut continuer à justifier l’existence du camp, fût-il l’objet d’une propagande obscène, pour mieux écarter la menace de son éradication totale. Est-il pire équation ? SG // Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes, Gallimard, 13,50€

product_9782070112227_195x320Deux anciens enfants du ghetto de Varsovie se racontent, creusent le flou de leur mémoire, se raccrochent aux bribes d’impression, aux mots des adultes mal compris sur le moment, se reconstruisent à travers le souvenir de la violence et des fraternités de toute nature, en répondant séparément aux questions de David Lescot, qui a porté leur témoignage à la scène en 2014. S’il sonne juste, c’est qu’il mêle le pire et le meilleur de l’homme avec l’éclat mat de la vérité. Et pourtant elle n’était pas facile à saisir pour ces gamins exposés autant aux rafles allemandes qu’à l’antisémitisme local. Dès 1936, les autorités polonaises, en lien avec Ribbentrop, préconisaient une déportation massive des Juifs vers Madagascar… L’entraide et l’égalité devant la mort ne règnent pas non plus dans le ghetto où tout se trafique, la liberté surtout. Plus que les Allemands, leurs sbires ukrainiens, lettons ou lituaniens y font le sale boulot. Paul Felenbok, futur astrophysicien français, est né au sein d’une famille de petits joailliers, où l’on ne parle pas le yiddish et où l’on réduit la pratique à quelques rites. Un père lecteur de Spinoza, un oncle militant au Bund. De l’organisation socialiste juive, le père de Wlodka Blit-Robertson était une des plumes actives. Il franchira le Bug, rejoignant la Pologne soviétisée, avec l’espoir d’y retrouver liberté et dignité. Ce fut le goulag. Comme Paul, Wlodka s’évade en 1943, alors que la victoire de Stalingrad ne rassurait qu’à moitié les familles recluses. Les Russes et l’armée de libération de la Pologne leur réservaient-ils un meilleur sort ? Nous savons aujourd’hui que leurs craintes étaient plus que fondées. SG // David Lescot, Ceux qui restent. Entretiens avec Wlodka Blit-Robertson et Paul Felenbok, Haute enfance, Gallimard, 16,40€

9782754108270-001-GVient de paraître !!!

Sur l’époque, tiraillée entre Hitler et Staline, on lira Stéphane Guégan, 1933-1953. L’Art en péril. Cent œuvres dans la tourmente, Hazan, 39€, un livre qui fait bouger les lignes.