SAINT POUSSIN

Poussin-cataloguePoussin et Dieu, l’exposition du Louvre, impressionne de bout en bout. Entre l’Autoportrait aux yeux d’acier et la nuit navrée de Pyrame et Thisbé, le visiteur reste sous l’étrange magnétisme d’une peinture qu’on trouvait déjà «austère», crime ou vertu, en son temps. Cette gravité poignante, facilement isolable des autres aspects de l’œuvre, a fait l’objet de toutes sortes de commentaires depuis trois siècles! Elle a notamment servi à authentifier l’idée du sévère Normand, étranger aux séductions de l’Italie où il aurait vécu l’essentiel d’une vie fort sage, aussi contrôlée que ses tableaux. L’abstinence faite homme! Parvenu à Rome en 1624, mort quarante ans plus tard à proximité de San Lorenzo in Lucina, où il fut enterré «sans pompe aucune », italien à quelques égards, Monsu Poussino n’en a pas moins fini par s’identifier au «génie national» de la France, à lui donner un visage et le doter de quelques images exemplaires, tirées pour la plupart du Louvre. Phénomène de longue durée, il doit s’étudier en chacune de ses étapes. La béatification de Poussin, nous rappelle le livre très original d’Olivier Bonfait, demanda du temps et fit intervenir de multiples acteurs. Certains sont connus, bien que leur rôle le soit moins. D’autres, plus oubliés, contribuèrent aussi fortement à hisser l’heureux élu au sommet de notre panthéon. Le succès posthume de Poussin débute, fausse ironie de l’histoire, dès sa disparition. Le 26 décembre 1665, vingt-cinq tableaux du maître défunt passaient des mains du duc de Richelieu à celles de Louis XIV, qui dédommagea royalement son illustre sujet de cette transaction forcée… L’épisode rocambolesque marque les débuts d’une alliance durable entre l’État et l’artiste, alliance qui traversera tous les régimes et connaîtra un pic sous De Gaulle et Malraux. L’exposition de 1960 en fut l’un des temps forts. Le Louvre fête alors le «héros de la Nation» avec un éclat et un luxe inouïs. Les salles Daru et Denon, symétriques de la Grande Galerie où Poussin avait été appelé à travailler en 1640, s’habillent de lourds drapés et de colonnes de marbres. De ce triomphe, chacun veut sa part, Malraux comme Picasso. Dès l’été 1944, l’Espagnol s’était approprié Les Sabines avant de l’arracher aux gaullistes, quinze ans plus tard, à la pointe de ses variations délirantes. Mariage de raison et d’amour, réconciliant «les deux France» en somme, la divinisation de Poussin n’aurait rien à se faire pardonner aujourd’hui si elle n’avait semé quelques idées fausses sur son passage.

9782754108133-GBonfait, en somme, nous permet de comprendre ce qui constitue bel et bien un transfert de nationalité, ses fins et surtout ses moyens. En 350 ans, anniversaire que célèbre Poussin et Dieu, une littérature immense n’a cessé d’étudier l’artiste élu. La majorité de ces écrits, note Bonfait, supposent «une identité entre la vie et l’œuvre, un tout cohérent élaboré consciemment par l’artiste». Or il est toujours très dangereux de croire au miracle d’une telle unité, qu’on la cherche dans l’esthétique, la philosophie ou la religion. L’exposition de 1960 exaltait les deux premières, l’exigence cérébrale de l’une et la droiture stoïcienne de l’autre; Poussin et Dieu tente de peindre un artiste mieux accordé aux «vertus chrétiennes» et à la spiritualité post-tridentine, et qui aurait eu à cœur d’y convertir ses contemporains. Une véritable enquête a été menée afin de mieux connaître et le milieu de ses collectionneurs et le sens de ses tableaux sacrés. Dans la Rome des Barberini et de leurs successeurs sur le siège de saint Pierre, alors qu’un mouvement général porte les catholiques à faire parler le sol, les archives et les images en réponse aux accusations d’impiété de l’Europe du Nord, où situer Poussin? Quoique enclins à le ranger parmi les vrais croyants du moment, et à débusquer des résonances augustiniennes et des symboles religieux là où d’autres ne voyaient qu’exercices de haute poésie et méditation sur les hasards du destin, Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto ont bien conscience d’avancer sur des œufs. Ils savent que la correspondance du peintre, où seul Montaigne a droit de cité, ne confirme guère cette foi hypothétique. Ils n’ignorent pas qu’on ne saurait tout inférer de la lecture des tableaux, aussi pieux soient-ils en apparence, ou des supposées bonnes mœurs de l’entourage du peintre. Question de méthode.

650015-dup11947_recadreLorsqu’il étudie les fameux amis de Poussin, les Chantelou, Cassiano dal Pozzo, Stella, Pointel et autre Serizier, dont il serait excessif de faire des saints malgré leur célibat, Mickaël Szanto laisse bien entendre qu’il est un autre Poussin que celui des Sacrements et des déplorations christiques. Ce Poussin-là, c’est d’abord celui de ses premiers tableaux italiens, chaudes étreintes qui varient à plaisir ce que Raphaël et ses meilleurs élèves appelaient les «positions de l’amour». Est-ce simplement au «nom de l’art et de la licence poétique», pour le dire comme Szanto, que notre Français a mis autant de fièvre érotique et d’allusions coïtales dans sa peinture scabreuse? Poussin traduit en connaisseur l’énergie du plaisir, qu’il ne situe pas hors de la dignité humaine et des convenances esthétiques. Récemment encore, dans un article de Grande Galerie, Pierre Rosenberg expliquait les causes de la durable relégation d’un Poussin du Louvre, le fort éloquent Mars et Vénus, parmi les rebuts de son corpus légitime. L’œuvre qu’il propose de rendre au maître avait été acquise par Louis XIV. Il y règne précisément cette belle humeur, sexe et humour directs, dont le roi affectionnait les images. Contemporaine des œuvres les plus lestes de la période romaine, la toile aura vu son statut se dégrader, à partir de 1914, de copie d’atelier à simple pastiche. Les arguments de Pierre Rosenberg touchent au style et aux phases préparatoires du tableau, comme aux préventions du milieu: «Un point encore qui, sans doute, a longtemps empêché de porter un jugement serein sur le tableau, son sujet franchement leste: nous savons aujourd’hui que Poussin, le jeune Poussin des premières années romaines, n’était pas le Poussin sévère et austère des années 1640 et 1650. Il savait être licencieux et joyeux, il savait faire sourire.»

280px-Nicolas_Poussin_061Rappelons, du reste, que Poussin, à l’approche de la cinquantaine, souffre des résurgences de ce qui pourrait bien être la syphilis. Quant à l’idée d’une disparition progressive et volontaire des thèmes sensuels ou sexuels après 1650, n’est-elle pas aussi à réviser? Durant les quinze dernières années de sa vie, parallèlement à ses tableaux les plus sévères, non exempts toutefois de charge émotive et de liberté poétique, Poussin aura continué à caresser ses sujets de prédilection, les allégories de la fertilité aux accents priapiques, les rapts virils, l’électricité des jeunes amours, fussent-elles contrariées, comme dans le cas de Pyrame et Thisbé… N’oublions pas enfin que l’œuvre ne se referme pas sur les Quatre saisons, d’un catéchisme somme toute relatif, mais sur l’Apollon amoureux de Daphné, l’une des œuvres les plus «tendres» et sublimes du vieux maître. Que Poussin ait respecté certains des commandements du Ciel et nourri son art de la lecture de la Bible, rien n’autorise à l’infirmer. Mais rien ne permet d’y enfermer la vérité entière de l’homme et de sa peinture. De celle-ci, Poussin disait que «sa fin est la délectation». On a beaucoup glosé cette formule en séparant, à la façon de Kant, le simple bonheur des sens de la jouissance esthétique. Les tableaux de Poussin, épicuriens ou pas, les séparent moins pourtant qu’ils ne les entrelacent. Pareille attitude sent son néo-stoïcien: la morale et ses interdits, qu’il a peints avec le même sérieux que les feux de l’amour, s’arrêtaient à la sphère sociale. L’espace de l’intime, du privé, et donc de l’art, en était exempt. Stéphane Guégan

*Poussin et Dieu, Louvre, jusqu’au 29 juin, catalogue d’une rare érudition, sous la direction de Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto, Hazan/musée du Louvre, 45 €. L’exposition emprunte son titre au texte que Jacques Thuillier avait signé dans le catalogue de la rétrospective de 1994, sous l’inspiration de la grande thèse de René Pintard (1943) sur les libertins du XVIIe siècle. Il se trouve que Poussin a croisé certains d’entre eux lors du fameux séjour parisien de 1640-1642. Le texte du regretté Thuillier est peut-être son plus beau.

*Olivier Bonfait, Poussin et Louis XIV, Hazan, 27€

DIEGO NE MANQUE PAS D’AIR !

Velazquez
Autoportrait, 1640-1650 © Museo de Bellas Artes, Valence.

Certains chefs-d’œuvre sont désormais assignés à résidence. Tant mieux! Que le Prado soit remercié de ne plus faire courir le moindre danger aux Ménines ou aux Fileuses. L’exposition Velázquez du Grand Palais ne s’en porte pas moins bien. Elle a, certes, son secret pour faire oublier les prêts impossibles. Ce secret, c’est l’intelligence du propos, les surprises du parcours, l’accord conséquemment entre le sujet et sa mise en œuvre. La force aveuglante du réalisme, aux yeux des plus pressés, gomme trop souvent la part d’intelligence et de jeu, visuel et sémantique, dont fut capable le peintre de Philippe IV (oncle et beau-père de notre Louis XIV au temps des mariages espagnols!). En quelques comparaisons bien senties, au prix de séquences bien pensées, où Velázquez retrouve l’entourage artistique auquel il s’adapta en permanence, de Caravage et de Rubens à Poussin et Bernin, Guillaume Kientz exalte moins le «père de Manet», indigeste tarte à la crème, que le peintre de cour, toujours en alerte, condamné à plaire à ses maîtres, et l’homme qui trouva sa voie, ni à Séville, ni à Madrid, mais à Rome en 1630.

Vénus au miroir, 1647-1651 © National Gallery, Londres
Vénus au miroir, 1647-1651 © National Gallery, Londres

Une grande exposition se reconnaît à sa valeur ajoutée, dont chefs-d’œuvre et œuvres moindres doivent également bénéficier. Le grand art consiste à les mettre en musique comme si la postérité n’avait pas encore eu son mot à dire. On se souviendra des regroupements opérés autour du Saint Jean Baptiste de Chicago (attribution plus convaincante que celle de L’Éducation de la Vierge de Yale), du Portrait de Gongora de Boston, de la sublime et jamais montrée Tentation de saint Thomas d’Aquin, des fesses réversibles de la Vénus au miroir, ou encore du visage enfantin de Marie-Thérèse et sa perruque bruissante de papillons d’argent. On espère que le public saura y saluer un chef-d’œuvre de peinture et la future reine de France… Le Prado nous a tout même envoyé son fou, le fameux Pablo de Valladolid devant lequel Manet, en 1865, eut le choc que l’on sait: «Le fond disparaît. C’est l’air qui entoure le personnage, vêtu de noir et plein de vie.» Merveilleuse formule, qui dynamite par avance tout formalisme étroit. Pas moins que Diego, Manet ne manquait d’air.

Velázquez: Pablo de Valladolid. Madrid, Prado
Pablo de Valladolid, vers 1635 © Museo Nacional del Prado, Madrid

Velázquez est mort avec ses «petits secrets» (Malraux). Sur la personnalité profonde de l’homme, sa sexualité et sa façon de parler peinture, le mystère a peu de chances d’être levé… Silence agaçant s’il n’était compensé par la voix des meilleurs esprits du temps. Depuis Gongora, passion future de Picasso, Velázquez a retenu l’attention des écrivains dont il partageait l’art de la distance et de la fausse froideur. La plus belle des rencontres reste celle de Gracián, familier de Philippe IV jusqu’à guerroyer à ses côtés en Aragon. Or que dit de Velázquez le génial jésuite, dieu de la pointe et de l’aveu oblique? Son Héros (1637) fait briller la figure d’un «galante pintor» qu’on s’accorde à confondre avec Velázquez. Fuyant la voie de Raphaël et de Titien, dit Gracián, «el pintor» préfère être le premier en peinture «mal léchée» que le second en délicatesse.

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L’Infante Marie-Thérèse, vers 1651-1652 © Metropolitan Museum of Art, dist. RMN-Grand Palais/Malcom Varon

Velázquez et Gracian, au vrai, sont frères en «sprezzatura», ils ont lu tous deux Le Courtisan de Castiglione. Rapidité, concision et trait d’esprit désinvolte… Ne jamais trahir l’effort de ses pensées et la difficulté de ses actes, tel est le credo. Assurément, et l’exposition nous y ramène sans cesse, le brio aphoristique de Gracian circule à travers les tableaux de Velázquez, qu’il peigne la fable ovidienne avec une humanité ou une ironie jamais pédantes, ou qu’il brouille à plaisir les attendus de la représentation avec La Vénus au miroir. Écoutons ce que nous dit le chroniqueur aragonais Uztarroz: «la beauté consiste en des coups de brosse peu nombreux, bien travaillés; non que des coups peu nombreux ne requièrent point de travail, mais en sorte que l’exécution puisse paraître libre, sans effort et sans affectation.» Nous sommes en 1646. Velázquez avait encore beaucoup de choses à demander à ses pinceaux et autant à offrir au roi, cet autre fou de peinture. Stéphane Guégan // Velázquez, Grand Palais, jusqu’au 13 juillet 2015. Catalogue, sous la direction scientifique de Guillaume Kientz, RMN-Grand Palais éditions, 49 €.

Ils (s’)écrivaient…

Une lettre d’écrivain n’est pas un acte d’écriture comme les autres. Et quand le destinataire se trouve être aussi un homme ou une femme de plume, l’affaire se complique terriblement. Quatre livres indispensables en apportent la preuve, traversés qu’ils sont par la même fascination du pouvoir des mots et ce qu’on peut leur fait jouer. De Gide à Kerouac, en passant par Paulhan et Beckett, ces correspondances se construisent sur la fiction qu’elles fondent. Puis, un beau jour, les faux-semblants se délitent et le verbe, en sa vérité foncière, reprend alors ses droits. Gide, donc, le grand Gide, grand surtout par son Journal et ses innombrables lettres, deux espaces imaginaires où le moi s’autorise toutes les poses, sincérité comprise. Gide et Francis Jammes, qu’Eugène Rouart rapprocha, commencèrent à s’écrire au temps héroïque du symbolisme mallarméen, qu’ils tirèrent à eux sans trop tarder, le premier vers un nietzschéisme homo-érotique, l’autre vers une humilité mi-chrétienne, mi-virgilienne assez fade. «Par quel concours de circonstances deux tempéraments d’apparence aussi opposées que les leurs purent se rencontrer et s’accrocher avec la violence et la loyauté qui caractérisa leur amitié?», se demandait à juste titre Robert Mallet, en mars 1948, lors de la première parution de cette correspondance riche en éclats et brisures. À Jean Amrouche, un an plus tard, Gide pourra dire sans surprise: «Nous nous jouions un personnage l’un vis-à-vis de l’autre.» Toute relation épistolaire ajoute à sa valeur mémorielle un jeu de miroirs, qui en fait l’autre saveur pour qui sait s’y mouvoir. Le volume de Mallet courait jusqu’en 1938 et comprenait 280 lettres. La nouvelle édition y ajoute 260 inédits, de sorte qu’il a fallu se résoudre à deux volumes. Qui s’en plaindra, tant y sont admirables l’annotation et l’introduction de Pierre Lachasse et Pierre Masson? Couvrant les années 1890, celles qui voient les deux jeunes écrivains s’éloigner de l’hermétisme précieux, le premier tome alterne le fusionnel et le fractionnel. La passion est surtout du côté de Jammes, sur qui Gide fait l’effet d’un cœur pur aux dons illimités. Fut-il assez naïf pour ne rien soupçonner des mœurs intimes de son ami lorsqu’ils séjournèrent à Biskra en 1896, où Gide avait déjà ses habitudes? Quoi qu’il en soi, ses doutes ne se déclarent qu’à la lecture de Paludes… Mais la foi de Jammes a tant de ressources! Sa lecture catholique des Nourritures, sacrificielle de La Porte étroite fait sourire. On pourra encore longtemps débattre des raisons de sa colère, trouble ou rejet, elle éclate lorsqu’il découvre L’Immoraliste, et explose avec Les Caves du Vatican. Il ne restera alors plus grand-chose de leur passion de papier où l’amitié et sa comédie eurent leurs parts.

Si curieux qu’il soit aussi, l’attelage que formèrent Bloch et Paulhan ressemble au précédent par les différences et les dissensions qu’il eut à constamment vaincre. De même âge, ayant fait ainsi l’expérience de la guerre de 14-18 à trente ans, le second avec plus de vaillance et moins de scrupule idéologique que le premier, ils se croisent, à l’été 1920, dans les bureaux de la N.R.F, dont Paulhan vient d’être nommé secrétaire général. Il en prendra la direction, comme on sait, en février 1925, à la mort de Rivière. À cette date, l’ancien camarade d’Aragon, Soupault, Breton et Éluard a mis un peu d’air entre les surréalistes et lui. En comparaison, le parcours de Bloch révèle assez vite un goût de l’action collective et de la violence révolutionnaire, qui devaient l’amener à accepter le pire, ce qu’il appela lui-même, en 1932, «l’impérialisme prolétarien» de Staline… N’avait-il pas commencé par s’intéresser aux futuristes, puis admirer Mussolini, leur version socialiste, dans les années 1920? En combinant Marx, Whitman et Romain Rolland, cet intellectuel juif pouvait déjà, dix ans plus tôt, plaire à Gide par l’accent vitaliste de ses premiers romans et contes. Du choix de Moscou, progressif, douloureux mais finalement assumé, devait découler l’irréparable. Cette passionnante correspondance, et son annotation magistrale, en déroule le film; si elle se tend à partir de 1932, les raisons n’en sont pas seulement politiques. Bloch, qui n’a pas encore renoncé à être un romancier en vue estime être maltraité par la N.R.F et donc par Paulhan. Sa vanité d’auteur blessé va trouver dans les combats à venir une compensation dangereuse, et l’exposer à de meilleurs stratèges que lui, Aragon en premier lieu. Une certaine méfiance va donc s’installer entre Bloch et Paulhan malgré l’estime qu’ils s’inspirent l’un l’autre, et au-delà de l’affection qu’ils se porteront toujours. La mobilisation antifasciste, à partir de 1933, et la brève entente cordiale qu’engendre le Front Populaire retardent une déchirure qu’on sent pourtant inéluctable. Les premiers signes sérieux se dessinent, fin 1936, après la parution du Retour de l’URSS de Gide, derrière laquelle se regroupe la N.R.F. Tandis qu’elle condamne le «communisme à la moscovite» (Crémieux), Bloch campe sur la rive opposée et accepte, début 1937, de codiriger Ce soir avec Aragon. Un quotidien à sensation, genre Ici-Paris, mais qui prend ses ordres à l’Est de la Vistule. Durant l’été qui suivra les exécrables «accords de Munich», et comme regonflé par le recul criminel des vieilles démocraties, Bloch adhère au PCF… Juste à temps pour vivre l’horreur du Pacte germano-soviétique et, plus que jamais, la division de soi. C’est donc le moment de vérité entre lui et Paulhan, pour qui rester alors communiste est odieux et «purement indéfendable». Mais le patron de la N.R.F avait le cœur assez grand pour y conserver son stalinien d’ami, exilé à Moscou entre mars 1941 et la fin 1944. La famille de Bloch fut en partie décimée par les nazis, terribles pertes que ses «camarades» allaient, pardi, exploiter à l’heure de l’épuration.

Indiscutable, inaliénable fut la fibre française du jeune Beckett, qui endura les «années noires» sur le sol élu et se mêla à la nébuleuse de la résistance intellectuelle. Sa correspondance confirme, s’il était besoin, son attachement au pays de Baudelaire, Rimbaud, Gide et Proust, quatre de ses auteurs de prédilection. Mais il en est beaucoup d’autres. Rien, à dire vrai, ne lui échappe au cours des années 1920-1930, d’Éluard et Breton qu’il traduit, à Malraux, Céline et Sartre dont La Nausée (livre repêché par Paulhan de façon épique) fut évidemment une lecture décisive dans sa vision décapante de l’humanité moderne. Aussi faut-il saluer, plus que la presse ne l’a fait chez nous, l’événement que constitue la parution française de ces milliers de lettres. Notre verbomoteur de génie en aura griffées tant qu’il ne faudra pas moins de quatre gros volumes de 800 pages pour les absorber. Deux ont déjà vu le jour en Angleterre, et la traduction du premier laisse déjà pantois (la richesse inouïe de l’appareil scientifique y est pour quelque chose). En raison de réticences qu’il ne m’appartient pas de discuter, mais qui relèvent apparemment d’une conception qu’on dira anti-beuvienne de la pureté littéraire, les éditions de Minuit ont préféré ne pas donner suite au projet des experts anglo-saxons de Beckett, selon lesquels il serait vain de ne conserver du corpus épistolaire que ce qui a trait à l’œuvre. Qu’ils soient bénis! Car notre plaisir vient aussi de la façon inimitable qu’a l’écrivain irlandais à se faire entendre et traduire joyeusement ses idées, ses sensations, son corps et ses humeurs les plus intimes, lorsqu’il parle de littérature, de peinture et de l’état d’une Europe déjà prisonnière de l’étau fasciste. L’ombre des grands hommes, à commencer par celle de Joyce, son mentor, n’aura pas refroidi une ardeur insatiable, tonique, à tout embrasser de son temps. Surprise, le Dublinois (si l’on ose dire) n’a rien à voir avec la déprime métaphysique, doxa existentialiste, qui s’attache à ses basques. Beckett a le savoir gai, et le goût juste. Quant à son œil! C’est l’autre surprise. Ce qu’on appelle l’histoire de l’art devrait se pencher sur son cas et ne pas réduire le musée de Beckett au gentil Bram Van Velde et aux affaires de Peggy Guggenheim. Passons vite sur les anciens, qu’il maîtrise au point de convoiter un poste à la National Gallery de Londres. On lui pardonnera quelques jugements hâtifs sur Titien et Rubens au regard de sa curiosité très ouverte en matière de peinture contemporaine. Picasso et Masson plutôt que Dalí, bravo. C’est à croire qu’il voyage dans l’Allemagne d’Hitler par passion pour l’art dégénéré. Puisque les modernes sont dans les «caves», il se fait ouvrir les réserves de la honte, voit les collectionneurs ou les artistes surveillés par les cerbères de la race supérieure et s’amuse de Furtwängler, si génial mais si bien en cour. Le premier volume s’interrompt en juin 1940, la lettre s’adresse à Van Velde et sa compagne. Beckett y parle des fenêtres bleuies en raison du black-out imposé aux Parisiens. Toute la vision du réel en est troublée. «On croit choisir une chose, et c’est toujours soi qu’on choisit, un soi qu’on ne connaissait pas si on a de la chance.» Beckett n’avait pas besoin de lumière blanche pour papillonner et philosopher.

De l’autre côte de l’Atlantique, la jeunesse s’agite aussi, c’est de bonne guerre. Fin 1943 ou plutôt début 1944, Kerouac et Ginsberg, le catholique hétéro et le juif inverti, ont une sorte de coup de foudre sur le campus de Columbia. Et ils n’ont pas que le feu aux fesses… Bird et Miles Davis révolutionnent le jazz, ils vont rectifier la littérature dans la pleine connaissance de qu’elle avait été ou de ce qu’elle est de part et d’autre de l’océan. Il n’y pas que l’alcool et la benzédrine dans leur vie, il y a les livres et la peinture (plus présente, il est vrai, sous la plume de Ginsberg, qui a fréquenté pas mal de pinceaux et croisé l’historien de l’art Meyer Shapiro, dont Jack se moque à l’occasion). Le temps n’est donc plus où leur supposé iconoclasme faisait loi, où il fallait taire ce qu’On the road doit à Proust ou Joyce, et la poésie de Ginsberg à Dante. Leur correspondance s’ouvre sur une paraphrase de Shakespeare, adressé par le premier, vingt-deux ans, au second, dix-sept. La flamme n’a pas d’âge… Dès que la légende se fige, légende à laquelle Kerouac ne voulut jamais prendre part, lui le plus français de tous, le plus hostile aux beatniks et à la contre-culture des années 60, les lettres sont là pour dénoncer les mythes qui font marcher le petit commerce. Alors que les films les plus navrants s’accumulent sur eux, et que les écrans d’Hollywood nous dépeignent un Neal Cassidy atrocement bouffon et dévirilisé, la seule parade est de revenir au texte, au «flow» insensé (la fameuse et fausse oralité célinienne saisie à sa source) qui abolit toute frontière entre leurs livres et leur ferveur épistolaire. Du reste, Kerouac et Ginsberg ont plutôt bien conservé les traces de leur dialogue écrit, dont les années 1950 forment le moment de plus haute intensité et poésie. Et quand il est fait mention de « la Joan Anderson de Neal», lettre miraculée qu’on vient d’exhumer, on comprend que cette littérature avait conscience de s’être inventée, forme et fond, au feu de ses missives superbement baroques. Stéphane Guégan

*André Gide/Francis Jammes, Correspondance tome 1 1893-1899, édition établie et annotée par Pierre Lachasse et Pierre Masson, introduction de Pierre Lachasse, Gallimard, 28€

*Jean-Richard Bloch/Jean Paulhan, Correspondance 1920-1946, édition établie, préfacée et annotée par Bernard Leuilliot, Editions Claire Paulhan, 36€

*Samuel Beckett, Lettres, tome I, 1929-1940, édition établie par George Craig, Martha Dow Fehsenfeld, Dan Gunn et Lois More Overbeck, Gallimard, 55€

*Jack Kerouac/Allen Ginsberg, Correspondance, 1944-1969, édition établie par Bill Morgan et David Stanford, traduit de l’anglais (hors les passages en français savoureux !) par Nicolas Richard, Gallimard, 29€

Guerre(s) froide(s) ?

Le propre des tyrannies modernes, celles qu’on dit libératrices, ou purificatrices, est d’avancer masquées. Que leur fonds de commerce soit la religion, le sexe ou la politique, le machiavélisme y a pris des proportions dantesques. Des masques, on en trouve justement sur la couverture du dernier essai de Bérénice Levet. Empruntés à Magritte, ils illustrent la duplicité ou le piège des apparences chers au froid ironiste. Si cette image trop lisse trahit le bouillonnement et la colère du livre, elle est fidèle à son propos: la «théorie du genre» en son versant extrême, celle de la «queer theory», confine au tour de passe-passe et au trompe-l’œil. Utiles tant qu’elles identifient les stéréotypes du culturel et du sexuel dans les comportements de société ou les productions de l’art, les «gender studies» dérapent dès qu’elles passent de la revendication féministe ou de la déculpabilisation de l’homosexualité à la diabolisation de l’hétérosexualité, mère de tous les maux, comme on sait, et levier de toutes les oppressions, bien sûr. En vingt-cinq ans, surfant sur les chantres les plus obtus de la «société policière et normative» (Foucauld, Derrida et Cie), le débat sur l’identité sexuelle a changé d’objet et de ton. Cette mutation a d’abord frappé les États-Unis, où tous les prétextes sont bons pour accuser la France, terre des libertés infidèle à son destin éclairé, de s’être rangée du côté des forces du mal(e). En rappelant que notre sexualité est déterminée en nature, quelle que soit sa forme, et que l’éducation ne saurait faire taire la force biologique qui pèse sur nos désirs, Bérénice Levet dévoile ce que masque le souverainisme du choix. Freud et Merleau-Ponty à l’appui, la philosophe dénonce autant les négateurs du donné que le mépris du don. Croire que tout est culturel, ou que toute sexualité est aléatoire, c’est ignorer ce qui nous est offert en naissant, et rejoindre le pire obscurantisme au nom de son refus.

Restons sur le terrain des illusions, si fertile aux idéologies révolutionnaires, et venons-en au nouveau livre d’Anne Applebaum, experte du domaine soviétique. Après avoir étudié les camps du goulag, elle s’intéresse à la période où ils connurent un pic de fréquentation, le début des années 1950… Son franc-parler et son humour noir n’ont pas faibli s’agissant de ce qu’elle appelle le haut-stalinisme et l’assujettissement communiste de l’Europe orientale après Yalta. À la suite de Timothy Snyder et de ses indispensables Terres de sang, Applebaum décrit la reconstruction, sous pavillon russe, du champ de ruines laissé derrière elle par une guerre qui ne fut jamais aussi destructrice qu’en Pologne, Hongrie et Allemagne. On le sait, l’invasion allemande de la Russie, en juin 1941, fut une malédiction pour les Russes et une bénédiction pour Staline. Ce que l’Ukraine affamée, la Grande Terreur des années 1930 et le pacte Molotov-Ribbentrop avaient ôté à son prestige et son crédit, la Wehrmacht le lui rendit au centuple. On commençait à douter des bienfaits du communisme sur ceux qui devaient en être les bénéficiaires, les libertés publiques et le niveau de vie des prolétaires, la guerre «donna un nouveau bail au mouvement communiste international». Staline sort du conflit presque divinisé. Les alliés ne lui refuseront rien et fermeront les yeux sur ce qui allait advenir de l’Europe de l’Est. À relire son implacable discours de Fulton, prononcé le 5 mars 1946, et où il parle déjà de «contrôle totalitaire», on mesure la déception de Churchill face aux positions américaines. Certes, les États-Unis n’étaient guère disposés à se retourner contre les Russes après les sacrifices humains qui venaient d’être consentis de part et d’autre. Une guerre, moins froide que son nom, fut pourtant le fruit empoisonné de cette politique de l’autruche. Sous couvert d’apporter aux pays satellites la perfection du modèle soviétique, Moscou étendit à ses voisins les méthodes opaques d’un totalitarisme redoré par la défaite d’Hitler. Là où le Komintern avait échoué, les conditions politiques de l’après-guerre rendirent possible la soviétisation des «terres de sang». Mais à quel prix? C’est tout le propos et le grand mérite de Rideau de fer que d’en éclairer à la fois le processus et la façon dont il fut vécu. L’Europe de l’Est, Allemagne comprise, fut d’abord mise en coupe réglée, au titre des réparations de guerre, avant d’être intégrée au stakhanovisme de la maison mère. Police, bourrage de crâne, système mafieux, tout est rendu en détails, jusqu’à l’usage cynique que l’appareil stalinien fit de la rancœur des Juifs envers les Allemands et les Polonais. On eût aimé qu’Applebaum s’attachât davantage au rôle des intellectuels de l’ouest dans le sinistre «guignol» dénoncé par Koestler dès 1941. Certains se réveillèrent, Sartre plus que Picasso, en novembre 1956. Il est pourtant dur le bruit des chars sur le macadam.

Stéphane Guégan

Regrets…

Ceux de ne pas avoir parlé plus tôt du dernier roman de Marc Pautrel, dont l’ouverture, d’une rare fulgurance, est l’une des meilleures belles choses que la littérature française nous ait offerte en 2014. Orpheline ne déroge pas aux choix d’écriture qui font la musique si particulière de ses précédents livres, soumis à l’immédiateté du présent de l’indicatif et au tranchant des émotions qu’une autre grammaire embellirait. Tous les livres primés ici et là me sont tombés des mains, le miel d’un sentimentalisme que je croyais mort depuis 1850 y coule à flots. Inflation des mots, fausseté des péripéties, ridicule des scènes d’étreinte, mensonge romanesque dans le pire sens de cette expression fameuse. À l’inverse, Pautrel regarde son héroïne respirer, aimer, voyager, s’enflammer ou s’éclipser, il la laisse aller sans nous asséner en permanence qu’elle est une femme libre de ses sentiments et de ses mouvements, folle d’elle-même, une femme moderne qui n’appartiendrait qu’à la minute présente et sur qui tout glisserait, les blancs de son enfance volée comme les faux pas de la passion amoureuse. Se libère-t-on jamais de tout? Cette séduisante Bordelaise de quarante ans, très espagnole de corps et de crinière, a ses secrets et ne les partage pas avec les hommes qui rejoignent son existence solitaire, peuplée de brèves lumières et de rêves insistants. Et si le dernier était le bon? SG

*Bérénice Levet, La Théorie du genre ou le Monde rêvé des anges, Grasset, 18€

*Anne Applebaum, Rideau de fer. L’Europe de l’Est écrasée 1944-1956, Grasset, 28€

*Marc Pautrel, Orpheline, L’Infini, Gallimard, 12€

 

Picasso enfin!!!

COUV_PICASSOL’avalanche nous menaçait et elle aurait déjà eu lieu si l’ouverture du musée Picasso n’avait pas été tant de fois reportée. Elle nous est désormais promise pour le 25 octobre prochain. Comme les premiers livres se font jour, on est rassuré, Picasso revient… En entrant dans la prestigieuse série des Cahiers de L’Herne, il n’a rien perdu de sa superbe, au contraire, il se mêle naturellement aux écrivains qui le servirent et à l’écriture qu’il servit avec une ardeur croissante, son pic poétique se situant au milieu des années 1930, au moment où Marie-Thérèse va devoir céder son statut de favorite à Dora Maar. Une lettre récemment exhumée par Diana Widmaier-Picasso prouve qu’une déclaration d’amour fou peut couver entre ses lignes sinueuses et caressantes une lettre de rupture. Avec le minotaure, on ne sait jamais. L’homme et l’œuvre excellent pareillement dans la dérobade. Olga, sa première épouse, plus fine que ne l’affirment les hagiographes de Picasso, disait que «sa peinture ne pourrait pas être aussi géniale [s’il prenait] la moindre part à la douleur d’autrui.» Très soignée, très riche en reproductions couleurs de manuscrits et en documents livrés in-extenso, cette livraison de L’Herne n’est pas entièrement faite d’inédits, ni de neufs aperçus. Allons au meilleur, qui ne manque pas. Et le meilleur, par exemple, c’est Nathalie Heinich qui montre sur quelle construction sociale culturelle Picasso a pu asseoir son prestige intangible de génie du XXe siècle. Génie, non héros, comme le confirment les brillantes contributions d’Annette Wievorka sur Thorez et Peter Read sur Desnos, lesquelles documentent les éclipses (et autres points aveugles) de son fameux «engagement», avant, durant et après l’Occupation.

Saluons aussi les fines remarques d’Androula Michael sur la poésie picassienne, et le bel article de Laurence Madeline sur la logique et la beauté épistolaire d’un peintre qui passe encore, bien à tort, pour rétif aux mots et aux épanchements. Madeline a aussi signé un Picasso devant la télé dont il eût fallu parler plus tôt. Imagine-t-on le fils de Vélasquez et Manet en manque permanent d’images cathodiques, avalant sans compter matchs de catch, feuilletons débiles, dramatiques en costumes et actualités (Viêtnam, Mai 68, etc.) ? Les enfants de La Piste aux étoiles et de Zorro (j’en suis) peuvent être fiers d’avoir apporté leur pierre à la grandeur du dernier Picasso, qui fait flèche de tout bois. Aucun mépris chez lui pour les grâces involontaires de la culture de masse. Sa bibliothèque, on le sait, réconciliait Nick Carter et Mallarmé, Buffalo Bill et Rimbaud. Cubisme et cinéma, de même, sont synchrones dans la pulvérisation de l’espace-temps. Quant au «petit écran», il mène au grand art par des voies multiples, bien mises en valeur par Madeline : cocasserie, narration accélérée, cadrage hyper-serré et jeu avec le hors-champ. On ajoutera que la télé n’eut aucun effet curatif sur le narcissisme du maître, qui s’identifiait à De Gaulle, Paul VI et Raphaël

Comment détacher sa pensée de Raphaël en présence des portraits de Sylvette David, si mal traités par l’histoire de l’art et si magnifiquement réhabilités par le musée de Brême? Ce fut, jusqu’en juin dernier, l’une des plus pertinentes expositions jamais consacrées au Picasso d’après-guerre (le plus complexe) qu’il ait été permis de voir depuis longtemps… Près de soixante images de la blonde lolita ont ainsi éclos entre la mi-avril et la mi-juin 1954, chassant les ombres de la fameuse «saison en enfer» (Michel Leiris), moins marquée par la mort de Staline (mars 1953) et ses démêlés avec le PCF (on eût préféré une rupture courageuse), qu’endeuillée par le départ de Françoise Gilot (la plus indépendante de ses compagnes) et le sentiment de la décrépitude progressive, à laquelle il allait répondre par une furie érotique de moins en moins convenable (pas de ça dans l’Huma!). Succédant à la flambée hivernale des gravures, mais précédant l’intronisation glacée de Jacqueline, la charmante et puissante série du printemps 1954 fut un véritable «bain de jouvence». Sylvette David n’a pas encore vingt ans lors de la «rencontre» de Vallauris. Fille d’un galeriste qui a vite quitté le foyer conjugal, enfant du baby-boom et symbole de la jeunesse libérée, queue de cheval et «new  look», mélange de retenue et de sex-appeal, elle fascine et défie le vieil artiste qui prend littéralement possession, par caresses mentales et graphiques, de ce corps longiligne, de son visage aux lignes pures et même de ses jolis seins «en biais» (pour le dire comme Aristophane). Moues d’adolescente et sourires de starlette alternent sans altérer son port de princesse ou de madone italienne. Parce qu’il est lui-même alors l’objet docile de la presse people, et qu’il a toujours cousu ensemble l’actualité et la fidélité aux maîtres, Picasso a vite converti la jeune femme en symbole de sa génération, celle de Bardot, et en signe de son propre renouveau. Coup double. Dans la magistrale introduction  de son catalogue, le directeur de l’exemplaire musée de Brème, Christoph Grunenberg prend plaisir à secouer les préventions de l’historiographie formaliste et puritaine, voire stalinienne, impuissante à accepter une série qu’elle a jugée froide, impersonnelle, conventionnelle ou sentimentale. Moderniste, en somme, la vulgate rejetait un fois de plus hors d’elle la modernité décloisonnée du maître, son attrait pour la mode féminine, son sens du réel et de la nouveauté du présent. Stéphane Guégan

*Laurent Wolf et Androula Michael (dir.), Pablo Picasso, Cahiers de L’Herne, 39 €.

*Laurence Madeline, Picasso devant la télé, Les Presses du réel, 14 €. Le volume contient aussi deux textes à lire impérativement (Bernard Picasso, Souvenir d’enfance et Jean-Paul Fargier, Picasso, zappeur et sans reproche).

*Christoph Grunenberg (dir), Sylvette, Sylvette, Sylvette. Picasso and the Model, Kunsthalle Bremen / Prestel, 49,95 €. Un modèle d’intelligence critique et d’érudition.

 

Lâchez tout

Dada était-il soluble dans le surréalisme? Telle est, en substance, la question que pose l’excellente exposition du Centre Pompidou, qui fait de la revue Littérature, à partir de mai 1922, le lieu et le levier d’une captation d’héritage et de pouvoir. Résumons: pour défaire Tzara et refaire Dada, André Breton aura amadoué Picabia avant de le congédier à son tour… Cette valse à quatre temps ne ressemble pas nécessairement à sa légende. Car elle éclaire davantage les petites stratégies inhérentes au milieu de l’art que la volonté «révolutionnaire» des surréalistes, cœur de la vulgate que l’on sait. En dehors de celles et ceux qui ont intérêt à maintenir en vie le mythe des insurgés au cœur pur, nous sommes de plus en plus nombreux à récuser la thèse des iconoclastes magnifiques, avide d’en finir avec le vieux monde. Dès la Libération, mais au nom d’engagements aussi dangereux, Sartre s’attaqua aux surréalistes et mit en doute les conséquences réelles de leur radicalisme, de leur «négativité», dans un brillant réquisitoire: faux insurgés et «cléricature» qui ne dit pas son nom, ils se seraient maintenus «en dehors de l’histoire». Il y avait sans doute un peu de malhonnêteté intellectuelle à l’affirmer ainsi, Breton et les siens ne s’étant pas abstenus de toute agitation entre la crise marocaine de 1925 et la fin des années 1930. Mais Sartre n’en restait pas moins juste quant aux «motifs» premiers de la «violence» surréaliste lorsqu’il la ramenait, avant Camus, à un non-conformisme de parade et une stratégie littéraire.

Couverture de Littérature, n.5
1er octobre 1922
Paris, Centre Pompidou,
musée national d’Art moderne

Faut-il innocenter complètement un tel prurit nihiliste, et oublier les appels au meurtre dans lesquels se drapait la morgue de ces jeunes gens de bonne famille qui semaient la haine autour d’eux par jeu et rejet de «la France de papa»? Ce recours narcissique à l’insulte et à la calomnie, que leurs victimes fussent Proust, Cocteau, Barrès, Claudel ou Anatole France, ne pouvait pas ne pas contribuer au joyeux naufrage de l’entre-deux-guerres. Amusant paradoxe, si j’ose dire, puisque Dada s’est voulu, en sa version primitive, une réponse aux tranchées de 14-18. Faut-il rappeler, du reste, que peu en virent la couleur? Et Tzara, Picabia et Duchamp bien moins encore qu’Aragon et Breton… Au cours de ses Entretiens avec André Parinaud, publiés en 1952, ce dernier est revenu sur les débuts de Littérature et la sagesse des six premiers numéros, parus entre février et l’été 1919. On s’y montrait encore accueillants aux générations précédentes et modérés de ton. Jean Paulhan, avec qui Breton devait bientôt refuser de se battre en duel, compte aussi parmi les contributeurs d’une revue qui file doux. À Parinaud, qui était en droit de s’étonner de tant de retenue, Breton rappela qu’Aragon et lui étaient encore mobilisés alors et que les «pouvoirs» étaient conscients de la nécessité de ne pas libérer trop tôt les soldats traumatisés, révoltés par le «bourrage de crâne» et l’impression d’un sacrifice inutile. On notera que Breton eut alors la décence de ne pas ce compter parmi ceux qui souffrirent le plus du terrible conflit, Masson, Drieu ou le météorique Jacques Vaché

Littérature opère un virage radical début 1920. Mais la raison n’en est pas l’abandon des uniformes et l’appétit de vengeance, la raison s’appelle Dada et le besoin de dominer seul l’avant-garde parisienne. Entre les complices d’hier, c’est la guerre ouverte, démonétiser Tzara devient une priorité. Qui mieux que Picabia et Duchamp peuvent servir ce dessein? Au premier, Breton a proposé dès décembre 1919 de «collaborer à Littérature». Ce qu’il fit en donnant quelques poèmes. Il faudra que les choses s’enveniment sérieusement et que la revue s’ouvre aux images, dessins et photographies, pour que la «collaboration» de Picabia prenne un poids autrement plus symbolique et significatif. Deux ans donc passent… Littérature vient d’entamer une «nouvelle série» sous une couverture de Man Ray et la conduite de Breton, qui a écarté Soupault de la direction. Le nouveau chef des opérations peut écrire à Picabia une des ces lettres flagorneuses dont il a le secret. En gros, exit Soupault, sentez-vous enfin chez vous chez nous, cher maître… «Je vous prie de m’accorder votre collaboration, toute votre collaboration (c’est Breton qui souligne). […] Envoyez-moi, par ailleurs, tout ce qui vous plaira et surtout ne reculez pas devant aucune violence, la voie n’a jamais été si libre.» Dès le numéro suivant, Picabia signe la première des neuf couvertures qu’il donnera à Littérature entre septembre 1922 et juin 1924.

Man Ray, Le Violon d’Ingres, 1924.
Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne

En plus des dessins originaux du peintre scandaleux, l’exposition de Christian Briend et Clément Chéroux regroupe et met en scène de façon piquante un certain nombre de projets alternatifs où Picabia donne libre cours à son humour le plus corrosif, oscillant entre le détournement des maîtres anciens (Botticelli, Ingres), la pornographie souriante et l’anticléricalisme sauvage. De son côté, Breton multiplie les déclarations d’amour. Ainsi, en tête du n°4, qui ouvre précisément la nouvelle série: « Dieu merci, notre époque est moins avilie qu’on veut le dire: Picabia, Duchamp, Picasso nous restent.» La ressemblance, du reste, est indiscutable entre les dessins du premier et le néoclassicisme piégé du troisième, qui ne cèdera pas aux avances de Breton avant 1923 et Clair de terre. Circonvenir Picasso, c’est le rêve de l’écrivain, qui joue déjà au shaman hugolien avec Desnos et Crevel (il est surprenant de voir le crédit que les spécialistes du surréalisme continuent à accorder à leurs séances «spirites»). Duchamp se laisse plus rapidement séduire. Ses aphorismes impayables ornent la revue dès son n°5, qui reproduit aussi une vue du Grand verre empoussiéré, mais prise par un Man Ray récemment débarqué à Paris et déjà en ménage avec Kiki. D’autres photographies de l’Américain auront droit de cité jusqu’au fameux Violon d’Ingres avec ses ouïes taillés en pleine chair, au-dessus  d’une paire de fesses mémorable. Chéroux a raison d’y insister, Littérature assure ensemble la promotion de Man Ray et la légitimité de son médium. C’est que Breton a déjà compris les profits possibles du nouveau révélateur… Le scabreux Picabia, lui, deviendra vite encombrant. Stéphane Guégan

– Christian Briend et Clément Chéroux (dir.), Man Ray, Picabia et la revue Littérature, Centre Pompidou, jusqu’au 8 septembre, catalogue très fouillé et donc très utile, 29,90€.

Quelques récentes publications relatives au surréalisme…

*Nadja Cohen, Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930), Classiques Garnier, 49€. /// Voilà un livre comme on aimerait en lire plus souvent, informé, exempt de tout jargon et affranchi de la langue de bois qui sévit en milieu universitaire quand on aborde les saintes avant-gardes du premier XXe siècle. Nadja Cohen, première audace, ne réduit pas la modernité poétique d’alors au surréalisme (Cendrars s’y taille la part du lion qu’il était). Bien avant Breton, c’est Apollinaire qui introduit la photographie et le cinéma dans les publications qu’il dirige. Les Soirées de Paris, on l’oublie trop, s’intéresse aux salles obscures dès 1912. La défense du cinéma muet, dernier né d’un monde dont il est aussi l’expression adéquate, «sans emphase ni effusion», va conduire les poètes à repenser l’espace-temps de leur propre langage et à privilégier l’image sur le récit. Un certain merveilleux populaire, de plus, y renouvèle la frénésie des romantiques pour la pantomime. L’espèce d’hallucination «stupéfiante» dont procède la jouissance du spectateur constitue enfin un autre attrait puissant et un objet de réflexion pour les surréalistes, soucieux de comprendre les mécanismes de la pensée et du désir, et jaloux de l’impact du film sur notre imaginaire. SG

 

– Paul Éluard, Grain-d’Aile, illustré par Chloé Poizat, Nathan/Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 14,90€. /// En 1951, un an avant d’être emporté par une crise cardiaque, et en marge de tout activisme politique (Ode à Staline, 1950), Paul Éluard publie une fantaisie qui fait écho à son Etat-civil (Eugène Grindel) et, plus profondément, à L’Albatros de Baudelaire. Les romantiques, on le sait, ont précédé les surréalistes dans le culte de l’esprit d’enfance. Ce conte, où règne déjà l’esprit de Topor, reparaît accompagné des illustrations inquiétantes de Chloé Poizat. Derrière le charmant apologue de la légèreté, qu’elles servent sans mignardise, on peut lire une métaphore du poète et, plus précisément, du poète qu’est alors Éluard, refaisant une dernière fois sa vie avec Dominique Lemort, mais prisonnier des serres de Moscou. SG

*Benjamin Péret, Le Déshonneur des poètes, et autres textes, introduction de Jean-Jacques Lebel, Acratie, 15€. /// On a souvent lu ce classique comme une défense et illustration de l’autonomie de l’art («la poésie n’a pas à intervenir dans le débat autrement que par son action propre»). Péret, depuis Mexico, y répondait en 1945 au volume anonyme et clandestin, L’Honneur des poètes, publié par les éditions de Minuit en juillet 1943. Il fallait un certain courage pour tenir tête aux Fouquier-Tinville du moment, à tous ces poètes que le PCF avait érigés en résistants admirables et en juges impitoyables. Comme le souligne la préface de Jean-Jacques Lebel, le texte de Péret reste l’un des premiers à dénoncer le nouvel opium des intellectuels français de l’après-guerre: «Mais le poète n’a pas à entretenir chez autrui une illusoire espérance  humaine ou céleste, ni à désarmer les esprits en leur insufflant une confiance sans limite en un père ou un chef contre qui toute critique devient sacrilège», martèle l’ami de Breton. SG

*Sarah Frioux-Salgas (dir.), «L’Atlantique noir de Nancy Cunard», Gradhiva, Revue d’anthropologie et d’histoire des arts, n°18, Musée du Quai Branly, 20€. /// Celle qui se voulait «l’inconnue» ne l’est pas aux lecteurs d’Aragon. Elle est la «grande fille», de taille et d’ambition, «félonne et féline», qu’il évoque dans La Défense de l’infini avant d’enfouir à jamais ce livre fou. Née en Angleterre, la même année que Breton, Nancy Cunard se rattache au surréalisme par d’autres liens que sa romance agitée avec un poète encore en froid avec sa libido. Cette publication très soignée nous montre l’ex-châtelaine jouant les travestis chez les Beaumont (avec Tzara!), prenant des poses d’androgynes illuminés devant Man Ray et libérant son «cœur d’ébène» à travers le jazz, les bijoux d’ivoire et la lutte constante contre l’apartheid. Elle fut donc de toutes les avant-gardes. SG

 

*Serge Sanchez, Man Ray, Folio biographies, Gallimard, 8,49€. /// Récit alerte comme le fut la vie du plus français des Américains. Que serait la planète du dadaïsme historique sans le cosmopolitisme du New York des années 1910? Man Ray, issu de l’immigration des Juifs russes, s’est rêvé peintre avant de découvrir que la photographie pouvait en être plus qu’un succédané. C’est un trentenaire déjà riche de multiples expériences et d’une culture solide (lecteur et mélomane, il a même croisé Robert Henri, le maître de Hopper) que Duchamp et Cocteau vont lancer dans le Paris des «Roaring Twenties». SG

 

*Henri Béhar et Michel Carassou, Le Surréalisme par les textes, Classiques Garnier, 29€. /// Cette synthèse destinée aux étudiants, parue en 1988 et plusieurs fois complétée depuis, demeure une introduction substantielle à la connaissance et à l’histoire remuante du mouvement. Si les auteurs évitent à maints endroits l’hagiographie coutumière à ce genre de publications, ils ne font pas toujours preuve de recul critique et de grande tolérance. Voir leur addendum persifleur (p. 281), et donc leur dérobade, au sujet de l’essai de Jean Clair, Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes. Contribution à une histoire de l’insensé, Mille et une nuits, 2003. SG

Drieu que c’est beau!

drieu-14-18-2-R7Ys6JuTLa guerre de 14, humus poétique, voilà une terrible vérité, comme notre époque n’aime pas les entendre. Deux parutions remarquables et quelques inédits de Drieu, regroupés par l’excellente Revue des deux mondes, nous confrontent à cette lyre couleur de boue, de sang et d’extase. Maintenant qu’il n’y a plus le moindre poilu qui vaille ou braille, écoutons avec respect leurs chants de vie et de mort. Ils vérifient l’avertissement des Fleurs du mal: la gratuité de la poésie est l’envers de sa nécessité existentielle. À travers les deux florilèges qu’ils ont dirigés, Antoine Compagnon et Guillaume Picon, un même vertige nous bouleverse, celui des hommes face à l’horreur et l’incertain, l’incertitude de soi dans l’épreuve suprême. Le plus étonnant est que la poésie des tranchées, autre déluge de feu, ne se cantonne pas au pathétique ou au tragique prévisibles. Nous n’avons peut-être plus le cœur assez large pour tendre l’oreille aux accents charnels de Péguy et Déroulède, ou pour supporter Barrès en «rossignol des carnages», c’est bien dommage. Mais sommes-nous plus disposés, hommes et femmes du 11 septembre, à accepter le sublime inversé? Les surréalistes, on le sait, ne pardonnèrent jamais à Apollinaire son «Ah Dieu! Que la guerre est jolie / Avec ses chants et ses longs loisirs». Pourtant, comme le rappelle Compagnon, qu’eussent été Aragon, Breton et Eluard s’ils s’étaient privés de ce que la guerre eut de rimbaldien? La licence, la frénésie, le dédoublement de soi, l’éthique paradoxale de la haine, le fonds de cantine du surréalisme, en somme, a fleuri dans les tranchées… Le meilleur du roman français de l’entre-deux-guerres aussi: Giono, Céline et le Drieu de La Comédie de Charleroi, si proche de Remarque et Hemingway. Thibaudet, dans la NRF d’avril 1920, réclamait des «romans de la volonté», et non «des romans de la destinée», ces trois-là les signeraient bientôt. Auparavant, Drieu va mettre la guerre en vers.

Parmi les inédits déjà mentionnés, on lira un sonnet d’octobre 14, dont le titre résume à la fois l’esthétique et le paradoxe dont il tire sa beauté. Fusée fait du Heredia sur un thème Dada. Drieu se souviendra sous l’Occupation combien il avait peiné à broder «artistement» sur le merveilleux involontaire des orages d’acier. On en sauvera surtout ce trait net, «la cruelle beauté de ta claire menace» et cette rime latente entre Arras et «harasse». Mais la distance est encore grande qui sépare Drieu de son premier chef-d’œuvre, le volume d’Interrogation. «J’emploie les courts moments que me laisse mon poste ennuyeux à préparer un livre que va publier La Nouvelle revue française», écrit-il en juillet 1917 à son ami Jean Boyer, autre héros de la guerre, familier d’Emmanuel Berl et fidèle de Drieu, par-delà les déchirements idéologiques à venir. De leur émouvante et précieuse correspondance, la Revue des deux mondes nous livre de quoi nous mettre en sérieux appétit: «Pour moi la guerre m’a profondément labouré. […] J’intitulerai “Cris” ce recueil de chants en prose, car aucune musique ne les enveloppe.»

Daté du 30 août 1917, l’achevé d’imprimer d’Interrogation de Drieu la Rochelle ne dit rien des difficultés qu’ont rencontrées ces poèmes de guerre. La censure, grâce à l’appui de Marcel Sembat, en aura seulement fait fondre le tirage. Des cinq cents exemplaires que l’auteur attendait de Gaston Gallimard, seuls 150 circulent à partir du début septembre. Apparemment, on s’est ému des pièces considérées comme germanophiles… Après plusieurs campagnes, de la frontière belge aux détroits ottomans, Drieu n’écartait pas ses ennemis du salut viril qu’il adressait à tous ceux qui s’étaient portés au feu, la peur au ventre, sans fléchir pourtant, quel que soit leur uniforme. «Ma joie a germé dans votre sang.» Mais l’essentiel du livre ne saurait être accusé de trahison. Le chant de Drieu, sans gloriole inutile, exalte ses frères d’armes, brisés, cassés par une guerre trop mécanique, mais qui épargne les officiers incompétents et les planqués. Dire la beauté de l’action, où se rachète l’absurdité de cette «comédie» sanglante, lui paraît urgent. Car ce bain de sang possède sa nécessité imprévue. Elle précipite le destin des peuples, vainqueurs et perdants, et jette les fondations d’un avenir révolutionné, voire révolutionnaire. Sous le miraculé de Verdun pointe déjà le fasciste de 1934. Parce que la guerre lui permit de se connaître tout entier, courage et lâcheté, elle devait marquer à jamais les livres et les choix politiques de Drieu. Né en 1893, il appartient à cette génération formée ou déformée par le ressac de l’humiliation de 1870, l’affaire Dreyfus, la montée des masses, les faillites de la IIIe République mais aussi la militarisation croissante du régime face aux provocations marocaines et autres de l’Allemagne. Au vu de l’évolution de Péguy, on imagine comment l’époque a pu aiguiser l’appétit révolutionnaire des jeunes nationalistes, qui aspirent à bousculer à travers la politique les limites étroites de la vie bourgeoise.

En novembre 1913, la classe de Drieu est appelée pour un service militaire de trois ans. Le jeune incorporé est aussi un humilié précoce. L’échec aux examens de Sciences Po a été plus que cuisant et la blessure d’amour-propre s’aggrave de l’amère déception des siens. Il s’en ouvre dans ses lettres à sa fiancée, Colette Jéramec, une jeune fille intelligente. Sa future épouse se destine à la médecine et incarne l’ambition de la grande bourgeoisie juive, intégrée et convertie. Pour ne pas s’éloigner d’elle, de son frère André et du Paris qu’ils aiment tous les trois, Drieu renonce aux cuirassiers pour l’infanterie. La déclaration de guerre le trouve, en cet été étouffant, à la caserne de la Pépinière. Le 6 août 1914, accompagné d’André Jéramec, il part pour le front avec le grade de caporal. Le 23, c’est «la bataille de Charleroi» où Drieu dit avoir connu l’expérience la plus forte de son existence en sortant de soi. Une sorte d’éjaculation, dira-t-il plus tard avec quelque emphase: «Comme j’avais été brave et lâche ce jour-là, copain et lâcheur, dans et hors le sens commun, le sort commun.» Les pertes avaient été lourdes. André, dont il dira le courage et le patriotisme en 1934, fait partie des disparus. Drieu lui-même, blessé à la tête par un shrapnel, est évacué vers Deauville. Nommé sergent le 16 octobre 1914, il rejoignait son régiment le 20 en Champagne. Blessé au bras le 28 octobre, Drieu rejoint l’hôpital militaire de Toulouse pour trois mois. Au printemps 1915, il est volontaire pour la campagne des Dardanelles. Ce grand ratage le renvoie à ses pires obsessions, la maladie, la déchéance, la syphilis, la mort. Il a senti «l’Homme» mourir en lui, l’appel séduisant de l’abject… Lors de sa longue convalescence à Toulon, une infirmière à bec-de-lièvre, aussi pure qu’il se sent souillé, lui prête les Cinq grandes odes de Claudel. Choc durable… Colette, toujours elle, le fait rentrer à Paris avant la fin de l’année. Ce temps gagné sur la guerre, on l’a vu, il le consacre à l’écriture d’Interrogation. En janvier 1916, il intègre le 146e RI. Quand la bataille de Verdun éclate, son régiment est aux premières lignes. Le 26 février, toujours sergent, Drieu s’élance au milieu des bombes avec le sentiment de n’être plus qu’un petit tas de viande jeté «dans le néant». Sous la mitraille, lui et ses hommes rebroussent chemin. Un obus, en soirée, le terrasse, le blessant au bras gauche et lui crevant un tympan. On le renvoie à l’hôpital, avant les services auxiliaires. Gilles laissera entendre que Drieu décida de tourner la page et d’exploiter l’infirmité légère de son bras. Relations, accommodements, le voilà nommé auprès de l’État major, hôtel des Invalides! Parmi les amis de Colette surgit alors le jeune Aragon. L’ambition littéraire de Drieu peut s’épanouir. Un très étrange poème de lui, anti-futuriste par le style et le propos, a paru dès août 1916 dans SIC. «Usine = Usine» file la métaphore d’une mécanisation du monde, guerre et production capitaliste, et aliénation des hommes, soumis à la loi d’airain.

Un an plus tard, Interrogation reçoit un accueil très favorable. Les comptes rendus s’égrènent au cours de l’année suivante à propos de ce «petit livre, dur, mystique, tout flamboyant, tout fumant encore de la bataille», qui rappelle à la fois Claudel, Whitman et Lamennais à Fernand Vandérem. Le grand Apollinaire lui concède aussi quelques lignes très positives. La recension la plus enflammée revient à Hyacinthe Philouze, sensible à «l’âme tout entière de la génération qui, au sortir de la tranchée, va façonner le monde nouveau!» Quant à la réaction de Paul Adam, c’est la reconnaissance du vieux professeur d’énergie, heureux de saluer en Drieu un émule de Rimbaud. En 1934, date anniversaire s’il en est, La Comédie de Charleroi forcera aussi l’admiration des contemporains. Selon Marcel Arland, Drieu y a moins livré «une peinture de la guerre», tableau naïf, que le «récit des rapports d’un homme avec la guerre». Au lendemain de l’Occupation et du suicide de Drieu, Mauriac dénoncera sa fascination pour la force mais rendra hommage à «ce garçon français qui s’est battu quatre ans pour la France, qui aurait pu mourir aux Dardanelles». Cette guerre que Drieu avait apostrophée en poète anti-mallarméen: «il faut percuter et non suggérer». Stéphane Guégan

*«Jean-François Louette et Gil Tchernia», présentation et annotation de Jean-François Louette et Gil Tchernia, Revue des deux mondes, mars 2014, 15€.

*La Grande Guerre des grands écrivains, d’Apollinaire à Zweig. Textes choisis et présentés par Antoine Compagnon, Folio Classique, 10,60€.

*Poèmes de poilus. Anthologie de poèmes français, anglais et allemands dans la Grande guerre  1914-1918. Textes choisis par Guillaume Picon, édition bilingue, Points, 7,50€.

– À lire aussi, Jean-Pierre Guéno et Gérard Lhéritier, Entre les lignes et les tranchées, Musée des lettres et manuscrits, Gallimard, 29€. Guerre poétique, 14-18 fut aussi une guerre épistolaire. Plus de quatre millions de lettres circulent chaque jour en France. L’originalité ici est de confronter la plume des inconnus et la voix de ceux que l’histoire a encensés, de Félix Vallotton et Fernand Léger, inventeurs d’un nouveau sublime guerrier, à Apollinaire et Jacques Vaché, écrivains au coup de crayon loufoque ou acéré. «Le tournant de 1917», ultime chapitre, aurait pu faire place à Interrogation et au Parade de Picasso. La vie continuait pour certains. SG

Jarry entre amis

Si l’on plaisantait comme lui, on dirait que le père d’Ubu périt trop tôt pour humer la gloire posthume que lui assura le premier XXe siècle. Dans son Anthologie de l’humour noir, André Breton écrivait: «La littérature, à partir de Jarry, se déplace dangereusement, en terrain miné». Cette génération qui avait vu 14-18 savait de quoi elle parlait! Mais miné par quoi? Par le rire, bien sûr, la dérision, le jeu de mot acide, le refus du consentement à la banalité qui règle le quotidien et fait croire à une réalité partagée. Par le comique «en roue libre», dit-on de Jarry, qui aimait la «petite reine» autant que son ami Toulouse-Lautrec. Il s’agissait, une fois de plus, de détrôner «l’école du bon sens», le naturalisme aux destins carrés ou le symbolisme des belles âmes. Qu’Ubu roi raconte l’histoire d’un souverain imbu et déchu de son pouvoir ne doit rien au hasard. Car la chute de ce personnage grotesque et cruel, imposant et dérisoire, est tout un symbole: pour Jarry, il n’est pas d’autorité indiscutable, de règle artistique éternelle, de sens figé. «Merdre», s’exclame la pièce au début, sorte de «sésame» au déluge qui suit de situations loufoques et de formules inoubliables. Avec Bonnard, Jarry imagine dès le milieu 1896 un spectacle de marionnettes enfantin et agressif. Comme le dit un des personnages, «ça n’a ni queue ni tête».

Pas sûr ! Derrière la farce surgit une double vérité, métaphysique, on l’a dit, esthétique et presque stratégique, on le voit avec le livre de Julien Schuh, véritable tourbillon de savoir et d’intelligence. Son mérite est si grand qu’on lui pardonne ses multiples références, dictées par l’impératif universitaire, à Bourdieu et ses émules. Les fanatiques du champ littéraire, à l’opposé des tenants de la lecture interne, nous ont appris qu’aucun écrivain, promût-il l’obscurité et la polysémie comme l’expression d’un moi unique, n’échappait à l’espace de production et de réception où il s’engage. Fort de sa connaissance exemplaire des années 1890, littérature et peinture, Julien Schuh renvoie Jarry au milieu où il voulut se faire un nom avant d’y perdre pied. Cette configuration, faite de mentors et de revues, induit un type d’écriture, thèmes et rhétorique, dont nous comprenons enfin le fonctionnement. Jarry obéit moins au délire potache des fils de famille qu’au désir d’une prompte reconnaissance auprès de Remy de Gourmont et de Marcel Schwob. On ne confondra pas obscurité et obscurantisme. Bien entendu, elle lui a joué des tours. De façon définitive, Julien Schuh montre en quoi Jarry échoua à prendre la succession d’Albert Aurier au Mercure de France. La mort de ce jeune poète proche d’Émile Bernard avait aiguisé ses appétits. Mais il n’a pas encore acquis le métier journalistique pour occuper un tel office au sein du Mercure. Le lecteur n’eût pas surmonté le vertige dont Jarry dote tout ce qu’il écrit par obéissance aux lois du clan et à son ironique «colin-maillard cérébral». Pour avoir placé «la pratique littéraire sous le signe d’un absolu dynamique» (Julien Schuh) et cru aux images «synthétiques», Jarry n’en fut pas moins un relais génial entre le trio de Pont-Aven et le jeune Picasso. Stéphane Guégan

*Julien Schuh, Alfred Jarry, le colin-maillard cérébral, Honoré Champion, 85€

Vachement feint, vachement peint

Vous le pensiez froid comme la mort ou l’ennui, glacé comme ses pinceaux, agaçant comme une énigme sans fin, Magritte est tout le contraire. Le portrait qu’en brosse Michel Draguet inverse la donne. Plus son objet fuit et se refuse à la lecture, à l’instar des tableaux à tiroirs infinis dont le peintre partageait le goût avec Dalí, plus Draguet le poursuit dans ses retranchements, ses non-dits, ses mensonges et les recoins d’une vie qui, parce que pleine et pas toujours très nette, veut d’emblée rester secrète. On ne saurait trouver meilleure justification à la biographie, enquête policière sans jugement dernier. «Magritte est un maître du paraître. Un Œdipe qui, pour berner le Sphinx, aurait échafaudé une incroyable fiction: celle d’un peintre sans vie et sans passion, se partageant entre sa femme Georgette, les échecs et quelques menues distractions et qui, derrière la façade de son conformisme bourgeois, aurait alimenté un imaginaire poétique méthodiquement mis en scène dans des tableaux propres et des gouaches précises.» Il refusait de parler de son passé, du suicide de sa mère, jetait un voile de pudeur et d’oubli sur son père, un affairiste libertaire, et sa jeunesse hautement dissolue. Magritte fut un apache déluré, sexualité débordante et verbe cru, avant d’opter pour le chapeau melon de ses flics impassibles… Est-ce la respectabilité domestique, l’âge venu, ou la discipline surréaliste, à cheval sur les mœurs, qui l’obligea à porter le masque à partir de la fin des années 1920? Si cette duplicité demandait à être mieux comprise, dans la mesure où elle rend à l’œuvre les empreintes mémorielles que Draguet nous aide à y retrouver, cet art de la dérobade dépasse la simple posture pour fonder une esthétique de la culbute permanente, hors des sages tabous de la religion moderniste.

«Adepte consommé du décalage permanent, Magritte s’est transformé lui-même en anti-héros de la modernité.» Cela n’étonne guère de la part d’un ancien lecteur de Zigomar et de Fantômas. Nietzsche et Poe viendront plus tard. Il est significatif que ses relations avec Breton et Aragon aient été si fluctuantes et sa conversion au communisme si turbulente. Contrairement à Draguet, je ne pense pas que son ultime adhésion, en 1945, soit autre chose que de l’opportunisme. Moscou fut la grande blanchisseuse de l’après-guerre. Non que Magritte ait «collaboré»! Mais sa peinture n’avait subi aucune proscription en Belgique occupée. Les expositions continuèrent, une première monographie parut. Du reste, c’est plutôt la presse de gauche qui lui reprochait son «snobisme de la pourriture» en 1927, ses calembours visuels et son culte obscur de l’esprit d’escalier. Pourtant Magritte libère l’image plus qu’il ne l’enchaîne à «l’idée», jongle entre le sens et le non-sens, le lisible et le visible, tient en laisse le prestige des mots. À cette forte cérébralité, fût-elle espiègle et parfois potache, devaient succéder sa période Renoir et l’explosion «vache» de 1948, le sommet de l’œuvre, bien glosé par Draguet, qui la ramène dans l’Éros éternel d’un Magritte solaire, entre Ingres et Manet, Praxitèle et Ensor. Magritte, ressaisi par le «beau côté de la vie», exultait enfin. Stéphane Guégan

– Michel Draguet, Magritte, Gallimard, Folio biographies, 8,90€.

Surmontant son horreur sans cesse réaffirmée du littéral, du transparent, de l’évidence (sauf quand elle est éternelle), Magritte a pratiqué le portrait. Son entourage direct, de l’intraitable Nougé à la famille Spaak, lui a fourni quelques modèles et l’occasion, chaque fois, de détourner les lois du genre. La face éludée, flambée de l’excentrique Edward James, l’un de ses collectionneurs et mécènes les plus décisifs, prouve la bonne santé d’un humour permanent. La nécessité alimentaire y eut aussi sa part, notamment sous l’Occupation. L’exposition de Marseille, délaissant ces images très individualisées, montre trois Magritte dans la section des Visages de l’esprit, en compagnie de très beaux Masson (dont le portrait janusien d’André Breton), d’un Glenn Brown (dont le dandysme clownesque aurait plu au Belge) et de merveilleux Picasso. Ils rappellent que ce dernier et sa peinture pouvaient avoir le sourire en 1943, à rebours de sa légende vertueuse. Visages explore sa thématique selon trois axes complémentaires, la société, l’intime et la métaphore ouverte, bien faite pour Magritte et son jeu sur les apparences. Le visage est un masque comme un autre. Et son amour du paradoxe lui aurait sans doute fait dire que la meilleure façon de saisir l’identité d’une personne résidait dans l’effacement de ses traits distinctifs. La révélation détournée, imprévisible, le visage en devenir, tout était là. SG

*Visages, Picasso, Magritte, Warhol…, Centre de la Vieille Charité, Marseille, jusqu’au 22 juin. Catalogue sous la dir. de Christine Poullain, Réunion des musées nationaux / Grand Palais, 35€.

Le bruit du temps

L’essentiel de Georges Limbour, et parfois le meilleur, nous avait échappé et nous ne le savions pas. Sa critique d’art reparaît enfin, méticuleusement réunie par Martine Picon et Françoise Nicol. Elles ont déjà beaucoup fait pour l’auteur de Soleils bas et de La Pie voleuse. Mais s’attaquer à son journalisme, massif dispersé, et à son esthétique vagabonde supposait un amour infaillible du bel écrivain. Une abnégation admirable. Leur récompense et la nôtre, c’est ce beau volume sur papier crème, qu’on a bien en mains, et qui se lit comme le roman de la peinture moderne. En vérité, nous n’en ignorions pas tous les chapitres. Havrais épargné de justesse par la guerre de 14, puis aspiré par le surréalisme naissant et ses disputes de famille, Limbour a su lier son propre feu à deux génies proches, Masson et Dubuffet. Les textes innombrables qu’il consacra au premier, à sa quête héraclitéenne ou à son trait érotique, surclassent ceux de son ami Michel Leiris, moins nets et plus torturés. Et je ne vois que Paulhan qui ait aussi bien parlé de Dubuffet en ces années héroïques de la galerie Drouin et de l’art brut. Paris et l’art français, dopés par l’Occupation et l’électrochoc de la Libération, n’avaient encore rien perdu de leur prestige et de leur force d’emballement. La capitale s’était couverte de galeries, comme la France de l’an 1000 de son manteau d’églises. Et sous la menace des schismes en vogue, l’art abstrait, l’art «autre» cher à Tapié, ou le débarquement de la peinture américaine, que Limbour ne déteste pas, on ne manquait pas de raisons de s’entretuer.

Là réside d’abord le charme de ce livre, où coulent les parfums, les cris et comme l’asphalte d’une époque révolue. Le XXe siècle de Limbour s’étire du premier Masson au dernier Picasso, autre géant dont il a su pénétrer les méandres et accepter les coups de rein avec une franchise qu’il aurait dite «méditerranéenne». Le grand Pan d’Antibes, le potier de Vallauris, qu’il défend contre Mauriac – cette Vierge facilement effarouchée –, fut son troisième homme d’élection (ce qui, entre parenthèses, faisait les affaires de Kahnweiler). On le suivra moins dans sa promotion inconditionnelle de Braque et sa vision platonicienne du cubisme. Articles, essais, fragments de livres et chroniques jetées au hasard de la vie, ces textes sont conformes à l’avidité et au nomadisme du personnage, grand coureur en tout: il aura promené sa belle gueule et sa poésie à travers les expositions et les ateliers du temps, à la recherche de la beauté innommée, de la pépite rare, de tout ce qui échappait, après le «retour» de Breton, à «l’agonie du surréalisme» et sa marchandisation éhontée (l’exposition de la galerie Maeght, en 1947, excluait le populo par son billet d’entrée exorbitant). Limbour ne commence à écrire régulièrement sur l’art qu’à ce moment de bascule. Sa verve cassante et drôle égale souvent Apollinaire et Fénéon, que Paulhan avait exhumé en 1943. Il sait aussi élargir son souffle dans les grandes occasions, le lancement de Dubuffet en 1944, l’accueil triomphal de Masson qu’il a préparé avec la complicité de Ponge (Action) et Sartre (Les Temps modernes), les articles qui taquinent le formalisme ambiant et rappellent qu’il n’est pas mauvais que la peinture aspire à signifier quelque chose, ceux où il crosse les séides de Mondrian et Kandinsky, etc. Ce fidèle d’Aragon se sera même payé le luxe d’ironiser, entre les lignes, au sujet de Fougeron et de son populisme plutôt lourdingue. Mais de vraies convergences s’exprimaient ailleurs. Derrière le mystérieux «X» qu’invoque Limbour dans son article du 26 août 1945, «Peinture et Libération», je verrais volontiers le patron des Lettres françaises et sa défense d’une peinture d’histoire régénérée que Masson fut l’un des rares à entendre. Aragon et Limbour appelaient ça, avec lui, la grandeur de la France. Heureux temps. Stéphane Guégan

*Georges Limbour, Spectateur des arts. Écrits sur la peinture 1924-1969, édition de Martine Colin-Picon et Françoise Nicol, préface de Françoise Nicol, Le Bruit du temps, 42€