POUDRE AUX YEUX ?

On n’osait plus y croire, tant il avait été annoncé par ses prédécesseurs… Mais Xavier Salmon l’a fait. Le patron du département des arts graphiques du Louvre est parvenu au bout du catalogue des pastels de la grande maison, la plus belle collection au monde, largement supérieure à celles de Dresde et de Londres. Depuis la décision que prit Louis XVIII de faire ramener à Paris les trésors de Versailles afin d’enrichir la collection du Louvre, transfert qui faisait prévaloir la qualité esthétique sur la dimension politique sans l’annuler, le musée est détenteur d’un trésor que Salmon ne s’est pas contenté d’étudier à la faveur d’une campagne de restaurations exemplaires et d’une série de découvertes dont son indispensable catalogue regorge. L’exposition qui vient d’ouvrir en a sélectionné la fleur, 120 feuilles ou tableaux, puisque le pastel, si léger, moelleux ou même vaporeux soit-il, a toujours été considéré comme relevant de la peinture. Sa vogue débute au plus fort du règne de Louis XIV, dont Le Brun a fixé les traits encore jeunes, en 1667, en usant de la technique à la mode. Une mode qui inquiète les portraitistes fidèles à l’huile. Car le pastel n’a pas que la vitesse pour lui, il possède un éclat suave qui résiste, semble-t-il, au temps. L’épiderme, l’humide de l’œil et le brillant des lèvres, comme le transparent des couleurs, y sont donc promis à une fraîcheur éternelle… D’un autre côté, il suffit d’un accident pour ruiner la magie de l’effet. Le grand format, enfin, suppose des montages de feuilles auxquels peu se plient. Le pastel, sauf exception, invite donc à la psychologie, à l’intime, au mondain plus qu’au guindé. Le XVIIe siècle, Nanteuil ou Pierre Simon, le pratique sagement. Le médium attend son heure, elle arrive sous la Régence et s’illustre d’abord sous les doigts de Rosalba Carriera. La Vénitienne, amie des grâces sans modération, est la chérie du milieu Crozat qui l’impose à l’Académie royale. C’est une petite révolution. Non que la compagnie tienne le beau sexe à distance! Mais l’Académie l’accueille sans exiger la présentation d’aucun morceau de sa main si séduisante…

Les plus grands pastellistes français du XVIIIe siècle auront fort à faire pour égaler son prestige. Ils sont tous ici présents ces maîtres du médium, qui allait les propulser au zénith de la société et du Salon, sis alors au Louvre, un espace où s’invente une sociabilité qui aurait pu nous épargner la guerre civile à venir. Salmon en retrouve l’atmosphère et l’accrochage serré. La vieille noblesse, le clergé, la nouvelle France, femmes et hommes, enfants souvent, animaux parfois, s’installent paisiblement dans ce qui est le moment le plus fort du parcours, sous les bienveillantes besicles du grand Chardin. La rivalité des artistes y est ramenée à ce qui fut une saine émulation, comme celle qui entraînait Quentin de La Tour et Perronneau vers le meilleur d’eux-mêmes. J’ai dit ici, au sujet de ce dernier, mon regret de voir le portrait d’Olivier Journu quitter la France pour le Met en juin 2002… Le Louvre est richement doté, dira-t-on, en chefs-d’œuvre de cet homme assez nomade, aussi habile à saisir une coquette qu’un jeune seigneur plein de soi. Mais est-ce une consolation efficace ? La Tour, lui, élargit son domaine. Et l’exposition frappe trois coups à cet égard : une restauration magique, celle du non moins magique Portrait de la marquise de Pompadour (couverture) et son effort crypté, via la nature morte des livres et de la gravure visibles à droite, de concilier le cœur et l’esprit, la cour et la ville, Louis XV et les philosophes qui commencent à s’éloigner ; une réattribution, celle de cette charmante religieuse qui, pour n’être pas l’une des filles du Bien Aimé, n’en est pas moins royale ; une acquisition insigne enfin, celle du portrait espiègle de Marie-Louise Gabrielle de la Fontaine Solare de la Boissière dont Edmond de Goncourt et René Gimpel étaient fous. À ces bonnes fortunes, celle-ci sourit encore, du sourire des femmes de tête qui s’acceptent telles qu’elles sont. Car le pastel n’a nul besoin de flatterie pour exister, c’est la réponse de la France aux douceurs trop sucrées de Rosalba, ce sera la réponse de Labille-Guiard, de Vigée Le Brun et de Prud’hon, les trois noms qui referment un parcours soutenu, auquel il ne manque qu’un pastel, mais ils sont rares, de Jean-Bernard Restout…

On savait ce Restout-là d’allure belle et farouche, de caractère instable et de conduite indomptable. On disait qu’il avait abattu l’Académie royale de peinture, en 1793,  par vengeance personnelle. L’artiste, pour les historiens trop rapides, comptait moins que son destin d’ingrat rejeton et d’héritier soupe-au-lait. La thèse m’a toujours paru mince… Fils du grand Restout, apparenté aux Hallé et aux Jouvenet par le jeu des alliances normandes, Jean-Bernard était né coiffé, le 22 février 1732. Avant de le pousser vers le Prix de Rome, la famille le confie à Maurice Quentin de La Tour – le portraitiste de ses parents – dont l’adolescent retient, miracle, plus que le métier. Il est peu de portraitistes qui aient montré sous Louis XV autant de vérité et de mordant que Restout, le « franc-tireur » (Jean-Pierre Cuzin). Mais là ne pouvait s’arrêter la fièvre conquérante d’un jeune homme qui passa par les mains de Boucher et n’oublia pas de regarder, autre maître en nus licencieux, Carle Van Loo. Le livre très complet que lui consacre Nicole Wilk-Brocard, pesons nos mots, nous permet enfin de comprendre, et la grandeur insoupçonnée du peintre, et les raisons de ses menées révolutionnaires, dès l’été 1789, avec peut-être même plus de sincérité que David lui-même. Ce qui fascine précisément chez Restout, c’est qu’il eût pu se tracer une tout autre route dans le siècle. On a déjà compris laquelle. À l’évidence, Jean-Bernard a bénéficié de la protection de papa. En 1758, il se voit accorder le Grand Prix avec un rien de bienveillance de la part de ses juges. Les pauvres, ils ne comprenaient pas que, ce faisant, ils contribueraient à lui donner un jour l’envie de réformer la Compagnie de fond en comble… Alors qu’il se prépare à rejoindre Rome, on le voit traduire en peinture le théâtre moderne le plus noir, celui de Baculard d’Arnaud, signe annonciateur de ses relations difficiles avec l’Académie romaine qu’abrite le palais Mancini. C’est alors le bon Natoire qui a la rude tâche d’imposer aux jeunes pensionnaires, enfin libres des concours, le règlement, les exercices requis et les devoirs religieux. En 1977, Pierre Rosenberg a montré, correspondance administrative à l’appui, qu’il n’y parvint pas. L’indiscipline règne plutôt, et Restout, janséniste de tête plus que de corps, n’est pas le dernier à «se licencier», selon la belle formule du directeur débordé.

On ne met pas en cage de tels fauves. Restout se fiche des morceaux d’anatomie et, en matière de copies, va naturellement aux bolonais les plus virils et à Valentin, le plus génial des caravagesques français… Les meilleurs tableaux de Restout ont quitté la France, à commencer par son premier chef-d’œuvre, Les Plaisirs d’Anacréon qui donne l’envie de pousser quelque Ode amoureuse à ses côtés. Étonnamment, les spécialistes du XVIIIe siècle, sauf erreur, n’ont pas vu que la toile, gravée et fort célèbre en son temps, fut sans doute l’une des sources de La Mort de Socrate de David, page aussi stoïcienne que son modèle l’était peu. Cet Anacréon en belle humeur n’eut pas l’heur de plaire à Diderot, lors du Salon de 1767, de même que Diogène demandant l’aumône aux statues donne l’impression au critique difficile d’être en présence d’un charretier insuffisamment noble d’aspect. Mais le pire, en fait d’incompréhension, restait à venir et il viendrait une fois de plus de ses pairs. Agréé et reçu sur présentation du beau Philémon et Baucis de Tours, Restout se voit refuser un tableau au Salon de 1769, dont on aimerait qu’il se confondît avec le Satyre et Nymphe Resnick, comme le suggère Nicole Wilk-Brocard. Si l’on ajoute quelques portraits d’une rare puissance, l’immense Présentation de Notre-Seigneur au Temple, tableau hélas introuvable, et la préromantique Descente de saint Louis de 1774, le catalogue peint de Restout est presque déjà parvenu à son terme. L’homme, lui, est loin d’avoir encore désarmé.

Deux gravures témoignent alors de l’horreur que lui a inspirée le dernier gouvernement de Louis XV et l’autoritarisme du vieux roi à l’égard des parlements. C’est le plus mauvais cadeau que le vieux monarque faisait à son petit-fils, le tout jeune Louis XVI. En 1775, sans perdre de temps, Restout réclamait la suppression du jury académique du Salon. Au contraire, tout allait se durcir dans les années à venir, marquées par la sédition des uns et le raidissement des autres. Bref, une situation typiquement française qui déboucherait, après l’été 1789, sur une guerre ouverte entre le clan davidien et ses adversaires, de Vien à Vincent. Nicole Wilk-Brocard ramasse en deux chapitres denses l’imbroglio révolutionnaire qui jette l’enthousiaste Restout dans les intrigues, puis les prisons des amis de Robespierre et du délicieux Fabre d’Eglantine. Il n’y a pas de fumée sans feu, dit-on. Restout, bondissant des Jacobins au Garde-Meuble en trois ans, montre nul scrupule à évincer qui le gène ou entrave la marche de la Nation. Notons que l’homme que la Terreur jette en prison fin 1793 a autant le sens des opportunités que le respect du patrimoine menacé, religieux comme laïc. Avant de mourir, à 64 ans dans les bras d’une amie chère, il se paya le luxe de jeter, le 14 mai 1793, à ses rouges ennemis : « J’ai vécu libre quand nous étions esclaves ; âpre la conquête de la liberté, pourquoi faut-il que je sois privé de la mienne ? » Disons le avec Pierre Rosenberg, qui préface ce formidable livre : Restout a largement mérité son prénom. Stéphane Guégan

*En société. Pastels du Louvre des 17 et 18e siècles, Musée du Louvre, jusqu’au 10 septembre. Xavier Salmon, Pastels du musée du Louvre XVIIe-XVIIIe siècles, Louvre éditions / Hazan, 59€.

*Nicole Wilk-Brocard, Jean-Bernard Restout. Peintre du roi et révolutionnaire, préface de Pierre Rosenberg, de l’Académie française, ARTHENA, 86€.

Un parfum de XVIIIe siècle…

Comme les vrais bonheurs vont par deux, la réédition récente de  Madame du Deffand et son monde de Benedetta Craveri (Flammarion, 2017, 25€), précédé d’une préface de Marc Fumaroli sur les souplesses de la conversation à la française (si préférables aux tribuns du nouveau dogmatisme), n’avait fait qu’annoncer le retour en librairie de l’épistolière. Surgie à point nommé pour connaître le crépuscule de Louis XIV et les sauteries en tout genre de la Régence, la marquise ne saurait se contenter du libertinage pour oublier le malheur d’être née et bien née. Le pire, ajouterait-elle en fanatique de Montaigne et Pascal, c’est que « vivre sans aimer la vie ne fait pas désirer sa fin ». Le vide et l’ennui, ses terreurs, l’ont conduite à parachever en société, ou la plume à la main, ce qu’elle avait appris à Sceaux, auprès de la duchesse du Maine. C’est le versant plus solaire, plus Saint-Simon et Sévigné, ses idoles, de cette femme douée, disait Sainte-Beuve, de la plus belle langue du XVIIIe siècle. Avec la circonspection qui la préserve des cuistres sombres ou des futurs coupeurs de têtes, l’amie de Voltaire jette des ponts prudents entre Versailles et ces écrivains sulfureux,  souvent pensionnés, et déjà sûrs de leurs paroles corrosives. Le très beau passage sur la maladie de la Pompadour, en 1764, dit bien sur quelle crête un rien dangereuse se tiennent ces femmes qui firent aussi l’histoire. Peu de peinture dans les lettres de Madame du Deffand (la Tour de Babel, page 411, ne désigne pas le pastelliste, contrairement à ce que dit l’index), peu d’images hors les siennes et son art du portrait. Nul style n’est plus énergique, déniaisé que le sien. Sainte-Beuve avait l’oreille. SG // Madame du Deffand, Lettres (1742-1780), préface de Chantal Thomas, Le Temps retrouvé, Mercure de France, 14,50€

Au capital symbolique cher à Bourdieu, toujours prompt à lâcher la proie pour l’ombre, je préfère le capital érotique propre au génie des arts. Du rapt à l’extase, de la prise à la sublimation, Ravissement (Citadelles & Mazenod, 59€) explore les modes visuels de l’étreinte sexuée entre la Renaissance et l’art d’aujourd’hui, en-deçà et au-delà du domaine de spécialité de Jérôme Delaplanche. Auteur d’un excellent Noël-Nicolas Coypel (ARTHENA, 2004), il s’attarde peu ici sur l’âge des Lumières, ne parle pas du saphisme chez Boucher comme masque de l’hétérosexualité ou délégation vers d’autres formes d’homosexualité, mais il s’expose, plus audacieux, aux foudres de tous ceux et celles qui, nouveaux croisés de la peinture neutre, ont des envies de bûcher à la vue du moindre nu de femme… Pensez combien les scènes de prédation brutale, voire heureuse, les mettent en fureur ! La chasse au phallocentrisme ne connaît plus de bornes, jusqu’à caricaturer et démonétiser l’analyse sereine du pouvoir masculin. Citant Françoise Frontisi, avec laquelle il a signé quelques livres, Delaplanche note que les féministes qui posent ou forcent l’équivalence entre réalité et fiction en arrivent à condamner la quasi-totalité de la production artistique. Ils et elles oublient que la violence coïtale, pulsions essentielles d’après Freud, appartient au « mystère de nos sexualités » et réconcilie le réel et les images autour du même besoin d’envelopper de fiction l’acte lui-même. Quelque chose de l’ordre du sacrificiel, diraient Masson et Bataille auxquels Delaplanche donne droit de cité à plusieurs reprises, s’agrège au désir et au jeu amoureux. Il se pourrait bien que nos rabat-joie de service n’aient pas accès à ces plaisirs-là. Ravissement vogue en meilleure compagnie, puisque Titien, Bernin, Rubens et Fragonard en sont les invités d’honneur. On peut dire que l’étreinte agressive devient métaphore de la peinture comme théâtre passionnel, et que la matière picturale elle-même s’y substitue à la chair selon le mot vénitien de De Kooning, un peu écorché dans le livre : « Flesh was the reason why oil painting was invented ». SG

Ceux qui ont eu la chance de visiter un musée avec Julian Schnabel, d’approcher quelques tableaux avec lui at least, connaissent son avidité, sa justesse de regard. En quelques mots, ce qui l’a touché est dit, défini, fixé, on n’y revient pas… Goya, Delacroix, Manet, Lautrec, Van Gogh, Picasso, ses phares les plus volontiers avoués, ne l’empêchent de voir ailleurs, très loin parfois des coquetteries ou des tabous de l’art d’aujourd’hui si propret. Schnabel est disponible à toute rencontre, toute collision ou collusion entre le monde extérieur et son œuvre de peintre, qu’il construit, conjointement au cinéma, depuis quarante ans. Il y a, du reste, un zest de filmique dans la série qu’expose la Pace Gallery, à Londres, jusqu’au 22 juin. Cela provient d‘abord du matériau de départ, une série de douze gravures en couleurs, chacune représentant un mois de l’année, que l’on doit à William Hamilton (1751-1801) et qui respirent une merveilleuse et trompeuse candeur. Scènes de ferme et de labour, invites amoureuses en tout genre, jusqu’à la planche pré-balthusienne de L’Hiver, où le baiser et la ferveur qu’échangent deux jeunes gens s’accomplit près du feu d’une cheminée ardente. Sur ce fil narratif, Schnabel suspend d’étranges coulées de peinture noire, pas nécessairement du dripping, bien que Norman Rosenthal ait raison de rapprocher de Pollock, dans le somptueux catalogue, cette écriture arachnéenne. L’ancien homme fort de la Royal Academy parle de «pastorale subvertie» à propos de ce contre-discours. Notons que ces tracés d’un noir profond ne manquent pas d’humour et qu’ils agissent comme le révélateur de la fausse innocence d’Hamilton et des rêveries goyesques de Schnabel. « The re-use of a joke », selon son mot, me paraît la formule idoine. SG // Julian Schnabel. The re-use of 2017 by 2018. The re-use of Christmas, birthdays. The re-use of a joke. The re-use of air and water, Pace, 6 Burlington Gardens, London, W1S 3ET, jusqu’au 22 juin, Catalogue, 60$.

PAS SI ABSTRAIT !

Une course contre la montre ! Ce fut longtemps le modèle préféré des histoires de la peinture abstraite. On couvrait de lauriers ceux qui avaient démarré et galopé avant tout le monde. Il est vrai que les mêmes croyaient alors définitives la sortie du figuratif et la mort du sujet, ces vieilles lunes… On n’en est plus là, bien que la compétition d’antan ait laissé quelques traces. Savoir que Kupka ait renoncé plus tôt qu’on le croyait ou le disait à sa formidable capacité mimétique, qu’il ait pu devancer Kandinsky, Mondrian et Malevitch sur la supposée voie royale du XXème siècle, me laisse froid. Pour couper court à toute argutie, citons Pascal Rousseau, auteur d’une excellente synthèse sur Kupka, pour qui l’auteur d’Amorpha fut le « premier », avec Picabia, à exposer de grandes toiles peu ou non figuratives. Il faut, en effet, nuancer. Kupka ne s’est jamais installé dans le rejet total de toute iconicité. Quelques mois après avoir frappé de stupeur le public et la presse du Salon d’Automne de 1912, le peintre tchèque, mais parisien depuis 1896, décrira comme mallarméenne sa peinture soi-disant abstraite, et donc substituant à la lecture directe une suggestivité active sur l’œil et l’esprit. Du reste, l’exposition du Grand Palais, superbe de bout en bout, ne contredit en rien ce qui fut le vrai fonctionnement de l’artiste, qui laisse souvent subsister le substrat objectif d’une peinture qu’on a pu dire un peu vite sans objet. Les formidables débuts de l’œuvre occupent une bonne partie du circuit, où fleure bon le symbolisme Mittel-Europa avec ses composantes naturiste, spiritualiste et bientôt anarchiste. Le grand remplacement s’agite déjà et s’attaque à la vieille Europe, pétrie de matérialisme, de puritanisme et vouée à la double arrogance du technique et de la banque. De la banque juive, laisseront entendre ses dessins satiriques entre 1901 et 1907 (65 paraissent alors dans L’Assiette au beurre). L’humanité doit abattre ses ennemis, disait Robespierre. L’extrême-gauche de la Belle époque, anti-capitaliste et anti-cléricale, veut croire à une révolution complète, rédimante, du genre humain. Inconditionnel d’Élisée Reclus, après avoir fréquenté toutes sortes de gourous, Kupka fait de sa peinture le vecteur des lendemains qui chantent. Les énergies de la vie, bonnes en soi, évidemment, ne demandent qu’à être mieux canalisées ! À ce compte-là, la prostituée de Puteaux, l’Éros sous-jacent des déflagrations florales et cosmiques, le mouvement pur de la danseuse ou de l’écuyère, les rythmes orchestrés du machinisme se valent et laissent entrevoir un monde de forces et de formes réconciliées. Kupka fut un darwinien optimiste. Quand la guerre de 14 éclata, il mit du tricolore dans sa peinture (Broderie, musée national du Luxembourg) et enfila l’uniforme tandis qu’une bonne partie de l’avant-garde parisienne se planqua. Comme Cendrars, qui parle du courage de Kupka dans La Main coupée, comme surtout des centaines d’hommes de sa Bohême natale, il s’enrôla dans la Légion étrangère et participa à l’effort de guerre de mille manières, contribuant à la naissance des états indépendants que le traité de Versailles ferait naître des cendres de l’Autriche-Hongrie. Dès décembre 1917, nous apprend le catalogue, le gouvernement français anticipait le mouvement en autorisant la formation d’une armée tchécoslovaque autonome.

Poincaré et Clemenceau venaient de perdre un allié de poids avec la révolution bolchevique… Malheur des uns, bonheur des autres… La révolution de 17 donne aux Juifs de l’ex-empire russe  le statut de citoyenneté qui leur avait été refusé dans la violence des pogroms à répétitions. On comprend que Chagall, ramené à Vitebsk par la guerre de 14, ait accueilli la fin du tsarisme, pour cette raison, avec un enthousiasme quasi épiphanique. Sa peinture des années 17-18 use de l’envol, de la lévitation, du vin eucharistique et de Belle en Madone, dès qu’elle entend exprimer la nouveauté des temps. Cette veine euphorique colore les premiers espaces de l’exposition du Centre Pompidou. Face aux tableaux de Chagall entraînés par le vent encore frais de la Révolution, des images d’actualité défilent : on y voit les rues de Vitebsk grouillantes de foules, on sourit à la caméra, servante du Peuple en marche, mais on sourit à sa future et très proche servitude. Au-dessus des têtes, ici et là, des figures peintes, ouvriers et soldats de l’armée rouge ligués contre les Blancs : c’est l’œuvre de l’école de la ville, révolutionnée précisément sous la conduite de Chagall, son directeur zélé. En août 1919, au terme du premier semestre, il pouvait déclarer : « Nous pouvons nous permettre le luxe de jouer « avec le feu » et dans nos murs sont représentés et fonctionnent librement des directions et des ateliers de toutes les tendances – celles de gauche et « de droite » inclusivement. » Autant dire que le feu désigne le futuriste Ivan Pouni, les suprématistes El Lissitzky et Malevitch… Cet éclectisme illustre-t-il le grand cœur de Chagall, selon la doxa courante ? Son âme de bolchevique fraîchement converti ? L’ouverture esthétique de l’école de Vitebsk, que l’exposition d’Angela Lampe nous permet enfin d’évaluer jusqu’aux présences incongrues du naturaliste Iouri Pen, semble davantage obéir à la prudence du directeur, conscient que le Peuple et ses nouveaux maîtres n’admettraient pas nécessairement un radicalisme exclusif. Si la fameuse estampe en couleurs de Lissitzky, Frappe les Blancs avec le coin rouge, fait passer le message et la propagande avant le ballet non-euclidien des formes, la didactique suprématiste causera la relégation que l’on sait de Chagall et de sa fantaisie mal vue, avant l’échec et la clôture de l’expérience collectiviste en 1922.

La guerre d’Espagne, une fois dégagée de sa mythologie toujours active, appartient aussi aux forfaitures de la Russie bolchevique, désormais stalinienne. En cela, les communistes, par la mise en place d’une terreur systématique qui valait bien celle des franquistes, firent de l’Espagne un laboratoire du conflit qu’immanquablement Hitler ouvrirait à l’Est par besoin d’élargir son espace vital. L’instrumentalisation des intellectuels et des artistes annonce aussi ce que la France allait connaître entre les accords de Munich et le pacte germano-soviétique, puis au cœur des maquis et enfin après la Libération. L’exposition du musée Picasso et son catalogue, impressionnants tous deux par sa richesse d’œuvres  et de documents, n’explorent pas la part sombre de l’engagement picassien, en 1936-1937, puis à partir de l’automne 1944 et de son adhésion au PCF. C’est un choix. L’accent est porté sur la geste qui relie la fabrique de la toile à la longue itinérance qui la mènera jusqu’à New York, au terme d’une collecte de fonds organisée en faveur des réfugiés républicains. Moins généreux de sa personne que de son compte en banque, Picasso a largement soutenu le mouvement fraternitaire et humanitaire que suscitent la déroute des Républicains et leur défaite. À défaut de se rendre sur le terrain de l’action, il le déplace, en fait sa chose, l’absorbe en format panoramique, tournant une première composition combative, taureau héroïque et poing levé, en élégie ténébreuse à échos médiatiques. Guernica, c’est sa version des Massacres de Scio de Delacroix. Il devait ignorer que le tableau de 1824 s’était vu reprocher son défaitisme et sa noirceur. Lors de l’exposition universelle de 1937, les détracteurs de Picasso l’accuseront de ne pas avoir pris nettement parti et de ne pas avoir servi la cause que l’œuvre était supposée défendre. À cela, il est plusieurs raisons, la difficulté de marier modernité et peinture d’histoire en est une, bien que le peintre ait largement puisé à d’innombrables sources, l’exposition en exhibe une très grande partie avec rigueur. Mais la raison principale est peut-être plus honorable que la panne du créateur souvent invoquée, et tiendrait à sa volonté de ne pas faire le jeu de Moscou en cédant à la propagande officielle, dont maints exemples occupent les fortes sections documentaires. L’étonnant est que Picasso, fin 1944, ne montrera pas la même fermeté d’âme… Le parti de la Paix sera devenu le parti de Moscou.

À la Libération, Matisse s’inquiète aussi de ce qu’on dira de sa retraite niçoise, peu exposée, durant les années sombres. Sa femme, dont il a divorcé peu avant la guerre, et leur fille avaient été emprisonnées et violentées par les boches en 1944… Pendant l’Occupation, sans cacher son mépris pour certains artistes proches de Vichy et trop réactionnaires en peinture à son goût, il n’avait pas cru compromettant de travailler pour Fabiani et illustrer Montherlant, écrivain qu’il admirait de longue date. En mars 1944, il avait reçu à Vence le jeune Cartier-Bresson qui le photographia génialement en samouraï souriant au milieu de ses pigeons… Mais ces photographies que l’éditeur Braun voulut publier en 1945, ne répandraient-elles pas une idée dangereuse de la façon dont il avait traversé les années sombres ? Il jugea finalement la chose inopportune et s’en ouvrit à George Besson, lié au projet : « Je regrette que l’album de photos qui est pourtant très intéressant ne puisse paraître en ce moment car, dans l’atmosphère de Paris, il semblerait un véritable défi aux ennuis qui accablent presque tous. Il donne une atmosphère de tranquillité dans une tour d’ivoire confortable et intéressante qui serait mal prise. Je suis certain que vous serez vite de mon avis et ferez différer la publication de ce volume très intéressant. » Avec Besson, dont paraît leur correspondance, les relations débutèrent en 1913. Ce proche de Marcel Sembat et de la SFIO fera carrière dans l’édition et la critique d’art sous pavillon communiste (Lettres françaises, L’Humanité). Leur correspondance suivie fait entendre un Matisse très pragmatique, très somatique aussi, parlant contrats et santé plus que peinture. La fameuse opération du colon de janvier 1941, sur laquelle Ernst Gemsenjäger-Mercier vient de faire admirablement toute la lumière, y occupe une place importante. On sait que le peintre se donnait peu de chance d’y survivre et que son triomphe sur la mort lui paraît tenir du miracle. Sa convalescence obligée et sa résurrection inespérée nous valent les entretiens qu’il accorda, durant l’été 1941, au critique d’art suisse Pierre Courthion. Connus, mais mal interprétés généralement, ils se voient offrir une seconde vie grâce à Skira. Matisse bavarde de tout, famille, formation, école des Beaux-Arts, peinture Pompier, fauvisme, collectionneurs et marchands… Même l’humiliante défaite de juin 1940 montre son nez, de même que l’opération de la dernière chance. Le plus touchant reste ce que cet athée endurci, ce centre gauche peu motivé par la politique, dit de ses conversations avec les sœurs de la clinique du Parc de Lyon. La future chapelle de Vence y trouve une de ses clefs. Stéphane Guégan

Kupka. Pionnier de l’abstraction, Grand Palais, jusqu’au 30 juillet 2018. Catalogue sous la direction des commissaires, Brigitte Léal, Markéta Theinhardt et Pierre Brullé, éditions de la RMN-Grand Palais, 49€. Deux excellentes synthèses paraissent au même moment : Pascal Rousseau, Kupka en 15 questions, Hazan, 15,95€ et Pierre Brullé, Kupka. Carnet d’expo, Découvertes Gallimard / RMN-Grand Palais, 9,20€. Étonnamment, aucune de ces trois publications ne dit la dette flagrante, massive, de Kupka envers l’art dynamogène de Toulouse-Lautrec, qu’il semble avoir rencontré, et de Seurat. Certaines études préparatoires à ce chef-d’œuvre qu’est Amorpha semblent dériver d’Au cirque Fernando du premier. Quant à Cirque du second, il anime de son énergie cinglante d’autres toiles de Kupka.

Chagall, Lissitzky et Malevitch. L’avant-garde russe à Vitebsk 1918-1922, Centre Pompidou, jusqu’au 16 juillet. Catalogue sous la direction d’Angela Lampe, éditions du Centre Pompidou, 44,90€.

Guernica, Musée Picasso, jusqu’au 29 juillet 2018. Catalogue sous la direction d’Emilie Bouvard et Géraldine Mercier, Gallimard / Musée Picasso, 42€. Sous le titre Picasso. Voyages imaginaires, Marseille (Centre de la Vieille Charité et MUCEM) tisse ensemble la géographie du peintre, qui n’a guère voyagé qu’en lui, et le multiculturalisme en vogue. Une fois qu’on dit que la culture picassienne était cosmopolite, qu’a-t-on dit ? Reste la très belle idée d’offrir au public une large sélection des cartes postales en provenance de l’archive personnelle du maître, dont le musée Picasso de Paris est dépositaire et qu’il se doit de publier un jour in-extenso. En attendant, celles qui ont été retenues disent à la fois le réseau de sociabilité et de curiosité inséparable de l’oeuvre (celles de Douglas Cooper, l’ami de John Richardson, sont aussi inspirées que celles de Cocteau). Le MUCEM se penche avec profit sur les collaborations de Picasso aux Ballets russes, révélant tout ce qu’il butina ici et là, de la ville de Naples encore marquée par les Murat jusqu’aux ressources de l’art populaire. De nombreuses trouvailles que fouille le catalogue.

George Besson et Henri Matisse, De face, de profil, de dos, édition de Chantal Duverget, L’Atelier contemporain, 25€. Absence regrettable d’index. Contient l’extrait d’une très intéressante lettre d’Aragon à Besson, en date du 20 décembre 1940. Voir aussi Ernst Gemsenjäger-Mercier, Henri Matisse – ses maladies, ses opérations. Une étude médicale dans le contexte de l’œuvre artistique, EMH Media et Henri Matisse, Bavardages : les entretiens égarés, propos recueillis par Pierre Courthion, Serge Guilbaut (éd.), Skira, 18€. Légère annotation et absence d’index. Notons enfin la réédition en volume (L’Echoppe, 16€) des Lettres de Derain à Matisse précédemment publiées par Rémi Labrusse et Jacqueline Munck en annexe à leur Matisse – Derain. La Vérité en peinture, Hazan, 2005.

LE RETOUR DE BLAISE

Quand on interrogeait le vieux Chagall sur les événements les plus marquants de son existence, il répondait sans hésiter : « Ma rencontre avec Cendrars et la Révolution de 1917 ». La première précède la seconde de cinq ans et elle eut La Ruche,  – drôle de nom et drôle de miel pour le phalanstère du passage Dantzig –, pour lieu d’aimantation. Mais c’est la Russie qui fut le vrai lieu de leur entente, la Russie et la modernité. On peut se demander si l’autre facteur de leur rapprochement n’est pas le poète qui incarne alors l’esprit et l’esthétique du présent. Parvenu au septième des Dix-neuf poèmes élastiques de Cendrars,  dans le volume 1 des Œuvres romanesques (et poétiques) et de La Pléiade,  on lit, en effet, ceci : « Apollinaire 1900-1911 / Durant 12 ans seul poète en France. »  Dorénavant ils seront deux, suggère le texte par défaut, deux à se partager le verbe hérité de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, mais aussi, dans le cas de Blaise, de Nerval et Remy de Gourmont, comme y insiste Claude Leroy. Au moment où Cendrars devient l’ami de Chagall, Apollinaire vient d’adouber le peintre et son art opiacé. C’est le coup de tonnerre du Salon des Indépendants de 1912, que Breton enregistrera soigneusement dans Le Surréalisme et la peinture. La « totale explosion lyrique », dont Breton dit qu’elle marque l’entrée triomphale de la métaphore dans la peinture moderne, s’applique aux premiers opus de Cendrars : Les Pâques à New York, en octobre 1912, et Prose du Transsibérien, un an plus tard, sont de fines plaquettes, la seconde se dépliant en accordéon coloré, comme on sait, par Sonia Delaunay. « Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments » : le Cendrars de Prose n’a ni oublié l’opium d’Apollinaire, ni le peintre qui les rapprocha un peu plus.  Libérant en soi un nouvel espace-temps, la poésie de Blaise se mire dans la vitesse des trains et la bobine de cinéma, s’enivre des avions et des bolides sans oublier d’ouvrir les yeux sur le réel accéléré. Morand a beaucoup aimé cette poésie à deux vitesses, tendue entre son « rêve interplanétaire », sa « gaieté sinistre », son « ironie féroce » et l’amour des « infirmités humaines » et des saltimbanques de la vie. Morand a pressenti ce que Cendrars retiendra du moderne Baudelaire, « esprit catholique » et critique de la modernité. Il s’ensuit que l’avant-gardisme béat n’eut aucune prise sur Cendrars. L’historiographie universitaire le lui fit longtemps payer… Le va-t-en-guerre, mal compris, fut une autre cause de malaise. Prose du Transsibérien tient dans ses soufflets la fragile magie d’une époque qui court au carnage. En 1913, on croit pouvoir agrandir la vie en ignorant toutes frontières. Elle va se refermer brutalement sur les voyageurs intrépides et leurs illusions cosmopolites. « Nous sommes tous l’heure qui sonne », écrit ce fils de la Suisse horlogère dans Profond aujourd’hui. Il y a une nécessité dans chaque appel du destin ou de l’imprévu. En août 14, Cendrars est de ces étrangers qui se sentent plus français que ces Français qui fuient. C’est alors qu’il inscrit Kupka à son tableau d’honneur ;  La Guerre au Luxembourg, paru en 1916, est dédié aux Morts de la Légion. C’est alors qu’il sacrifie au combat avec soi-même « la main coupée », titre du plus beau livre jamais consacré à la guerre de 14 avec Orages d’acier et La Comédie de Charleroi. Moins connu, mais bien présent dans les volumes de La Pléiade, J’ai tué, paru et illustré en 1918 par Fernand Léger, dit la même horreur que Jünger et  Drieu de « la machinerie anonyme, démoniaque » qui prive les hommes de se rencontrer au cœur de la lutte, et le verbe de se colleter à la réalité. Au sujet des romans qui forment l’essentiel des deux nouveaux volumes de La Pléiade, on a beaucoup parlé de la pente affabulatrice de celui qui reste, en prose, un poète, comme si « se créer un monde », selon la formule que Moravagine emprunte à Gourmont, était contraire au vœu de s’identifier pleinement au réel parcouru en tous sens. On oublie que l’auteur d’Emmène-moi au bout du monde a « voulu vivre », que la vie sans danger lui sembla toujours la pire des trahisons, et que cette morale-là vaut mieux que l’éthique de nos Caton de salon, à œillères confortables et jugements prévisibles. Antisémite, l’ami de Chagall et Modigliani ? Misogyne, ce grand amoureux ?  Raciste, l’homme des Poèmes nègres ? Heureusement, les chiens hurlent, la vraie littérature glisse et bourlingue. Stéphane Guégan / Blaise Cendrars, Œuvres romanesques précédées des Poésies complètes, édition sous la direction de Claude Leroy, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2 volumes, 67 et 64€.

 

ANNÉES 30, LE RETOUR

9782757210710_humblot_1907-1962_2016-1Les meilleurs bilans en histoire de l’art ont une durée de vie qui n’excède pas 20/30 ans, après quoi le droit d’inventaire devrait s’appliquer à nouveau. Encore faut-il trouver de bonnes et patientes volontés ! On croit, par exemple, tout savoir sur la figuration de l’entre-deux-guerres depuis les années 1970-1980. Illusion, pourtant, et qu’il est urgent de dissiper… Or la grande paresse des vingtièmistes français n’a d’égale que leur cruelle absence de curiosité. Rien de comparable chez nous au formidable élan qui anime la recherche américaine en faveur du réalisme des années 30. De même qu’il ne se réduit pas outre-Atlantique à Edward Hopper, Grant Wood et Benton, comme vient de le rappeler la remarquable exposition du musée de l’Orangerie, « nos réalismes » débordent l’étiage des noms les plus publiés. Prenez Robert Humblot, que la Galerie Bernheim-Jeune a remis sous nos yeux sans que la presse d’art mainstream en ait parlé. Elle a eu tort, of course, mais vous aurez raison de vous jeter sur la publication qui accompagnait l’accrochage réparateur. Humblot, certes, est loin de s’être effacé de toutes les mémoires. Pour peu que vous vous intéressiez à l’école française du premier XXe siècle, le nom des Forces Nouvelles devrait vous être familier. Avec d’autres, Jannot, Lasne, Pellan, Rohner et Tal Coat, Humblot plongea sa belle insolence dans le ventre mou de l’académisme du temps. L’académisme ? Les avatars fatigués du post-impressionnisme, du nabisme, du fauvisme, du cubisme et même du surréalisme, qui eut aussi ses suiveurs inutiles et ses chromos.

9782754108270-001-G« Six jeunes peintres […] ont compris que le temps des escamotages […] était révolu », proclame Henri Héraut, lors de la première exposition de groupe, en avril 1935, Galerie Billiet-Vorms. J’ai dit ailleurs en quoi cette réaction n’avait rien de conservatrice (L’Art en péril, Hazan, 2016). On peut peindre grave sans renoncer à ce que la vie à de plus dramatique ou de plus intense. Sur fond de guerre d’Espagne et d’agitprop communiste, Humblot réinvente la peinture d’histoire et le nu sous la double étoile des peintres français du XVIIe siècle et du Quattrocento le plus sévère. D’autres alliances, plus modernes, pimentaient ce revival pur de tout pastiche. Lydia Harambourg voit bien ce que Picasso et Masson ont apporté de frénésie et d’inquiétude au groupe des Forces Nouvelles. En présence des Paysans de 1943, l’appel des Le Nain ne lui a pas échappé non plus. Quant à la somptueuse série de natures mortes de 1944, un genre que la défaite de 1940 et l’espoir de la Libération ont galvanisé, elle relie Humblot à Manet et Bazille. Ce que ce livre exhume aussi, c’est la pointe de saine grivoiserie qui titille l’artiste dès la fin de la guerre. On le verra jusqu’au début des années 1960 frayer dans les eaux, plutôt chaudes, de Balthus et Bernard Buffet. L’autre très bonne surprise du moment nous vient de Lyon et de l’éminente publication de Jean-Christophe Stuccilli sur Jean Martin, un peintre du cru, qui fit cause commune avec les Forces Nouvelles et les chrétiens du groupe Témoignage avant d’incarner, sous l’Occupation, une forme de Résistance que l’on pourrait croire aujourd’hui, par excès de manichéisme, plutôt paradoxale…

jean-martin-peintre-de-la-realiteÀ l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, Humblot avait été l’élève de Lucien Simon, le meilleur représentant de la Bande noire. À Lyon, mais issu des quartiers ouvriers, Martin connaît d’abord le destin des autodidactes, ces innocents aux mains avides. À 15 ans, il est embauché par Noilly-Prat où il restera 15 ans… Nous sommes en 1926. L’année suivante, une exposition d’art belge le retourne. Permeke et son expressionnisme plébéien vont déterminer durablement sa peinture, réaliste à la manière aussi de Memling, Grünewald ou du dernier La Fresnaye, celui du Bouvier aux mains si parlantes. Une coïncidence historique, en profondeur, recharge de sens et d’urgence l’art le plus cruel, le passé le plus synchrone. On en verra la confirmation dans la rencontre qu’Henri Héraut favorise entre Martin et Forces Nouvelles. Une exposition générationnelle les réunit en 1938. C’est Humblot vers lequel Martin se sent le plus attiré. L’indécence de leurs nus les rapproche, de même que l’impératif de témoigner. La précision d’analyse de Stuccilli nous fait reconnaître ici une allusion aux déserteurs de la Wehrmacht, là un écho tragique à l’exil des Juifs de zone libre fin 1942. Martin n’était pas du genre à plier sous les boches. En contact avec la Résistance active et l’édition frondeuse, il ne fuit pas l’action des Jeune France, née du souhait qu’eut Vichy de galvaniser les nouvelles générations. Le cas de Martin confirme que le patriotisme prit des routes et des détours complexes après juin 40… A nous de les apprécier ! Humblot, dès 1936, et Martin, neuf ans plus tard, à l’heure de la reconstruction et du débat sur le nouvel art catholique, ont inspiré sympathie et respect au grand critique Waldemar-George (1893-1970), toujours incandescent dès qu’il se sera agi de promouvoir les « valeurs de l’esprit », et les « valeurs humaines », contre le formalisme. l’abstraction ou le primitivisme anti-occidental.

1472462160Cet Antimoderne de toujours, chantre précoce de l’identité malheureuse, a multiplié les causes, comme à plaisir, de la détestation et de la proscription dont il fut longtemps l’objet. Au temps de ma jeunesse, il ne faisait pas bon citer positivement ce Juif qu’on disait antisémite et fasciste parce qu’il n’avait pas chanté les vertus de l’École de Paris et qu’il avait claironné celles de Benito Mussolini et de sa conception latine de l’art comme transformateur social. La vieille Rome et le jeune christianisme, que le Quattrocento avait mariés, lui paraissaient constituer, vers 1930, un socle assez solide pour justifier la foi en un réalisme identitaire et universaliste à égalité. Je ne résume ici qu’à grands traits l’essai subtil et téméraire que vient de lui consacrer Yves Chevrefils Desbiolles, dont certains connaissent les travaux sur la presse d’art du premier XXe siècle. Nous voilà enfin armés pour comprendre l’homme et son parcours apparemment contradictoires. Car Waldemar-George, sous ses allures et vitupérations de prêtre réactionnaire, n’a pas taillé ses idées, et son obstination néo-humaniste, dans la soutane de Camille Mauclair et autres ténors de l’art aryanisé. Ils le lui rappelèrent sous l’Occupation…  Après la Libération, d’autres voix s’indignent, à gauche cette fois-ci. Quoi ! lui, le survivant, le Juif écarté du Paris des années sombres, comment peut-il soutenir Derain et Despiau, dénoncer le culte de l’informel et de l’inhumain avec des accents vichystes, et défendre Édouard Pignon et Augustin Rouart plutôt que le camarade Picasso ? C’était mal connaître son courage et son refus des lynchages hâtifs. Faisant de la « négation de l’homme » et de la barbarie de salon les fléaux majeurs de l’art moderne, Waldemar-George est passé de la religion communiste à la conversion catholique, et de Roger de La Fresnaye à Cobra, par fidélité à soi. Yves Chevrefils Desbiolles invoque, au contraire, la fameuse « haine de soi », clef trompeuse, me semble-t-il, de sa judéité, ni confessionnelle, ni communautariste : « Je ne cherche pas le Juif par-delà l’homme, écrivait-il en 1929. Je cherche l’homme par delà le Juif. » Il tint parole.

Stéphane Guégan

*Lydia Harambourg et Brigitte Humblot, Humblot (1907-1962), Somogy Éditions d’Art, 39€

*Jean-Christophe Stuccilli, Jean Martin (1911-1996). Peintre de la réalité, Somogy Éditions d’Art, 39€

rn_spengler_homme-et-technique-610x1024*Yves Chevrefils Desbiolles, Waldemar-George. Cinq portraits pour un siècle paradoxal. Essai et anthologie, Presses Universitaires de Rennes, 24€. Comme il est rappelé ici, Waldemar-George, au sortir de la guerre de 14, nourrit de Spengler et de Nietzsche sa vision pessimiste, c’est-à-dire lucide, d’un Occident en décadence et de la toute puissance des machines, génératrice d’une domination des hommes qui s’accomplirait sous couvert de la seule domination de la nature. Spengler publie L’Homme et la technique en 1931, peu de temps avant de dire son fait au nazisme (grosse différence avec Heidegger) et de tirer sa révérence. La lecture de Montaigne et Nietzsche l’avait vacciné contre l’euphorie progressiste et technocratique des modernes. Il observe avec le plus grand intérêt la naissance du sentiment écologique, le naufrage programmé du monde colonial et prédit ses conséquences à brève échéance. Que n’a-t-il parlé du retour (inversé) des guerres de religion, autre véhicule du loup prédateur ? (Oswald Spengler, L’Homme et la technique. Contribution à une philosophie de la vie, RN Éditions, 18,90€)

L’ART DE LA PROVOC

provoke-between-protest-and-performance-261960, le Japon d’Hiroshima flambe à nouveau. Qui s’en souvient? Si PROVOKE, la dernière née de l’incontournable BAL, s’impose comme l’une des deux ou trois meilleures expositions de la rentrée, pleine de rabâchages et de déballages impudents, c’est qu’elle administre un sérieux remède à notre besoin d’amnésie, pour rester avec Freud… Nous voyons le monde clivé de la guerre froide d’une façon plutôt sélective, largement dominée par le tsarisme soviétique, l’ubiquité des Etats-Unis, le déclin de la France, l’effervescence du Moyen-Orient et le bourbier vietnamien, surgi des ruines de l’Indochine. Et le Japon dans tout ça, le jeune Japon, celui qui réclame de vivre, celui qui aspire à se libérer de la faute des aînés, chasser les bases américaines de son territoire et se débarrasser d’un Empereur qui a cessé d’être le bouclier d’un pays toujours contrôlé par Washington, et désormais menacé par une modernisation brutale ? On ne peut pas dire, soyons justes, que ce Japon-là sature nos mémoires. Distribuée sur deux niveaux, afin de marquer nettement le passage de l’insurrectionnel à l’esthétique, de la rue aux images, de la contestation de terrain à l’action photographique, PROVOKE fait d’abord entendre le cri d’en-bas, la révolte des gueux. A partir de 1960, en effet, une armée de paysans en passe d’expropriation dicte l’actualité, des paysans qu’on tente d’arracher à leurs terres et qui s’y attachent, au sens vrai. La construction de l’aéroport de Narita, chantier emblématique des artisans du « new deal » japonais, va s’enliser dans la boue d’un combat insensé que le film de Shinsuke Ogawa, caméra au poing, restitue avec un engagement physique inouï.

Moriyama-Untitled-Provoke-no2-1969Autour de ce déluge de violences, de corps bousculés et de vociférations féminines, où il faut accepter de plonger un long temps, l’accrochage sobre de Diane Dufour évoque le soudain essor de publications photographiques, rudes et pauvres d’aspect, mais d’une puissance visuelle qui balaie les suiveurs (locaux) de Doisneau et Cartier-Bresson. Flous ou agressifs, éblouis ou durcis, jusqu’au noir profond des manifs nocturnes, les clichés assènent leur rage immédiate. La trace prime la forme, l’instant déboussole le cadrage, c’est l’autre révolution des années 1960. Elle fut aussi l’œuvre des étudiants, solidaires des ruraux, mais ajoutant au chaos leurs turbulences propres et leur attirance pour des modèles alternatifs, venus d’ailleurs. Les parrains de la nouvelle photographie japonaise furent ainsi Artaud, Michaud, Godard, Camus, la Beat Generation et la « street photography » américaine la plus récente. Pour la plupart des poètes, théoriciens et photographes que réunira l’éphémère revue PROVOKE, trois numéros explosifs entre 1968 et 1969, le New York de William Klein, publié à Paris en 1955, a définitivement périmé le culte de l’instant décisif et de la belle image. Takuma Nakahira, Daido Moriyama, Yutaka Takanashi, dissociant politique et militantisme direct, ne répondent plus qu’à l’urgence de conjurer le dressage des âmes et des corps, et le vide laissé par les luttes perdues… Le sexe et l’absurde prennent le parti d’une autre violence.

affichehergeokExposer Hergé, au Grand Palais, relève d’un autre type de provocation, comme on va le voir. Certes, Tintin n’a pas pris le temps de vieillir, sa houpette continue à courir le monde et ses albums à se vendre par millions. « En avant ! » C’était son motto, son moteur, il y a pire comme leçon à donner aux jeunes… Long-seller, plus vif que lisse, Tintin galope et excède l’humaine condition tout en la résumant, recette des mythes inoxydables. Hergé (1907-1983) n’a pas eu cette chance… Au contraire, le génie de la ligne claire a été rattrapé par son passé, noir, évidemment, et le soupçon d’avoir voulu nous le cacher… L’exposition du Grand Palais n’avait pas ouvert ses portes que les journaux et revues de toutes espèces se frottaient déjà les mains. On allait voir ce qu’on allait voir, aucun mauvais secret ne résisterait à leur soif de vérité… Ce fut un pétard mouillé. Car, en vingt ans, les chefs d’inculpation n’ont pas varié : l’outrance militante des premiers albums et le choix que fit Hergé, dès le 17 octobre 1940, de faire « revenir » Tintin de Toulouse (où la blitzkrieg avait fait fuir un grand nombre de Belges). L’antibolchevisme de Tintin chez les soviets, à peine caricatural, il est vrai, passe mieux que l’apologie coloniale de Tintin au Congo et la longue (mais neutre) collaboration du dessinateur au Soir, quotidien docile à l’Occupant. Daniel Couvreur, dans le catalogue, ramène cet épisode controversé à sa juste mesure et étudie les marques qu’elle a laissées sur l’œuvre. Fallait-il risquer de gâcher la fête du Grand Palais en y accueillant les spectres d’une mémoire inapaisée ? D’autres que Jérôme Neutres auraient noyé le poisson, au prétexte que la bande dessinée, réserve d’enfance dans un monde cruel, serait étanche à la politique. Pourtant le commissaire de l’ambitieux hommage du Grand Palais ne s’est pas dérobé, il expose, explique, documente.

Couv_172264Hergé, c’est d’abord une éducation catholique, un milieu conservateur, l’enthousiasme du scoutisme, la tutelle de l’abbé Walliez, qui l’embauche au Vingtième siècle en 1925, il a 18 ans. Les premiers exploits de Tintin, quatre ans plus tard, doivent édifier en distrayant : on chante la Russie de Staline, il faut l’abattre, on blâme le Congo belge, il faut l’exalter. Simple ! Mais l’idéologie de la droite nationaliste n’épuise pas plus les planches d’Hergé et leur vie incorrigible que les caricatures de Daumier ne sont réductibles à leur républicanisme. Ceux qui accusent de racisme caractérisé le père de Tintin devraient en parler à Dany Laferrière avant que son album africain ne soit interdit de diffusion… Hergé, du reste, a évolué dans sa lecture du monde colonial. L’attestent Le Lotus bleu et la complicité du fameux Tchang, comme le montre l’exposition au moment où elle prend de sympathiques allures d’opiumerie. Ailleurs, en autant de sections qu’il fallait pour éclairer la fabrique des meilleurs albums, nous entrons de plain-pied dans l’intelligence du récit et le sens du réel qui font les grands créateurs. Chaque aventure de Tintin, puisque la vie devient telle avec lui, chaque roman à bulles tend vers la perfection troublante qu’Hergé trouvait chez les peintres, anciens et modernes, dont il meublait son imaginaire, sa palette, son studio et les murs domestiques. Jérôme Neutres a placé ce musée intérieur au départ du parcours, excellent incipit, avant de dérouler les arcanes d’une écriture qui brûlait sous la glace et fouillait l’inconscient avec tact. Une manière de provocation. Stéphane Guégan

*PROVOKE entre contestation et performance. La photographie au Japon 1960-1975, Le Bal, 6 impasse de la Défense, 75018, jusqu’au 11 décembre 2016. Le catalogue, sous la direction de Diane Dufour et Matthew Witkovsky (60€), est un modèle du genre, forme et contenu.

**Hergé, Grand Palais, jusqu’au 15 janvier 2017. Le catalogue très informé, sous la direction de Jérôme Neutres (RMN éditions / Editions Moulinsart, 35 €), n’oublie pas non plus d’être un bel objet. Je me demande si la troisième couverture de L’Ile noire (1966) ne fait pas allusion, une allusion pleine d’ironie, à L’Île des morts de Böcklin, le tableau favori d’un certain Hitler…

product_9782710379812_195x320Peau neuve // A côté de l’article que Blanche consacra au Swann de Proust en 1914, article dont Jérôme Neutres rappelait récemment la valeur visionnaire, il faut placer celui d’un autre intime, dont l’intelligence pénétrante valait la sienne. Lucien Daudet, le fils d’Alphonse et le frère cadet de Léon, signa ce compte-rendu, quelques mois plus tôt, dans Le Figaro, avec le soutien de l’impératrice Eugénie, qui n’en finissait pas d’exercer une sorte de protection sur la littérature que la dame d’un autre âge, à maints égards, pouvait croire « mondaine ». Le malentendu, qui avait desservi Proust auprès de la NRF, lui gagna des lecteurs qui comprendraient s’être trompés plus tard… Rien de moins snob, en effet, que Proust et son « tendre ami » Lucien (ils semblent en être restés aux désirs inassouvis). Sa recension de Swann le prouve autant que son Prince des Cravates (1908). La Table ronde vient de les réunir, en plus d’annexes aussi précieuses, pour le plaisir des amateurs de raretés et de vraie littérature Ce que Daudet dit de Proust est la meilleure introduction à son propre monde, la question du génie important moins ici que la fraternité des regards. Suprême analyste des sentiments et des sensations, qu’il tricotait de façon unique, Proust les convertissait en mots, inflexions, rythmes, et sonorités « au-delà du croyable ». Cet art de traduire « l’impression reçue » sert, en outre, le « sens social » du romancier, sa façon d’aimer et châtier le grand Monde. En 1910, Proust avait anticipé ce cri du cœur en rendant compte du premier livre de Lucien, où se trouvait Le Prince des cravates (la nouvelle lui était désormais dédiée). Marcel la rapproche de Balzac et de sa peinture aigre-douce des dandys 1820, mais les liens entre l’irrésistible satire de la gentry londonienne, à laquelle Daudet s’adonne avec brio, et la touche d’Oscar Wilde lui échappent. On pense souvent au chef-d’œuvre de ce dernier (Le Crime de Lord Arthur Savile) en lisant Daudet ! Éphémère élève de Whistler, Lucien avait meilleur goût en peinture que Wilde, il n’en assaisonnait pas moins de sel d’outre-Manche sa plume cocasse et cruelle, jamais fielleuse. Quant à la piqûre d’orgueil qui blesse le héros de ce récit mené au pas de course, elle nous rappelle qu’il n’est pas de pire crime pour les princes du moi que le mariage, fût-il aristocratique. Les proustiens conséquents se délecteront de deux autres titres de La Petite Vermillon, qui vient de faire peau neuve sans perdre son âme, exploit éditorial digne des multiples dédoublements de Daudet. SG // Lucien Daudet, Le Prince des cravates, La Petite Vermillon, La Table Ronde, 5,90€ ; chez le même éditeur, Michel Erman, Bottins proustiens, 7,10€ et Lorenza Foschini, Le manteau de Proust, 5,90€.

9782754109536-001-GSAVE THE DATE /// Retrouvez Les Fleurs du Mal, Matisse, Aragon, Charlotte Manzini et Stéphane Guégan sur France-Culture, Poésie et ainsi de suite, vendredi 7 octobre, 15h00, à l’occasion de l’exposition L’Œil de Baudelaire du musée de la vie romantique et la reparution (Hazan, 25€), commentée et augmentée, de l’édition illustrée que le peintre de Luxe, calme et volupté fit paraître en 1947 avec la complicité d’Aragon et le soutien des presses communistes. Belle époque.

SAINT POUSSIN

Poussin-cataloguePoussin et Dieu, l’exposition du Louvre, impressionne de bout en bout. Entre l’Autoportrait aux yeux d’acier et la nuit navrée de Pyrame et Thisbé, le visiteur reste sous l’étrange magnétisme d’une peinture qu’on trouvait déjà «austère», crime ou vertu, en son temps. Cette gravité poignante, facilement isolable des autres aspects de l’œuvre, a fait l’objet de toutes sortes de commentaires depuis trois siècles! Elle a notamment servi à authentifier l’idée du sévère Normand, étranger aux séductions de l’Italie où il aurait vécu l’essentiel d’une vie fort sage, aussi contrôlée que ses tableaux. L’abstinence faite homme! Parvenu à Rome en 1624, mort quarante ans plus tard à proximité de San Lorenzo in Lucina, où il fut enterré «sans pompe aucune », italien à quelques égards, Monsu Poussino n’en a pas moins fini par s’identifier au «génie national» de la France, à lui donner un visage et le doter de quelques images exemplaires, tirées pour la plupart du Louvre. Phénomène de longue durée, il doit s’étudier en chacune de ses étapes. La béatification de Poussin, nous rappelle le livre très original d’Olivier Bonfait, demanda du temps et fit intervenir de multiples acteurs. Certains sont connus, bien que leur rôle le soit moins. D’autres, plus oubliés, contribuèrent aussi fortement à hisser l’heureux élu au sommet de notre panthéon. Le succès posthume de Poussin débute, fausse ironie de l’histoire, dès sa disparition. Le 26 décembre 1665, vingt-cinq tableaux du maître défunt passaient des mains du duc de Richelieu à celles de Louis XIV, qui dédommagea royalement son illustre sujet de cette transaction forcée… L’épisode rocambolesque marque les débuts d’une alliance durable entre l’État et l’artiste, alliance qui traversera tous les régimes et connaîtra un pic sous De Gaulle et Malraux. L’exposition de 1960 en fut l’un des temps forts. Le Louvre fête alors le «héros de la Nation» avec un éclat et un luxe inouïs. Les salles Daru et Denon, symétriques de la Grande Galerie où Poussin avait été appelé à travailler en 1640, s’habillent de lourds drapés et de colonnes de marbres. De ce triomphe, chacun veut sa part, Malraux comme Picasso. Dès l’été 1944, l’Espagnol s’était approprié Les Sabines avant de l’arracher aux gaullistes, quinze ans plus tard, à la pointe de ses variations délirantes. Mariage de raison et d’amour, réconciliant «les deux France» en somme, la divinisation de Poussin n’aurait rien à se faire pardonner aujourd’hui si elle n’avait semé quelques idées fausses sur son passage.

9782754108133-GBonfait, en somme, nous permet de comprendre ce qui constitue bel et bien un transfert de nationalité, ses fins et surtout ses moyens. En 350 ans, anniversaire que célèbre Poussin et Dieu, une littérature immense n’a cessé d’étudier l’artiste élu. La majorité de ces écrits, note Bonfait, supposent «une identité entre la vie et l’œuvre, un tout cohérent élaboré consciemment par l’artiste». Or il est toujours très dangereux de croire au miracle d’une telle unité, qu’on la cherche dans l’esthétique, la philosophie ou la religion. L’exposition de 1960 exaltait les deux premières, l’exigence cérébrale de l’une et la droiture stoïcienne de l’autre; Poussin et Dieu tente de peindre un artiste mieux accordé aux «vertus chrétiennes» et à la spiritualité post-tridentine, et qui aurait eu à cœur d’y convertir ses contemporains. Une véritable enquête a été menée afin de mieux connaître et le milieu de ses collectionneurs et le sens de ses tableaux sacrés. Dans la Rome des Barberini et de leurs successeurs sur le siège de saint Pierre, alors qu’un mouvement général porte les catholiques à faire parler le sol, les archives et les images en réponse aux accusations d’impiété de l’Europe du Nord, où situer Poussin? Quoique enclins à le ranger parmi les vrais croyants du moment, et à débusquer des résonances augustiniennes et des symboles religieux là où d’autres ne voyaient qu’exercices de haute poésie et méditation sur les hasards du destin, Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto ont bien conscience d’avancer sur des œufs. Ils savent que la correspondance du peintre, où seul Montaigne a droit de cité, ne confirme guère cette foi hypothétique. Ils n’ignorent pas qu’on ne saurait tout inférer de la lecture des tableaux, aussi pieux soient-ils en apparence, ou des supposées bonnes mœurs de l’entourage du peintre. Question de méthode.

650015-dup11947_recadreLorsqu’il étudie les fameux amis de Poussin, les Chantelou, Cassiano dal Pozzo, Stella, Pointel et autre Serizier, dont il serait excessif de faire des saints malgré leur célibat, Mickaël Szanto laisse bien entendre qu’il est un autre Poussin que celui des Sacrements et des déplorations christiques. Ce Poussin-là, c’est d’abord celui de ses premiers tableaux italiens, chaudes étreintes qui varient à plaisir ce que Raphaël et ses meilleurs élèves appelaient les «positions de l’amour». Est-ce simplement au «nom de l’art et de la licence poétique», pour le dire comme Szanto, que notre Français a mis autant de fièvre érotique et d’allusions coïtales dans sa peinture scabreuse? Poussin traduit en connaisseur l’énergie du plaisir, qu’il ne situe pas hors de la dignité humaine et des convenances esthétiques. Récemment encore, dans un article de Grande Galerie, Pierre Rosenberg expliquait les causes de la durable relégation d’un Poussin du Louvre, le fort éloquent Mars et Vénus, parmi les rebuts de son corpus légitime. L’œuvre qu’il propose de rendre au maître avait été acquise par Louis XIV. Il y règne précisément cette belle humeur, sexe et humour directs, dont le roi affectionnait les images. Contemporaine des œuvres les plus lestes de la période romaine, la toile aura vu son statut se dégrader, à partir de 1914, de copie d’atelier à simple pastiche. Les arguments de Pierre Rosenberg touchent au style et aux phases préparatoires du tableau, comme aux préventions du milieu: «Un point encore qui, sans doute, a longtemps empêché de porter un jugement serein sur le tableau, son sujet franchement leste: nous savons aujourd’hui que Poussin, le jeune Poussin des premières années romaines, n’était pas le Poussin sévère et austère des années 1640 et 1650. Il savait être licencieux et joyeux, il savait faire sourire.»

280px-Nicolas_Poussin_061Rappelons, du reste, que Poussin, à l’approche de la cinquantaine, souffre des résurgences de ce qui pourrait bien être la syphilis. Quant à l’idée d’une disparition progressive et volontaire des thèmes sensuels ou sexuels après 1650, n’est-elle pas aussi à réviser? Durant les quinze dernières années de sa vie, parallèlement à ses tableaux les plus sévères, non exempts toutefois de charge émotive et de liberté poétique, Poussin aura continué à caresser ses sujets de prédilection, les allégories de la fertilité aux accents priapiques, les rapts virils, l’électricité des jeunes amours, fussent-elles contrariées, comme dans le cas de Pyrame et Thisbé… N’oublions pas enfin que l’œuvre ne se referme pas sur les Quatre saisons, d’un catéchisme somme toute relatif, mais sur l’Apollon amoureux de Daphné, l’une des œuvres les plus «tendres» et sublimes du vieux maître. Que Poussin ait respecté certains des commandements du Ciel et nourri son art de la lecture de la Bible, rien n’autorise à l’infirmer. Mais rien ne permet d’y enfermer la vérité entière de l’homme et de sa peinture. De celle-ci, Poussin disait que «sa fin est la délectation». On a beaucoup glosé cette formule en séparant, à la façon de Kant, le simple bonheur des sens de la jouissance esthétique. Les tableaux de Poussin, épicuriens ou pas, les séparent moins pourtant qu’ils ne les entrelacent. Pareille attitude sent son néo-stoïcien: la morale et ses interdits, qu’il a peints avec le même sérieux que les feux de l’amour, s’arrêtaient à la sphère sociale. L’espace de l’intime, du privé, et donc de l’art, en était exempt. Stéphane Guégan

*Poussin et Dieu, Louvre, jusqu’au 29 juin, catalogue d’une rare érudition, sous la direction de Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto, Hazan/musée du Louvre, 45 €. L’exposition emprunte son titre au texte que Jacques Thuillier avait signé dans le catalogue de la rétrospective de 1994, sous l’inspiration de la grande thèse de René Pintard (1943) sur les libertins du XVIIe siècle. Il se trouve que Poussin a croisé certains d’entre eux lors du fameux séjour parisien de 1640-1642. Le texte du regretté Thuillier est peut-être son plus beau.

*Olivier Bonfait, Poussin et Louis XIV, Hazan, 27€

Caprices, caprices

9782754107723-GLa liberté d’expression ne connaissant plus de limites, je m’autorise donc aujourd’hui à livrer l’entretien suivant à qui voudra bien le lire… Préparé par Bérénice Levet, il était destiné à la presse écrite, mais le grand art et ses mésaventures ne font plus partie des priorités du jour.

Bérénice Levet – Votre livre s’intitule Les Caprices du goût en peinture, en écho et hommage aux travaux du grand historien d’art Francis Haskell. Vous entraînez le lecteur français sur une voie passionnante en l’invitant à suivre l’alternance d’éclipse et d’exhumation qui scande la vie des formes. Tel peintre, tel tableau, un temps célébré, adulé se voit soudainement remisé, sombre dans l’oubli pour finalement réapparaître et capter de nouveau l’attention. Bref, vous démontrez que le destin des œuvres est fragile. Nulle beauté, nulle grandeur ne prémunit contre l’oubli ou le mépris. Vous parlez de caprices, mais en réalité vous nous dites en quoi ces redécouvertes ont leur logique.

Stéphane Guégan – Le titre relève de l’antiphrase, même si je crois à l’imprévisible. À un moment, contre toute attente, un tableau ou un artiste resurgit. C’est le déclic, la vague ou la vogue suit… On peut également parler de caprice dans la mesure où il y a toujours chez les acteurs de ces redécouvertes, une part de subjectivité, une part de plaisir, quelque chose qui se dérobe à la logique rétrospective. Mais ces redécouvertes, en effet, ont leur logique. Toute époque déclasse et reclasse du même élan. J’ai tenté d’en comprendre les mobiles. Pourquoi, à tel moment, telle œuvre refait surface et, dévaluée hier, retrouve une actualité pour l’amateur et une fécondité pour le créateur? Si l’on en vient immédiatement à un cas d’école, Vermeer fut longtemps absent de l’histoire de l’art. On connaissait ses tableaux mais sans les lui attribuer. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour le voir réintégrer l’histoire de la peinture. C’est le mari de Vigée Le Brun, un marchand de tableaux, qui est le grand artisan de cette redécouverte. Tout l’art moderne s’engouffre dans la brèche, de Manet à Balthus. L’âge des Lumières, et sa fascination pour l’originel, fut beaucoup moins normatif qu’on le croit. Le retour aux Primitifs et la folie hispanique débutent aussi alors.

BL – Vous comparez le mouvement du goût, filant la métaphore, au mouvement de la terre autour du soleil…

SG – Nous sommes enclins à nous figurer l’histoire de l’art comme écrite une fois pour toutes, or elle ne cesse de se reconfigurer. Je crois plus à cette révolution permanente qu’à l’évolutionnisme des modernes, qui est une farce éculée (sauf pour ceux qui en tirent profit). Chaque époque se fabrique son histoire de l’art en fonction de ses propres intérêts. Et l’historien d’art est tributaire de ce mouvement de la sensibilité, il ne surplombe pas son temps, il est lui-même pris dans l’histoire qu’il retrace.

BL – Je voulais vous interroger sur ce point. Le XXe siècle a favorisé de nombreuses redécouvertes, nous allons y revenir, mais on vous devine impatienté par une certaine arrogance contemporaine, notre propension à nous penser comme de Grands Justiciers, libérés de tous les tabous. Votre livre nous confronte à nos préjugés et vient nous rappeler que nos exhumations obéissent aussi en partie à des motifs politiques, idéologiques et moraux.

SG – Cette arrogance tient en grande partie à ce que nous sommes prisonniers d’une vision trop homogène de l’histoire de l’art. Ce livre essaie de penser l’hétérogène. Hétérogénéité verticale, d’un côté, en cela que chaque époque se donne de nouveaux pères spirituels. Et hétérogénéité horizontale, de l’autre, les esthétiques les plus contraires ont toujours coexisté et dialogué plus que ne veut le dire la vulgate moderniste.

1280px-Alexandre_Cabanel_-_The_Birth_of_Venus_-_Google_Art_Project_2BL – C’est un des aspects très stimulants de votre livre que de nous rendre accessibles à ces parentés, ces affinités entre des esthétiques tenues pour contraires. Plutôt que de les opposer, dites-vous, il convient de les articuler. Ainsi suggérez-vous de ne plus voir dans la «très sucrée» Naissance de Vénus de Cabanel le marchepied d’Olympia mais sa complice involontaire. Regard dont un Max Ernst s’est révélé capable, ainsi que vous le montrez plus loin, puisqu’il s’inspire de la même Vénus pour Le Jardin de la France (Mnam) de 1962.

Ernst_cgpSG – Avec le recul, nous pouvons enfin penser ce qui rapproche les artistes qu’on dit antagonistes. Ils partagent souvent un même rapport au passé et au présent, à défaut d’en tirer la même chose plastiquement. C’est là où l’histoire de la sensibilité corrige les ukases de l’histoire de l’art. Dis-moi qui tu vénères, je te dirai qui tu es… À cet égard, je m’intéresse évidemment au retour des Pompiers après 1950, c’est-à-dire au moment où la doxa moderniste commence à donner des signes de faiblesse et va bientôt voir se dresser une autre approche des XIXe et XXe siècles. Max Ernst n’est pas le seul alors à avouer le plaisir et l’intérêt, j’y insiste, qu’il prend à fréquenter les maudits de la peinture officielle.

Eclipses_fridaBL – Au fond, ces redécouvertes nous parlent presque plus des sociétés qui les rendent possibles que des œuvres elles-mêmes. Votre livre couvre l’ensemble des siècles mais arrêtons-nous sur le XXe siècle. Essayons de dresser un rapide panorama de ses «retours en grâce». Ils sont tout à fait révélateurs des obsessions qui nous agitent. Il y a, bien sûr, le cas des peintres femmes.

SG – En effet, le XXe siècle les voit se multiplier tandis que l’histoire de l’art, d’inspiration féministe, a consacré leur triomphe. Or, en regardant le passé, on s’aperçoit que cette situation n’est pas complètement nouvelle. Elle a connu des signes avant-coureurs, dans ces périodes que l’on croit soumises aux pires préjugés, spécialement sous l’Ancien Régime. On trouve alors des peintres femmes au plus haut niveau de la société et du monde de l’art malgré le numerus clausus qui règne à l’Académie. Dès avant la Révolution, certaines connaissent la célébrité et sont admises au Salon: c’est le cas de Vigée Le Brun, portraitiste attitrée de la reine. On tendait sans doute à reléguer les femmes dans l’exercice de la nature morte et du portrait, au motif que les bonnes mœurs leur interdisaient d’accéder aux académies viriles. Mais, dès la fin du XVIIIe siècle, elles trouvèrent le moyen de lever cet obstacle. Dans l’entourage de David, des femmes peignent des hommes aussi dénudés que ceux du maître de la virilité triomphante. Les féministes qui prétendent redécouvrir cette peinture dans les années 1970 ont mis en lumière cette situation remarquable mais pour mieux ensuite en réduire la portée, se plaisant à camper les artistes du beau sexe en éternelles victimes d’une société qui les dominerait ou les réduirait aux genres ancillaires. Les femmes ont imposé une peinture de femme avant Frida Kahlo et Georgia O’Keeffe dont je réexamine le culte actuel.

BL – Autre redécouverte inséparable du contexte politique, celle de l’orientalisme… On ne compte plus les expositions témoignant de l’intérêt des Occidentaux pour les «figures de la diversité». Un art capable de célébrer l’Autre. Ce qui renvoie à une conception identitaire du visiteur, comme si la peinture occidentale n’avait de légitimité qu’à ce titre.

Dinet_orsaySG – Je serai moins tranché que vous. Il faut se souvenir d’une époque où, à Orsay, avant que Guy Cogeval n’en prenne les rênes, la salle orientaliste avait disparu. On regardait cette peinture avec condescendance ou un fort sentiment de culpabilité. C’est dans les années 1960-1970 que l’on commença à accuser l’orientalisme européen d’avoir été le fourrier du colonialisme, porteur qu’il serait en son entier, et par essence, d’une vision réductrice, raciste et sexiste de son objet. Très récente est la reconquête du regard sur ces poncifs véhiculés par Edward Saïd et ses émules. Car cette peinture longtemps dévaluée a su très souvent témoigner d’une expérience concrète et compréhensive de la polyphonie ethnique et culturelle du monde arabe. Et il a fallu que le musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme consacre une exposition aux Juifs dans l’orientalisme pour que l’on redécouvre l’intérêt qu’un Chassériau a porté à la communauté juive en Algérie et la puissance de vérité de ses toiles. Le tableau de Dinet, Esclave d’amour et Lumière des yeux (musée d’Orsay), glosé dans le livre, est aussi d’exhumation récente alors que sa célébrité, au début du XXe siècle, était encore énorme. En outre, il offre de l’Afrique du Nord une vision étrangère à bien des stéréotypes.

BL – Ressort enfin de votre livre le lien entre les réhabilitations du XXe siècle et la résistance à une approche formaliste des œuvres. Les Réalismes, l’exposition organisée par Jean Clair en 1980, marquait un tournant, rendait caduque une certaine vision pantouflarde, univoque du XXe siècle, non sans susciter de vives polémiques: la peinture figurative retrouvait ses droits.

André Masson, Autoportrait, 1947 H/t. Coll. part.
André Masson, Autoportrait, 1947
H/t. Coll. part.

SG – À l’évidence, nous nous sommes libérés dans le dernier quart du XXe siècle des tabous modernistes et de l’idée que la figuration appartenait au magasin des formules périmées. L’idée d’un progrès nécessaire, contre quoi Picasso pestait dès 1910, nous est devenue odieuse. Il n’y a plus de honte à aimer et défendre le dernier Bonnard, le dernier Giacometti, le De Chirico non métaphysique, le Masson des années 1940-50 ou le Picasso du Palais des Papes, pour parler comme Malraux. Loin de moi, cela dit, le désir de plaider pour un révisionnisme irréfléchi. Du reste, une œuvre n’est pleinement redécouverte qu’à la condition de recouvrer sa vérité première et sa puissance de significations nouvelles. Et les possibilités démultipliées qu’offrent l’Internet ou le marché de l’art resteront lettre morte si elles ne répondent aux besoins profonds du bel aujourd’hui.

– Stéphane Guégan, avec la collaboration de Delphine Storelli, Les Caprices du goût en peinture. Cent tableaux à éclipse, Hazan, 39€.

Présidé par Jean-Pierre Le Goff, le club de réflexion « Politique autrement » organise un séminaire en 2015, animé par Robert Kopp, sur le thème: La querelle de l’art contemporain, quel état de la modernité ? Je participerai à la séance du samedi 24 janvier 2015, à 14h30 : Questions d’histoire et de définition.