MARCEL RETROUVÉ

Ouvrons ou rouvrons Jean Santeuil, ce merveilleux faux départ de La Recherche. Proust s’amuse déjà à brouiller les pistes, rebaptiser les tableaux et renommer leurs auteurs : « Cette année-là La Gandara exposa au Champ-de-Mars un portrait de Jean Santeuil. Ses anciens camarades d’Henri IV n’auraient certainement pas reconnu l’écolier désordonné […] dans le brillant jeune homme qui semblait encore poser devant tout Paris, sans timidité comme sans bravade […] ». Faut-il que le jeune Marcel ait été snob à 25 ans pour attribuer à Antonio de La Gandara (1861-1917), chéri du faubourg Saint-Germain et de la Plaine Monceau, la paternité d’un tableau réalisé par Jacques-Emile Blanche, et exposé au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts en 1892 ! Snob, Proust l’a été à l’heure de ses chroniques mondaines du Figaro, et l’est resté, pour de bonnes et de mauvaises raisons, les unes et les autres indispensables à l’alchimie cruelle et drôlissime de La Recherche. Parce que noblesse oblige et expose conjointement ses membres aux aléas de la vanité, elle offre à l’observation le spectacle d’une humanité qui balance du superlatif au futile. Plus que l’argent, le luxe, c’est-à-dire la dépense gratuite, scandaleuse au regard de la raison utile, demeure en grande partie l’apanage de l’aristocratie à la charnière des XIXe et XXe siècles. Et si l’on se marie souvent hors de sa caste vers 1900, c’est par instinct de survie et désir d’assurer la continuité d’une civilisation menacée. Autant que les écrivains qu’on dit mondains, les peintres de Salon en furent les auxiliaires, les portraitistes de société en particulier, selon l’étiquette qui a cessé d’être valorisante après 1918. L’Aurélien d’Aragon, ébauché en juin 1940, s’en prend à Picabia, alias Zamora, un peintre passé de mode, comme La Gandara, précise l’œil de Moscou. Notre époque, égarée par sa rancœur sociale, est plus défavorable encore aux pinceaux du gratin. Haro sur la peinture des riches. Même Sargent, à qui le public fait fête en ce moment, a dû en répondre, sous l’injonction de quelques journalistes oublieux que la peinture ne s’évalue pas selon leurs critères, et qu’elle doit une part de son invention formelle et poétique à l’aplomb, sinon à l’orgueil, voire à l’arrogance, de certains de ses motifs. 

La réussite d’un portrait de société dépend même de son pouvoir à ne pas écraser sous le rang qu’il incarne l’individu qu’elle éternise, puisque l’immortalité, disait déjà Alberti, est la finalité du genre. Si l’on revient maintenant à La Gandara (mais l’avons-nous quitté ?), il est fascinant de le voir passer en quelques années d’une aristocratie à l’autre, de la butte Montmartre à la Plaine Monceau, de Rodolphe Salis et du Chat noir à la comtesse Greffulhe. Passionnante est ainsi la lecture du catalogue raisonné de son œuvre peint, enfin disponible, et dû à la piété familiale de Xavier Mathieu. Sa persévérance à nous faire connaître et aimer cette peinture qui a déserté les cimaises de nos musées – mais dont de récentes ventes montrent l’attrait qu’elle exerce sur une nouvelle vague de collectionneurs, nous avait déjà valu une monographie et l’exposition du musée Lambinet, le présent catalogue les complète à maints égards.

Publié pour ainsi dire à compte d’auteur, il lui sera pardonné certaines scories, bien excusables au regard de l’information accumulée et des redécouvertes de toutes sortes. L’immense mérite de Xavier Mathieu se mesure, en effet, à sa façon d’étudier les œuvres et leur réception, l’identité des modèles et les liens, souvent de proximité, qui unissaient l’artiste au monde dont il se fit le greffier proustien. Elles défilent, une à une, ces princesses, de plus ou moins grande naissance, ces étoiles de la scène comme Sarah Bernhardt et Ida Rubinstein, ces poétesses tentées aussi par les dorures, telle Anna de Noailles, ou ces femmes de grands écrivains, aussi délaissées que Madame d’Annunzio… La Gandara, si attentif aux robes et accessoires par amour du beau linge, ne renouvelle pas toujours ses formules, mais il ne se répète jamais. Son prestige en souffrirait, son amour-propre aussi. « L’anguille », selon le mot de Colette, qui se fit peindre par lui en 1911, fut-il ce « Whistler de la décadence » que Maurice Guillemot voyait en lui ? La formule est à manier avec des pincettes, compte tenu des modèles de l’artiste et de la double vassalité qu’elle implique. Certes, personne n’a aussi bien croqué Jean Lorrain et son œil éthéré, ou Robert de Montesquiou, aux prises avec sa trouble neurasthénie et son dandysme existentiel. Même Boldini paraît plus retenu en comparaison. Quant au whistlérisme de La Gandara, il relève des raccourcis de la presse et de l’hispanisme commun aux deux peintres. Notre amoureux des dos qui s’éloignent et des profils irrésistibles, ceux de Mme Gautreau ou de la bouillonnante princesse de Caraman-Chimay, n’a pas négligé Watteau et les peintres du Directoire. Quoique de père mexicain et de mère anglaise, Antonio fut français jusqu’au bout des moustaches.

Proust mène aussi à La Gandara à la faveur de portraits bien réels, comme celui de Louisa de Mornand (1864-1963), dont Louis d’Albufera fut toqué avant de se marier (plus convenablement) avec Anna Masséna, princesse d’Essling. Un mariage impérial ! Le musée de Grenoble, à qui il avait été offert en 1935, a déposé la toile à Cabourg, villa du Temps retrouvé ! La robe pervenche aux reflets changeants crisse merveilleusement dans la lumière ; un petit chien, sur les genoux de la belle, rappelle à dessein le XVIIIe siècle français. Exécuté en 1907, la toile a laissé dans la correspondance de Proust, proche du modèle, un écho aux séances de pose : « Quelles heures délicieuses vous devez passer, [La Gandara] est si intéressant, si merveilleusement artiste. » Selon le tome III du Cercle de Marcel Proust, Louisa accéda à 13 ans au monde de la galanterie ; en outre, Marcel lui envoyait ses livres avec des dédicaces salées. Vient de paraître le tome IV de cette admirable série, enrichie régulièrement des recherches en cours sur la sociabilité proustienne. Une des entrées y est consacrée à Albert Flament, dont la date de naissance est rectifiée (1875 et non plus 1877). Ce n’est pas la seule retouche utile que s’autorise Caroline Szylowicz, très au fait des ventes d’autographes et des archives de la Fondation des Treilles. J’ajouterai que Flament, proche de Montesquiou, n’eut guère son pareil pour parler de La Gandara dont il fut le familier. Le site Antonio de La Gandara reproduit un possible portrait de Flament, absent du catalogue raisonné ! Quant au reste de ce tome IV du Cercle de Marcel Proust, il brille par ses lumières sur Helleu, autre pinceau de Salon, Robert Dreyfus (le premier des proches à avoir livré ses souvenirs, rappelle Antoine Compagnon), Louis d’Albufera, qu’on retrouve avec joie, et l’admirable Elisabeth de Clermont-Tonnerre, dont Mathieu Vernet a raison d’épingler la tendance à confondre Proust et sa légende. Mais, dira-t-on, c’était pour la bonne cause.

Attaché à nul cercle, parfait inconnu des lettres, petit provincial orphelin de père et de mère à 25 ans, Bernard Grasset (1881-1955) ne manque pas de culot en revanche. Il fonde sa maison en 1907 avec trois fois rien… Quand il sera devenu l’un des plus grands éditeurs parisiens, il posera pour Blanche à son tour, et en smoking. Cette manière de consécration, en 1924, tendait à effacer les années de guerre, dont il sortit très marqué, et le lâchage de Proust, passé à la concurrence. Ce n’est pas à Grasset qu’avait pensé Marcel, au départ, pour Swann. Il savait Le Temps perdu, premier titre de La Recherche avant sa démultiplication cellulaire, difficile, voire impossible, à publier. En 1909, il qualifiait son « long livre » d’obscène, en pensant aux passages aptes à horrifier Calmann-Lévy, l’éditeur des Plaisirs et des Jours (ce chef-d’œuvre de dissimulation au regard des « mœurs »). Peu éditable, le livre l’est non moins en raison de son état alors : sa dactylographie prendra trois ans ! 1912, annus horribilis, est celle du refus que lui opposent Gide et Schlumberger au nom des Editions de la NRF. Ils ont longtemps maquillé les raisons de ce refus, prétextant que le snobisme de Proust, collaborateur du Figaro, et l’énormité de l’ouvrage les avaient décidés, et non sa lecture. Nous savons depuis 1999 que les piliers de la NRF hésitèrent, une semaine entière, au lu d’un manuscrit qui dut autant les fasciner que les glacer. Quoi qu’il en soit, René Blum, le frère de Léon et son égal en raffinement littéraire, rabattit Proust vers le jeune Grasset en février 1913. C’est ainsi que Le Temps perdu devint Du côté de chez Swann au prix, écrit Pascal Fouché, d’« une avalanche de corrections » et des rallonges d’argent de l’auteur, puisque les frais d’édition et le surcoût des va-et-vient d’épreuves furent à sa charge. « Achevé d’imprimer », le 8 novembre, tiré à 2217 exemplaires, le livre reçoit bon accueil, Blanche signant la recension la plus percutante. La guerre devait rebattre les cartes, et Grasset se retirer du jeu en 1916, sans se rendre compte, écrit Fouché, « que ce renoncement restera comme un moment clé de sa vie d’éditeur ». La si vive correspondance Grasset-Proust, passionnante en soi, ouvre un vaste champ d’analyses au savantissime Paul Fouché, et au lecteur un trésor de données nouvelles quant à l’économie, en tout sens, de ce Swann impubliable, mais gros d’une mythologie à venir.

Dès janvier 1914, informé que certains éditeurs cherchent à détacher Proust de Grasset, la NRF, par la voix de Gide, tente une approche mi-cavalière, mi-pénitentielle. « Grave erreur », « honte » et « remords cuisants » succèdent, dans cette lettre célèbre, à l’aveu d’une lecture qui s’avoue gloutonne. Une série d’événements allaient jouer en faveur des repentis. La mort accidentelle d’Agostinelli, en mai, brise Proust et, ainsi qu’il l’écrit à Montesquiou, lui fait renoncer à corriger les épreuves du « second volume ». La NRF en donne tout de même des extraits en juin et juillet 1914. Rien n’est gagné encore, c’est la guerre qui met fin, écrit Fouché, à l’aventure Grasset. A l’ombre des jeunes filles en fleurs passe sous le pavillon des Editions de la NRF, confiées à Gaston Gallimard, au cours de l’hiver 1916. Trois ans seront nécessaires au lissage du texte et aux tractations entre un éditeur, entièrement acquis à l’écrivain, et un auteur très difficile à satisfaire en matière contractuelle et éditoriale. Car les négociations roulent sur les Jeunes filles, une nouvelle édition de Swann et le volume des Pastiches et mélanges. Quand Gaston et Marcel ne parlent pas chiffres et épreuves, la peinture les soude un peu plus, moins La Gandara, que Renoir, Cézanne, Manet et Lautrec. Mais leur correspondance de chats, désormais abondée de lettres inédites ou retranscrites, croise « l’ancien monde » à l’occasion, de Louisa de Mornand à Albert Flament, auquel Proust fait envoyer les Jeunes filles pour recension. Le dossier de presse du Prix Goncourt 1919, si bien étudié par Thierry Laget, ne comporte aucun article de lui ! Gardons le meilleur pour la fin, à savoir la dédicace que Proust fit à Gaston, le 29 avril 1921, du Côté de Guermantes, II : « A vous mon cher Gaston que j’aime de tout mon cœur (bien que vous pensiez quelquefois le contraire !) et avec qui ce serait gentil de passer de longues et réconfortantes soirées. Mais vous ne prenez jamais l’initiative. Les miennes échouent toujours devant mon téléphone aussi éloignant qu’au temps où vous refusiez Swann. Votre bien reconnaissant et bien fidèle et bien tendre ami. Marcel Proust. » Après la grande boucherie, le retour de l’âge d’or. Stéphane Guégan

Xavier Mathieu, Antonio de La Gandara. Le catalogue de son œuvre, 1861-1917, préface de Jean-David Jumeau-Lafond, Association des Amis d’Antonio de La Gandara, 170€ // Le Cercle de Marcel Proust, IV, actes du colloque organisé par Jérôme Bastianelli et Jean-Yves Tadié, édités sous la direction d’Elyane Dezon-Jones, Honoré Champion, 2025, 42€ // Marcel Proust et Bernard Grasset, Correspondance, précédée de Proust chez Grasset, une aventure éditoriale, Pascal Fouché (éd.), Grasset, 25€ // Marcel Proust / Gaston Gallimard, Lettres retrouvées 1912-1922, édition établie, présentée et annotée par Pascal Fouché, Gallimard, 21€ / La livraison d’automne de la NRF (n°662, septembre 2025, 20€) amplifie la moisson proustienne de quelques perles, à commencer par deux lettres de Jacques Rivière retrouvées dans les papiers de Bernard de Fallois. Elles ont trait à l’article de Proust sur Flaubert et à celui de Rivière sur Proust, respectivement NRF janvier et février 1920. Alban Cerisier éclaire justement ce doublé programmatif après la relance de la revue en juin 1919. De son côté, Pascal Fouché réexamine, à partir de lettres inédites, les difficiles relations que Proust entretint avec Calmann-Lévy, qui aurait pu être l’éditeur de Jean Santeuil, le roman de l’Affaire Dreyfus.

VUS, LUS, REÇUS

Il y a le génie des lieux, l’eau, la nature, les pierres, l’architecture, et il y a les génies du lieu, le florentin Rosso et le mantouan Primatice, réunis par le mécénat de François Ier, à la tête d’une équipe d’artistes et d’artisans dont le roi attend qu’ils transportent Rome en France. Les premières traces du chantier remontent à 1527, l’année du sac de la ville de saint Pierre. Le transfert symbolique que rêve François Ier, plus malheureux dans l’art de la guerre, a fasciné Louis Dimier, que Proust lisait dans L’Action française. Notre Renaissance continue à éblouir tout visiteur du château de Fontainebleau qui a plutôt bien traversé les siècles, la galerie d’Ulysse mise à art, détruite sous Louis XV. Le mariage du politique, du sacré et de l’érotique y trouva un espace adapté aux plus ambitieux desseins. Riche d’une cinquantaine de dessins et estampes à couper le souffle, tant le gracieux et son contraire font assaut d’invention, l’exposition des Beaux-Arts de Paris ne sépare jamais les décors, que ces feuillent préparent souvent, du bâtiment même. Le public progresse comme s’il s’y trouvait, de programme en programme. Heureux temps où il était encore loisible de parler de « maniérisme » (mot aujourd’hui démonétisé) à propos de ces corps dilatés, de ces visages tourmentés et de ces lumières en zigzag ! Bornons-nous à saluer ce corpus magnifique et ce travail d’une érudition époustouflante. La Mort de Sémélé de Léon Davent d’après Primatice, inouïe de sensualité et de pathos, annonce le grand Poussin, aussi bellifontain que Picasso. SG / Rosso et Primatice. Renaissance à Fontainebleau, Beaux-Arts de Paris, jusqu’au 1er février 2026, catalogue sous la direction des commissaires, Hélène Gasnault et Giulia Longo, avec la participation de Luisa Capodieci et Dominique Cordellier, Beaux-Arts de Paris éditions, 25€.

Qu’il y eût opportunité, et même nécessité, à consacrer au peintre David une nouvelle « synthèse » en cette année du centenaire de sa mort, nul ne le nierait. David Chanteranne, 51 ans, et trente de recherche napoléonienne à son actif, s’est donc lancé avec hardiesse et un certain panache dans son écriture, fréquent chez les experts de Bonaparte. Ce n’est pas sa première tentative en terre davidienne. En 2004, l’auteur contribuait largement au succès de l’exposition consacrée au Sacre, le tableau et la chose, aux côtés de Sylvain Laveissière, Anne Dion et Alain Pougetoux. Déjà un anniversaire ! Exposition qui, doublée par la publication d’un remarquable album de Jean Tulard, rappelait, s’il était besoin, la passion des ex-Jacobins pour l’Empereur (lui-même très admiratif de Robespierre avant 1800). Conscient que tout se touche, Chanteranne s’est gardé de sacrifier l’empereur des peintres au peintre de l’empereur. Son livre couvre donc la longue carrière de David, mêlée de politique, et évite l’anachronisme de l’artiste prérévolutionnaire, cher à Thomas Crow, écrit « Crown » dans la bibliographie (sublime coquille, sans gravité). On pourrait chipoter ça et là : le Jupiter et Antiope de Sens, s’il est du tout jeune David – ce qu’on aimerait croire en raison de sa parenté avec François Boucher, a peu de chance d’être un tableau de concours. Par ailleurs, le crédit que l’auteur accorde aux « autobiographies » de David et aux écrits de sa descendance mériterait d’être modéré de temps en temps. Quoi qu’il en soit, le livre existe, il a été conçu avec sérieux et écrit avec esprit. SG / David Chanteranne, Jacques-Louis David. L’empereur des peintres, Passés/composés, 2025, 24€. Voir aussi Sébastien Allard, Jacques-Louis David, carnet d’expo, Gallimard/Musée du Louvre, 11,50€ et ma recension de la présente exposition dans Commentaire (https://www.commentaire.fr/peinture-et-politique-exposer-david/).

L’index d’un livre en dit beaucoup, plus parfois que l’auteur ne le souhaiterait lui-même. Prenez le magistral volume des Essais littéraires d’Aragon (La Pléiade, 2025, 86€) et promenez-vous dans les allées bien sarclées des noms et titres d’ouvrage qu’il recense avec le soin infaillible de Rodolphe Perez. Que Hugo et Rimbaud dominent la liste, rien d’anormal, Aragon fut un mélange instable des deux. Il est plus piquant de constater que Barrès l’emporte sur Balzac, Lénine sur Flaubert, Gorki sur Drieu, et que Musset égale à peu près Baudelaire. On est moins étonné de trouver, en situation éminente, Lewis Carroll : Aragon aura contribué à son installation au sein du panthéon littéraire, note Philippe Jaworski en tête de la délicieuse et savante édition qu’il nous propose des Alice et de La Chasse au Snark, l’ensemble étant assorti des illustrations originelles et d’un bouquet d’autres. Ah, les surréalistes, que serions-nous sans eux ?  A en croire la rumeur, nous devrions à ces éternels enfants le débarquement de Carroll sur nos plages. Il est vrai qu’Aragon, encouragé par Nancy Cunard, s’agite dès 1929 et confirme, deux ans plus tard, l’adoubement de l’Anglais qui a su, le rire en bandoulière, révéler le nonsense et l’étrange constitutifs de l’enfance. L’enfant sage que fut Louis se venge des livres édifiants dont il fut gavé (catéchisme où il passera maître devenu communiste). Je n’ai jamais pu croire que Breton et sa bande aient inauguré la fortune française de Carroll, et ce que nous apprend le volume de Jaworski conforte mes doutes. Entre 1869, date de sa première édition française, et 1907, date de la démultiplication des éditions illustrées (notamment celle, sublime, d’Arthur Rakham), on imagine mal que le milieu parisien soit resté sourd aux beautés hilarantes et terrifiantes du Londonien. Du reste, en 1931, Gringoire, à la faveur d’une nouvelle traduction, rappelait à ses lecteurs que Proust « goûtait fort » cette œuvre insolite, née de l’onirisme qu’elle met en scène, à la manière de La Recherche. SG / Lewis Carroll, Alice suivi de La Chasse au Snark, édition bilingue et traductions nouvelles de Philippe Jaworski, 207 illustrations, Gallimard, La Bibliothèque de La Pléiade, 64€.

On en parle !

Luc-Antoine Lenoir, « Fin de règne », Le Figaro, Hors-Série David, 2025, à propos de David ou Terreur, j’écris ton nom, de Stéphane Guégan et Louis-Antoine Prat, Samsa éditions, Bruxelles, 12€ : « On se régale des tournures habiles, des répliques qui claquent, à destination de Joseph-Marie Vien ou d’Élisabeth Vigée Le Brun, des jugements lapidaires sur les tableaux des autres. […] Les auteurs de cette pièce inclassable sont des historiens de l’art […]. On les découvre dramaturges tout aussi convaincants. Leur David a de l’aisance, presque des convictions dans l’arrivisme ; il avance avec une résolution tranquille vers les lieux où se décide la réputation. […]  Vient la Révolution. Les dialogues restituent l’emphase d’un monde qui se croit nouveau : serments, grands mots, promesses d’innocence retrouvée. Robespierre est un ami et, avec lui, David s’engage pleinement pour la Terreur. […] Reste la question qui fâche : jusqu’où l’art peut-il justifier l’action qu’il magnifie ? Après l’épreuve, Bonaparte entre en scène, puis Napoléon. S’ensuit un étonnant dialogue critique sur Le Sacre. L’Empereur sait qu’il devra désormais une part de sa gloire au peintre et lui confie ses attentes politiques […]. Après cette acmé, le peintre n’aura plus que des souvenirs. La mélancolie s’installe en aval d’une vie d’aventures. Il ne sait plus s’il fut témoin ou acteur de son siècle. On sort de cette lecture – en attendant l’adaptation sur les planches ? – un peu plus clairvoyant sur les relations de l’art et du pouvoir, et surtout, ému. Au théâtre, c’est toujours une victoire. »

PEINT EN FRANCE

Malraux identifiait l’art d’assouvissement aux peintres qui se seraient abaissés à plaire plus qu’à refonder une forme de sacré en bouleversant l’ordre des apparences. Les séducteurs lui répugnaient autant que les réalistes. Ses écrits sur l’art ne citent qu’une fois Simon Vouet, pour l’opposer certes à Cabanel, mais le distinguer du peintre d’Olympia. Les Voix du silence prêtent peu à la galanterie, elles crucifient les « nus à plat ventre » de Boucher, se dressent contre leur « appel à notre sensualité », comme si le crime de ne pas s’en tenir à « un univers exclusivement pictural » se doublait de celui de la chair dévoilée. A ce compte, le savoureux Michel Dorigny, auteur d’une figure de La Rhétorique décolletée, et donc partisan de la persuasion par la tête et le corps réunis, avait peu de chance d’être admis au panthéon malrucien. Il n’y trouve aucune place, pas plus qu’ailleurs, en dehors de mentions expéditives, avant le regain d’intérêt des années 1960-1970 : William Crelly, Jacques Thuillier, Pierre Rosenberg et Barbara Brejon de Lavergnée entraîneront derrière eux une inversion de tendance qui aboutit, aujourd’hui, à la somme de Damien Tellas.  Etablir le catalogue des peintures de Dorigny, qui fut le collaborateur, le graveur et l’un des gendres de Vouet, n’avait rien d’une sinécure. Car isoler sa production propre, on le devine, s’avère parfois ardu. A côté des tableaux de sa main, puissante dans l’élégance comme Véronèse ou Carrache qu’il admirait, il existe les œuvres de collaboration, et les toiles peintes sur le canevas du beau-père. Tellas navigue en eaux dangereuses avec la meilleure des boussoles, la connaissance extrême de son sujet, qui passait par une réévaluation des gravures, et la revalorisation des héritages. Eloignées les guerres de religion, l’idiome bellifontain et son Eros savant reprennent vie sous Louis XIII. Comme le Poussin amoureux qu’il a gravé ou paraphrasé, Dorigny repart des fresquistes de Fontainebleau et réapprend le sens du solaire, de l’enchantement, avant de le transmettre au premier XVIIIe siècle, Boucher, les Coypel, Pierre et même Greuze. Si la tragédie n’est pas de son monde à peu d’exceptions, ne le croyons pas assez libertin pour traiter semblablement le religieux et le profane. A bien regarder, son sublime Agar et l’ange de Houston (couverture), quoique peu désertique et encore moins ascétique, n’annule pas la grâce du Ciel au profit des beaux corps en mouvement et des compositions fluides, qui disent le décorateur virtuose. Vouet et les siens, jadis accusés d’être des brosseurs superficiels, demandent à être revus en profondeur.

Le retour triomphal de Poussin en sa patrie, à la demande de Louis XIII et de son surintendant des bâtiments, a jeté une ombre durable sur ses collègues parisiens, que l’autorité suprême du royaume aurait tenu pour impuissants à mener les travaux confiés au normand exilé.  « Voilà Vouet bien attrapé ! », a-t-on longtemps répété, afin d’accréditer la thèse que ce mot était un jour sorti de la bouche du roi, comme un couperet. La décision de confier à Poussin le décor de la Grande galerie du Louvre ne manquait pas d’audace, et même de témérité. Ce lointain sujet, ce sujet de fierté nationale, ne brillait guère par sa science des plafonds et des entreprises de longue haleine. C’était une chose de faire vivre la fable amoureuse ou le trait de vertu aux formats de son chevalet, et à l’échelle de la lecture frontale, c’en était une toute autre de couvrir les murs les plus prestigieux de la capitale en y déployant les travaux d’Hercule, incarnation de la force juste, très en cour sous Henri IV et son fils. Le premier colloque du centre de recherche attaché au Musée du Grand siècle, lieu de savoir qui porte le nom de notre héros, se devait de lever le mystère qui entoure, voire enveloppe encore, le projet de 1641 et son naufrage annoncé. Les actes, parus récemment, comblent une lacune de l’historiographie, peu loquace quant à cet échec qu’elle préférait effacer de sa mémoire. Or, il est plein d’enseignements, enfin tirés. Paradoxale, de bout en bout, s’avère l’affaire. Seuls cinq dessins autographes ont été conservés, et séparés des nombreuses feuilles d’atelier par Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat dans leur catalogue raisonné de l’œuvre graphique. Elles s’animent toutes d’une belle furia, typique du tempérament de l’artiste quand rien ne freine sa fantaisie. A preuve la célèbre empoignade d’Hercule et Antée, en illustration de Léonard. Une suite aussi virile que musicale de compositions historiées, tantôt en hauteur serties d’atlantes, tantôt en largeur, devait courir le long de la puissante corniche de la Grande galerie. Refusant d’affaiblir le discours et la tectonique d’ensemble, Poussin plie ses figures et leur cadre à une sévère organisation, conforme à l’esprit éminemment politique de la commande et fermement distincte du joyeux, ou précieux, fouillis optique en usage à Rome. Celle majeure d’Annibal Carrache ou de Pierre de Cortone ! Malgré cet écart, le souvenir de la galerie Farnèse n’en est pas moins aussi certain qu’éconduit. Français à Rome, Poussin restait Romain à Paris. Une partie de son génie découle de cette double identité.

La façon dont les œuvres s’exposent au regard et l’effort qu’elles lui réclament ont toujours préoccupé Poussin, peu adepte du leurre optique, gratuit ou seulement plaisant. Sa correspondance nous apprend qu’il autorisa Chantelou à assortir d’un rideau chacun des Sept sacrements que l’artiste avait réalisés pour lui, plutôt que de faire copier la série peinte pour Cassiano dal Pozzo. « L’invention », propice à la lecture successive des tableaux, parut « excellente » à Poussin, qui ajouta : « Les faire voir un à un fera qu’on s’en lassera moins, car les voyant tous ensemble remplirait le sens trop à un coup. » Le peintre, écrit Nadeije Laneyrie-Dagen, eût à coup sûr désapprouvé « le gavage moderne de l’œil ». Elle aurait pu ajouter que la réponse de Poussin touchait à la nature même des sacrements, qui n’étaient pas de simples images, ordonnées et délectables, mais des objets investis d’une dimension sacrée. Il en allait, si l’on veut, de la double présence qu’expérimente le fidèle lors de la messe catholique. Ce que la série Chantelou, la plus grave des deux, confirme jusqu’à l’extrême-onction, où une femme préfère voiler sa douleur. Le cacher/montrer dont traite l’auteur a toujours passionné l’histoire de l’art, notamment quand le processus est interne aux formes (on pense à Bataille sur Manet et Stoichita sur Caillebotte). Mais le thème peut aussi s’aborder à travers l’invisibilité totale ou partielle des œuvres d’art, en Occident du moins, qu’elles aient été faites pour ne pas être vues, sauf à diverses occasions liées au culte, ou n’être vues que de rares curieux, dans le cas de l’érotisme à des degrés divers (le jeune Poussin y fut unique). Du divin au charnel, le présent essai dresse une typologie érudite et pluriséculaire des modes et des causes d’occultation. Avec un plaisir non dissimulé, il se penche, son point fort, sur les tableaux à couvercle, une peinture en cachant une autre, comme chez Boucher ou le Courbet/Masson de L’Origine du monde. Le Verrou de Fragonard, qui ne me paraît pas relever de la scène de viol, contrairement à ce qu’écrit Nadeije Laneyrie-Dagen, mais du jeu subtil, libertin, encore incertain, entre deux corps désirants, a-t-il connu le même sort chez le marquis de Véri ? L’Adoration des bergers (Louvre), exécutée pour l’éminent collectionneur, a-t-il servi de cache-sexe, pour le dire brutalement, au tableau licencieux ? J’ai du mal à m’en convaincre… A ce livre audacieux et passionnant, il manque un chapitre, qu’appelait l’invisibilisation qui frappe désormais certains tableaux ou certains artistes (masculins en majorité), que la foi, chrétienne ou non, le féminisme ou le puritanisme arme le bras vengeur des nouvelles ligues de vertu. 

On ne quitte ni Poussin, ni le marquis de Véri, en franchissant les portes du Petit Palais. Il aura fallu qu’Annick Lemoine en saisisse les rênes pour que Paris organise enfin l’exposition Greuze si longtemps attendue des vrais amateurs de peinture. Malgré son sous-titre, qui laisse penser que seul l’enfant y est roi, c’est une manière de rétrospective à cent numéros et prêts insignes. Aucun des genres où excella, et parfois scandalisa, l’enfant de Tournus (1725-1805) ne manque, quoique certaines des pièces les plus sensuelles (tel Le Tendre désir du Musée Condé, tableau ex-Véri, impossible à emprunter) n’aient pas été jugés nécessaires à la démonstration d’ensemble. Elle est solide de salle en salle, et de bout en bout. L’omniprésence des enfants, plus ou moins sages et studieux, tient autant à leur changement de statut au temps de Rousseau qu’à l’attention que Greuze, père de deux filles, leur accorde. Entre Chardin et Girodet, nul n’a portraituré nos chers bambins avec cette profondeur riante ou boudeuse, fière ou rêveuse, nul n’a fait rayonner de pareils yeux, de pareilles bouches. En accord avec le siècle dit des Lumières, le propos des commissaires s’étoffe en se risquant à leur donner une résonance actuelle. Les thèmes de l’éducation et du patriarcat, du lait nourricier et de la nubilité (érotisée, c’est moi qui souligne), alimentent scènes de genre et scènes d’histoire, comédies et tragédies familiales. Le foyer, chez Greuze, se transforme en théâtre des passions débridées, alterne moments heureux et déchirures fracassantes avec la même émotion directe. Diderot, qui le comprit mieux que les frères Goncourt, s’est enflammé à chaque nouveau drame domestique, vainqueur des tableaux d’histoire au Salon, et d’un prix bientôt sans égal. Ces tableaux remplis de gestes et de regards sonores nous paraîtraient aujourd’hui trop rhétoriques s’ils se contentaient de transposer Poussin, une des admirations de Greuze, en milieu bourgeois ou paysan. En s’emparant de l’univers familier et familial des peintres du Nord, très en vogue alors et plus chers que les tableaux italiens, il ne leur a pas seulement infusé la vigueur expressive du grand genre, il a conservé l’attrait de l’intime, le mystère des choses laissées à elles-mêmes, et finalement élevé le particulier aux ambiguïtés de la condition humaine. Sous Louis XV, Greuze passe pour « le Molière de nos peintres », façon de rappeler que peinture et littérature, même la plus contemporaine, restent sœurs à ses yeux. Quand éclata la controverse du Septime Sévère, que le Louvre a prêté, quelques plumes défendirent « le peintre du sentiment » contre ceux qui l’accablaient de leur cécité. Greffer, avant David, le réalisme des modernes au répertoire des anciens, c’est-à-dire aux héros, fussent-ils noirs, de la Rome antique, il fallait oser.  « Greuze vient de faire un tour de force », écrit aussitôt Diderot à Falconet. Cette exposition en est un autre.

1869, Fêtes galantes ; 1880, Sagesse. Le grand écart de Verlaine continue à dérouter l’exégèse. De Cythère au Golgotha, le chemin fut-il de Damas ? Après l’interminable silence qui suivit le coup de révolver bruxellois et la parution de Romances sans paroles (1874), silence que l’abandon de Cellulairement ne put briser, le poète décida d’en sortir par le haut, et d’emprunter la Via dolorosa. La préface de Sagesse parle bien d’un « long silence littéraire » auquel le repenti, plus peut-être que le converti, entend faire succéder « un acte de foi public ». La voix nouvelle qui s’invente réclame moins la certitude d’une croyance reconquise sur l’enfance que la soumission au « devoir religieux ». Les livres d’heures de la vieille France ne sont pas oubliés, pas plus que les ferventes et parfois amoureuses prières à la Vierge, médiévisme repensé qui n’a pas échappé à Maurice Denis. Celui-ci découvre cet étrange livre de piété en 1889, quand il reparaît chez Vanier, neuf ans après la première édition. L’accueil en avait été mauvais, à l’exemption de l’hommage différé que lui rendit A rebours, sésame de sa résurrection au temps du symbolisme. Denis, son représentant parmi les Nabis, ne tarde pas à ébaucher l’illustration de quelques poèmes, en dehors de toute littéralité directe, c’est-à-dire « sans exacte correspondance de sujet avec l’écriture », comme il l’écrit en 1890. Illustrer, ce n’est pas se soumettre au texte, mais traduire graphiquement l’impression et les idées qu’il a éveillées en vous. On sait que l’iconique chez Denis passe après ce que suggère la forme en soi. Dès 1891, il commence à exposer les premiers essais afin de tenter un éditeur. La Revue blanche hésite, Vollard aussi, avant de se décider. Quoi qu’il en soit, le Parallèlement de Bonnard doit sortir avant. Le Sagesse de Denis et Vollard paraît donc en 1910, décalé à l’aune du modernisme dont ses acteurs n’ont cure, mais aux prises avec l’actualité par d’autres aspects. Car le Verlaine de Sagesse a congédié ses révoltes de jeunesse, rend hommage au prince impérial, mort en 1879 chez les Zoulous, pleure les congrégations en difficulté, s’attaque à l’anticléricalisme d’Etat. Le progrès n’a pas tenu toutes ses promesses. Du reste, des bribes de Baudelaire traînent ici et là, certaines sont mineures, le réconfort du vin honnête, d’autres majeures, la tentation persistante dans l’angoisse d’offenser Dieu, la rédemption par la charité et l’apologétique, la recherche d’une paix dans la discipline ou le pardon. « Le malheur a percé mon vieux cœur de sa lance », énonce le poème liminaire. La blessure sauve dans Sagesse, car elle est espoir d’élection. Verlaine a moins apprécié Denis que l’inverse. Sans doute, au-delà de leurs différences esthétiques, n’a-t-il pas perçu ce que le texte poétique avait suggéré au peintre de l’idéal, condamné en somme à mêler le pur à l’impur. Jean-Nicolas Illouz et Clémence Gaboriau, dans leur admirable et si informée réédition de Sagesse, élargissent notre champ de vision sur ce point, et bien d’autres.

Stéphane Guégan

Damien Tellas, Michel Dorigny (1616-1655). Vouet en héritage, ARTHENA, 125€ / Etienne Faisant (dir.), Nicolas Poussin et la Grande Galerie du Louvre, Musée du Grand Siècle / Faton éditions / Nadeije Laneyrie-Dagen, Cacher / montrer. Une histoire des œuvres invisibles en Occident, Art et Artistes, Gallimard, 25€ /Greuze. L’Enfance en lumière, Petit Palais, jusqu’au 25 janvier 2026, catalogue sous la direction d’Annick Lemoine, Yuriko Jackall, Mickaël Szanto, Paris-Musées, 49€ /Paul Verlaine et Maurice Denis, Sagesse, fac-similé suivi d’une étude de Jean-Nicolas Illouz et Clémence Gaboriau, Gallimard, 35€ / Signalons la réimpression de Jean-Paul Bouillon, Maurice Denis. Le spirituel dans l’art, Découvertes Gallimard, 16,20€, la meilleure synthèse sur le sujet / A lire aussi : Émilie Beck-Saiello, Stratégies familiales et professionnelles de Joseph Vernet à travers l’étude de son livre de raison et de sa correspondance, Editions Conférence, 95€, voir Stéphane Guégan, « Joseph Vernet, un peintre qui compta », Commentaire, numéro 191, automne 2025.

PARUS

Stéphane Guégan et Louis-Antoine Prat, David ou Terreur, j’écris ton nom, éditions SAMSA, 12€.

Homme d’argent et de pouvoir, David fut de toutes les révolutions, même les plus radicales, lui le peintre très favorisé de Louis XVI et des grands du royaume !

Liquidateur de l’Académie royale en 1793, il y avait été magnifiquement agréé et reçu dès 1781-1783. Sous la Terreur, son vrai visage, affligé d’une déformation humiliante, se révèle.

Puisque le monde est une scène, voici le peintre de Marat sur le  théâtre de son action, entre Caravage et Poussin, Bonaparte et Napoléon, la gloire et l’exil, Rome, Paris et Bruxelles. Une tragi-comédie, en somme, comme l’Histoire avec sa grande hache.

Des danses de Salomé, l’art occidental ne fut jamais avare. Les premières, à l’écoute des Evangiles, remontent au Moyen Âge et fondent une tradition que la Renaissance et l’âge baroque ont largement suivie. Cette continuité a vécu tant que le christianisme structurait la société et que l’artiste en respectait les besoins. Au XIXe siècle, le recul du culte est contemporain d’une libéralisation de l’acte créateur. Sans en répudier le substrat catholique, Gustave Moreau, après 1870, traite ce sujet qu’il dit banalisé afin d’en extraire une poésie et une portée nouvelles. Au-delà du sens qu’il entend dégager de l’épisode biblique, il redéfinit la fonction même de l’œuvre, dont le mystère doit primer. L’Apparition est à Moreau ce que le Sonnet en yx est à Stéphane Mallarmé, une œuvre allégorique d’elle-même. Autrement dit : une image qui fait de l’extériorisation du regard intérieur, but de la peinture selon Moreau, son motif même. Ce rêve d’Orient aurait-il pour objet un autre rêve ? Saisie soudain de terreur, la belle Salomé croit apercevoir la tête décollée, sanglante, ceinte de rayons d’or, de Jean-Baptiste. Elle est seule à entrer dans le dialogue muet qu’instaure le martyr en figeant la danseuse. Comme tétanisé lui-même, un critique, lors du Salon de 1876, a parlé de « catalepsie » et de « sommeil magnétique ». Lire la suite dans Stéphane Guégan, Gustave Moreau. L’Apparition, BNF Editions/Musée d’Orsay, 12€.

A PARAÎTRE (2 octobre 2025)

Stéphane Guégan, Matisse sans frontières, Gallimard, 45€. Nomade à sa façon, Henri Matisse aura fait le tour du monde. De Collioure à Moscou, de Padoue à Séville, de Biskra à Tanger, de Harlem à Tahiti, il ne dissocie jamais le voyage de la peinture. Et sa culture, sa différence, d’une connaissance des autres. Si le pittoresque lui fait horreur, le rival de Picasso n’affirme pas moins, en 1933 : « La rêverie d’un homme qui a voyagé est autrement plus riche que celle d’un homme qui n’a jamais voyagé. » En restituant sa géographie, ce livre fait respirer autrement le récit et l’intelligence de son œuvre, loin des sempiternelles ruptures plastiques ou de la quête abstraite que l’histoire de l’art n’a cessé de mobiliser. Après 50 ans de vulgate formaliste, il a semblé vital de revenir à la francité de Matisse, à son historicité propre, à son souci du réel, autant qu’aux profits, en tous sens, tirés de ses voyages.

PERLES

Dans ses Cahiers inédits, qui le restèrent longtemps, Henri de Régnier rapporte en février 1896 : « Je rencontre Bonnières chez Judith Gautier et je lui dis : Si j’ai le plaisir de vous survivre, j’écrirai votre vie. » Trop occupé de lui-même, l’homme au monocle avala sa promesse, il a pourtant survécu plus de trente ans à celui qui contribua à le lancer. Les poètes à rimes fatiguées sont des ingrats. Mort en avril 1905, à 55 ans, Robert de Bonnières disparut assez vite des chroniques et anthologies littéraires de la Belle Epoque. Cet effacement absurde chagrinait Pierre Louÿs, autre cadet qui gagna à son commerce : le singulier érotomane avait bien connu notre « mondain » à la plume nette, aux névroses incurables, il avait aussi partagé son goût des « filles », de la poésie parnassienne, en son versant le moins guindé, et de la bonne peinture, la plus fraîche. Riche d’autres vertus encore, comme l’attachement au Christ et à la patrie, Bonnières appartenait à ces figures dont on prie chaque jour qu’un biographe alerte se saisisse, avec compétence et, selon le mot en vogue, empathie. Patrick de Bonnières, bon sang ne saurait mentir, a magnifiquement remis en selle cet ancêtre au blason terni par un siècle de négligence routinière. De onze ans l’aîné de Marcel Proust, qui jalousa un peu l’accueil que fit le grand monde à ce confrère du Gaulois et du Figaro, Bonnières précéda aussi Marcel dans la peinture acide du gratin. La lecture de Jeanne Avril et du Petit Margemont, deux de ses romans à succès, vous en convaincra en vous amusant. Car Bonnières ne laissait pas sa mélancolie maladive envahir manuscrits et correspondance. La présente biographie, forte des archives familiales, d’un goût sûr pour les arts et d’un vrai sens de l’Histoire, le suit depuis ses brillantes études (Stanislas !), le romantisme forcené de la fin du Second Empire (à vingt ans, il idolâtre Barbey d’Aurevilly !) et la sale guerre de 1870, expérience décisive qui le plonge parmi les pauvres diables de l’armée de la Loire. D’autres que lui, sous la IIIe République si hésitante et bientôt si anticléricale, auraient rejoint de mauvais combats en conservateur déçu, l’antiwagnérisme, l’agitation brouillonne à la Déroulède, l’antisémitisme… Patrick de Bonnières fait preuve de courage et de clairvoyance en dédouanant Robert de cette lèpre. Son analyse des Monach, roman qui observe les alliances multipliées entre la vieille aristocratie et les élites juives, confirme celle des Archives israélites, elle prélude aux pages très fines consacrées à l’Affaire Dreyfus, qui met le patriotisme de Bonnières et son respect de l’armée au supplice. Il était de ces hommes qui ne craignent pas de croiser le fer avec leur entourage, de Maurice Barrès à l’anti-baudelairien Brunetière. Au côté de son épouse Henriette, « beauté botticellienne » que James Tissot, Jacques-Emile Blanche et Albert Besnard ont mieux servie que Renoir, Robert fut aussi le Sainte-Beuve (parent éloigné) ou l’oncle de la vague de 1890, se frottant au monde de La Revue blanche, à Gide et Valéry, à Jean de Tinan, plus qu’au très haineux Jean Lorrain.

Vrai viveur 1900, se gardant bien de sacrifier à sa noblesse d’âme ce que lui dictaient ses désirs, Bonnières scandalisa, à l’occasion, la très effrontée Rachilde. Faste millésime que 1884 ! Ce fut l’année des Monach, d’A rebours et de Monsieur Vénus, peut-être ce que la future Madame Valette a écrit de plus cru, de plus drôle, de plus beau, de plus parfait. Les bonheurs allant par deux, ce bref roman des contorsions hermaphrodites de la libido reparaît en Folio classique flanqué de Madame Adonis. Née en 1860, précoce de plume et du reste, Marguerite Eymery sort de l’adolescence et de l’obscurité des débutantes à coup de petites audaces, un poème envoyé à Hugo en 1875, des publications de contes ici et là, avant de plus certaines témérités. Rachilde, contraction de Rachel et Mathilde, propose Martine Reid, sent l’Orient rococo. Ce sera le surnom, étiré jusqu’en 1953, d’une des grandes dames des lettres françaises, qui n’a pas défendu le beau sexe, semblable en cela à Colette, en pratiquant un féminisme qui l’eût coupée des hommes et de la porosité des genres. Monsieur Vénus, on l’a deviné, joue du transfert et du travestissement, et surtout du fantasme assumé jusqu’aux limites de la vraie cruauté. Rachilde n’a pas écrit pour rien un remarquable Marquise de Sade. Revenons à Monsieur Vénus où l’autre Sade a un petit rôle… Raoule de Vénérande, orpheline moins janséniste que son chaperon de tante, tisse d’imprévisibles liens avec un jeune homme désargenté sur lequel son dévolu prendra toutes les formes, sauf celles dont la nature la ou le prive. Car la chère enfant ne sait plus très bien, et le lecteur avec elle, si elle n’a pas changé d’instrument intime en changeant de masque ou de veston. Bref, c’est délicieusement décadent, déroutant, « abominable », ainsi que l’écrivit le malicieux Barrès, au lendemain d’une brève aventure avec Rachilde. Se succédèrent deux éditions bruxelloises en 1884 et 1885 (le roman sent le soufre), la seconde assortie d’une préface du vieil Arsène Houssaye, que donne le présent volume et que son incipit honore : « Le cœur est une cage où l’on tient enfermé l’Amour avec défense de chanter trop haut. » Il savait sa jeune amie de la race des oiseaux furieux. Du reste, Barrès, préfacier de la 3e édition en 1889, salue « Mademoiselle Baudelaire » en lui faisant gloire, sous l’apparent grief de lui reprocher son insolente impudeur, d’être une « fleur du Mal ». Les échos de Mademoiselle de Maupin ne pouvaient échapper à l’auteur de Sous l’œil des barbares. Mais je m’étonne que ni Barrès, ni Martine Reid, n’aient senti la parenté ironique qui fait de l’intrépide Raoule l’âme sœur ou damnée de certaines héroïnes de George Sand et d’Edmond de Goncourt. Rachilde s’offre même un autre larcin puisque sa Raoule possède un portrait d’elle par Bonnat. Ce dernier n’a pas toujours peint de sages petites filles. Mais le Bonnat de Monsieur Vénus est déjà un Balthus, l’amazone « portait un costume de chasse du temps de Louis XV et un lévrier roux léchait le manche du fouet que tenait sa main magnifiquement reproduite. » Roux comme sa victime à deux sexes, peintre médiocre, lui. « Soyons Régence » : Raoule et Rachilde s’y entendaient. Stéphane Guégan

*Patrick de Bonnières, Vie et tourments d’un homme de lettres fin de siècle, Honoré Champion, 48€ // Rachilde, Monsieur Vénus suivi de Madame Adonis, Gallimard, Folio classique, 9,90€. Signalons aussi la parution de La Tour d’amour (1899), un autre huis clos de Rachilde, moins érotique, mais plus nautique, qui ne retiendra pas que nos frères et fiers bretons (Gallimard, L’Imaginaire, préfaces de Camille Islert et de Julien Mignot, 8,90€). Un peu moins de vingt ans après Henriette de Bonnières de Wierre, Camille Barrère pose en 1906, à Rome, au palais Farnèse dont il est le maître depuis la fin des années 1890, devant Albert Besnard. Au sujet d’Enrico Serra, De la discorde à l’entente : Camille Barrère et l’Italie (1897-1924), Direction des Archives (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) / Ecole nationale des chartes (CTHS), 2023, postface de Maurizio Serra, voir mon compte-rendu dans Commentaire, hiver 2023, p. 919-920.

BONNARD BONNES ONDES

Au sujet de Bonnard (Hazan, 2023), la chronique de Laurent Delmas :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-culture/l-edito-culture-du-mardi-09-janvier-2024-2912563

Stéphane Bern, Historiquement vôtre, Europe 1, 10 janvier 2024, La véritable histoire de Marthe et Pierre Bonnard, une histoire d’amour et de secrets :

https://www.europe1.fr/emissions/historiquement-votre/la-veritable-histoire-de-marthe-et-pierre-bonnard-une-histoire-damour-et-de-secrets-4224380

A venir : Alain Finkielkraut, La Postérité de Bonnard, Répliques, France Culture, 3 février 2024, 9h00, avec Stéphane Guégan et Benjamin Olivennes. J’emprunte le titre de ce blog au dernier livre d’Alain Finkielkraut. Pas plus qu’une apologie de l’opéra de Bizet, malgré ses références à Nietzsche qui faisait grand cas du musicien solaire, Pêcheur de perles (Gallimard, 19,50€) ne défend le fatalisme de l’huître, forgeant son or loin de la boue du réel. Alain Finkielkraut n’a pas déserté la cité et ses maux, le monde et ses fractures, à commencer par l’Europe de son cher Kundera, peut-être le premier à avoir pensé la survie d’une certaine « occidentalité » (verbatim) en dehors de toute intolérance identitaire. Ce n’est pas parce que le peuplement du vieux continent évolue à grande vitesse qu’il faudrait montrer moins d’ardeur à préserver notre culture que les nouveaux arrivants la leur. Il est vrai qu’à la théorie des seuils de coexistence, chère à Lévi-Strauss, l’intelligentsia dominante substitue désormais le miracle diversitaire.  La dégradation de plus en plus rapide de la planète ne laisse pas d’autre place, sans doute, à l’eschatologie de l’avenir radieux. De ce dernier avatar du rousseauisme moderne, Alain Finkielkraut a de bonnes raisons de se méfier, soucieux qu’il est davantage du présent et de ses faillites, le fléchissement des humanités, le naufrage scolaire, la criminalisation de l’art, l’abaissement continu de la civilité, l’atomisation sociale, les progrès de la peur et le recul du courage politique. En quinze citations, qui ouvrent chaque chapitre et guident de très actuelles divagations, au sens de Mallarmé, ce livre tire sa morale de la règle qu’il se donne : nos mots et nos idées ont des racines, nous sommes fondamentalement des héritiers, comme Mona Ozouf le disait de Jules Ferry, père d’une école qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, et d’une Nation qui ne croit plus en elle. Au même moment, L’Après littérature (Stock, 2021) entre en Folio (Gallimard, 8,90€), cet essai ferme sur une autre forme de déliaison, et bientôt de double divorce : celui des lecteurs avec la littérature d’avant, et de l’écrivain avec son magistère ou sa tendre aura. SG

SOIS BREF (IV)

Les Œuvres complètes de Huysmans, que conduisent Pierre Glaudes et Jean-Marie Seillan pour Classiques Garnier, viennent d’atteindre leur tome VIII. Avant-dernier d’une entreprise menée à vive allure, il couvre les années 1903-1904, celles principalement de L’Oblat et de Trois primitifs. Nous avons déjà dit la valeur de cette nouvelle édition, rappelé le choix qu’elle fait de la stricte chronologie et de la parité entre production romanesque, littérature critique et journalisme divers ; il faut aussi se féliciter de la réévaluation du romancier catholique qu’elle opère derrière une neutralité confessionnelle de principe, voire un certain scepticisme, que le lecteur est en droit de ne pas partager (tome I, tome IV et tome VI ). Si l’invention narrative fléchit légèrement à l’heure de L’Oblat, ultime étape ou station de la tétralogie de Durtal (elle mériterait La Pléiade avec préface de Houellebecq), Huysmans empoigne tous les moyens, hors l’hagiographie, contre l’anticléricalisme que réveille la loi de juillet 1901 sur les Congrégations. Trois mois après qu’il y a fait sa profession solennelle au terme d’un an de noviciat, Saint-Martin de Ligugé est sommée de déménager et « frère Jean » de retrouver Paris. L’Oblat rejoue, si l’on ose dire, l’expulsion du jardin d’Eden (comme le dernier et beau film de Paul Schrader, Master Gardener). La fiction transforme Ligugé en Val des Saints, Dom Besse en Dom Felletin, Poitiers en Dijon. Mais ce roman vengeur n’épargne pas l’abbaye bénédictine et l’agonie d’un certain idéal cénobitique, antérieure à la mort politique. Huysmans, dans le secret de sa correspondance, va même plus loin et prend des accents maistriens pour expliquer la rage d’Émile Combes, instrument involontaire d’un Dieu déçu par ses serviteurs. Doit-on s’en tenir à l’amertume du proscrit? D’autres aveux intimes enregistrent la tristesse consécutive au départ des moines, imparfaits parce qu’humains, et donc pardonnés au nom de ce qu’ils avaient représenté collectivement. On a souvent comparé ce roman de « l’échec » monastique au précédent d’A rebours : un même mouvement de balancier en structure le récit, retraite hors du monde et retour à la vie civile, un identique appel vertical à Dieu les clôt : « Ah ! mon cher Seigneur, donnez-nous la grâce de ne pas nous marchander ainsi, de nous omettre une fois pour toutes, de vivre enfin, n’importe où, pourvu que ce soit loin de nous-mêmes et près de Vous ! » Contraint à l’exil, le monastère de Ligugé, auprès duquel Huysmans avait vécu en 1899-1901, revit dans L’Oblat, rythmé par l’ordre et l’éclat liturgiques, embelli par l’aspiration à un nouvel art sacré (dont les modèles sont autant Alphonse Legros et Sluter que les Primitifs nordiques), mais déchiré – là est la beauté du texte, sa sincérité durable – par l’impossibilité, existentielle et historique, de ne vivre qu’en Dieu. De ce roman provincial, très balzacien par instants, gourmand en diable, s’élève le parfum d’une France révolue et de pratiques religieuses condamnées à la clandestinité ou à la transfiguration littéraire. Jean-Marie Seillan en étudie finement la réception critique, qui fut exécrable. Aux attaques des Bénédictins et des durs de la laïcité républicaine répondit toutefois l’enthousiasme du milieu franciscain et du jésuite Henri Bremond. L’architecture secrète de ce livre aux apparences débraillées échappa à Léon Blum, autre recenseur, il préféra saluer son style féroce et croustillant, sa valeur documentaire, et estimait qu’on s’y reporterait dans 500 ans par curiosité ou nostalgie d’une certaine spiritualité chrétienne. C’était mal évaluer la rapidité de son extinction et ne pas deviner que la France affaiblie du XXIe siècle s’en soucierait si peu. 1903, malgré tout, aura été la dernière grande année de Huysmans, la parution controversée (et donc salutaire) de L’Oblat fut suivie de la découverte du polyptyque de Grünewald, en compagnie de l’abbé Mugnier, et se conclut avec l’attribution du premier Prix de l’Académie Goncourt que présidait notre farouche séide du Christ. Trois primitifs, plus lu aujourd’hui que L’Oblat et sur lequel cette édition apporte ses éclairages, paraîtra, en 1905, avec six planches hors-texte, à l’enseigne de Léon Vanier, éditeur de Verlaine, « croyant grincheux » dont le dernier Huysmans assurait une promotion batailleuse.

Stéphane Guégan

Huysmans, Œuvres complètes, sous la direction de Pierre Glaudes et Jean-Marie Seillan, tome VIII, 1903-1904, édition de Jean-Marie Seillan, Classiques Garnier, 56€. A propos du tome IX, voir Stéphane Guégan, « Noire progéniture », Revue des deux mondes, décembre 2020/janvier 2021 (https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2020/11/R2M-2020-12-152-178.pdf). Voir aussi, du même, « Huysmans là-haut », Commentaire, 2022/4 (https://www.cairn.info/revue-commentaire-2022-4-page-843.htm) et Sébastien Lapaque, « Huysmans bénédictin », Revue des deux mondes, avril 2020. Les éditions Bartillat ont réuni en 1999 les quatre livres formant Le Roman de Durtal (32€), et l’ont assorti de l’étude incisive de Paul Valéry (Mercure de France, mars 1898). Signalons enfin le n°115 du Bulletin de la Société J.-K. Huysmans, 2022, et notamment l’article de Jean Demange sur la conversion de l’écrivain. Cette livraison contient des notes inédites de 1886, pétillantes de verve au sortir de la huitième et dernière exposition impressionniste, notes essentielles que présente savamment, et sans ménagement inutile, Francesca Guglielmi. On doit à cette experte de Huysmans le florilège des Écrits sur J.-.K. Huysmans et le naturalisme de Camille Lemonnier (Éditions ETS, 11€). La Belgique fut la principale terre d’accueil, d’action et d’écoute du premier Huysmans, Lemonnier théorisa très vite ce qui séparait son ami français du modèle zolien et bientôt du naturalisme de stricte obédience. SG